22 septembre 2009
Mr. Big, Bataclan, 16/09/2009
Effet madeleine garanti avec Mr. Big ! M.Tout-le-monde connaît les méga-hits du début des 90's, "To Be With You", et la reprise de Cat Stevens, "Wild Word". Mais en général seuls les connaisseurs savent de quoi retourne vraiment le groupe. Après plusieurs millions d'exemplaires vendus dans les 90's des quatre premiers albums, une dissolution en 2002 après deux albums sortis uniquement au Japon avec Richie Kotzen à la guitare (n'ayant pas réussi à succéder à Paul Gilbert), Mr. Big s'est donc enfin reformé avec son line-up d'origine, mais sans nouvel album. Revival total donc de notre adolescence hardeuse, avec en ligne de mire de la setlist les trois premiers albums du groupe, pépites indispensables pour tous ceux qui aiment le hard rock à la fois fun, mélodique, groovy et technique. La caractéristique de Mr. Big a bien été d'arriver à un compromis admirable et sans précédent entre chorus imparables et licks monstrueux, les guitaristes Billy Sheehan et Paul Gilbert formant un duo basse/guitare à la complémentarité et vitesse d'exécution inégalés (sauf partiellement par Dream Theater, peut-être).
Plus de quinze ans ont passé depuis leur dernier concert en France, le 25 avril 1994 à la Cigale... Avant cela, le groupe n'avait jamais donné de show en headlining dans l'Hexagone : première partie de White Lion au Palais de Sport de Paris le 28 mai 1991, et première partie d’Aerosmith au Palais Omnisports de Paris Bercy le 8 novembre 1993. C'est donc un retour significatif, le groupe s'étant échauffé en juin dernier sur une tournée japonaise à guichets fermés avec un retour triomphal au Budokan (complet), filmé pour l'occasion, à sortir en CD+DVD en octobre chez Frontiers Records. Finalement, au vu du concert du Bataclan, les quatre musiciens n'ont pas changé, à part Pat Torpey qui s'est un petit peu encroûté. Son groove est néanmoins intact et il utilise toujours à aussi bon escient la cloche (cowbell), une de ses signatures.
Eric Martin possède un timbre de voix particulier qui n'a pris une ride ; difficile de croire à le voir et à l'entendre chanter, qu'il a désormais 49 ans, on lui en donnerait dix de moins. C'est un pur gâchis que de constater qu'à part des albums solos pendant la période de hiatus de Mr. Big, le bonhomme n'a pas trouvé de point de chute dans un groupe digne de ce nom. Martin est toujours aussi bien accompagné aux choeurs par le reste du groupe, ce qui distingue Mr. Big de bien des groupes de la même division. Enfin, Billy Sheehan et Paul Gilbert sont égaux à eux-mêmes, à savoir qu'ils possèdent une maîtrise inhumaine et écoeurante de leurs guitares ; le plus surprenant restant Sheehan qui joue de sa basse comme d'une guitare électrique : rien ne lui est impossible. Sheehan est en outre un musicien un peu plus aventureux que Gilbert, ses multiples side-projects (dont le terrible Niacin) l'ont souvent entraîné dans des horizons éloignés du hard-rock. Session-man très recherché, il a même atterri sur un disque de Mylène Farmer (non crédité).
Et pourtant... le Bataclan sera à peine rempli à la moitié de sa capacité. C'est tout le problème de ne plus avoir sorti de nouveautés en Europe depuis très longtemps. Et tout le monde ne vient pas forcément revoir un groupe de son adolescence, trop estampillé 90's. Quel contraste avec le Japon, où le groupe est adulé, a déjà sorti plusieurs best-of, et a réédité ses VHS en DVD... et tout cela continue à se vendre en masse. Quand j'étais à Tokyo au mois de mai, j'ai pu constaté avec amusement que Mr. Big était en tête de gondoles dans tous les grands magasins de disques, avec concert de 1992 sur les écrans... Une autre planète !
Mais Mr. Big peut jouer devant 20 000 comme 1000 personnes, il n'en a cure ; le groupe est visiblement là pour s'amuser, la reformation semble sincère, et la complicité totale. Le set dure plus de deux heures, enfile un sacré paquets de classiques, se fend même de deux nouveaux titres (disponibles sur le dernier best-of japonais : Next Time Around et Hold Your Head Up), et comprend en final deux reprises haut de gamme, à savoir Shy Boy de David Lee Roth (écrit intégralemente par Sheehan, trop de personnes attribuent le titre à Steve Vai), et Baba O'Riley des Who. Le seul gros point noir, c'est la durée indécente des soli. Certes, les musiciens de Mr. Big sont des étendards vitaux pour les marques qu'ils endorsent (Ibanez, Yamaha, etc.). Mais seraient-ils obligés contractuellement de placer une telle durée de soli ? On peut le soupçonner, car nous avons dû endurer sans doute au moins 20 minutes de démonstration partagées entre les trois instruments. Pratiquement un showcase de salon de musiciens type NAMM ! Et autant les chansons de Mr. Big sont des pépites de concision et de bon goût, autant leurs soli sont d'une stérilité absolue. Autant de temps morts, de temps perdu pour des chansons du répertoire. C'est bien dommage. Dorénavant, on attend un hypothétique nouvel album studio, les deux inédits du dernier best-of étant encourageants.
Setlist:
Daddy, Brother, Lover, Little Boy (The Electric Drill Song)
Take Cover
Green-Tinted Sixties Mind
Alive & Kickin'
Next Time Around
Hold Your Head Up
Just Take My heart
Temperamental
It's For You - The Planets Op.32: Mars
Solo batterie
Price You Gotta Pay
Wild World
Take A Walk
Solo guitare
Double Human Capo (instrumental basse et guitare)
The Whole World's Gonna Know
Rock & Roll Over
Solo basse
Addicted To That Rush
To Be With You
Colorado Bulldog
Rappels:
Shy Boy
Baba O'Riley
22:27 Publié dans Concerts | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : concert, bataclan, mr. big
26 août 2009
Inglourious Basterds
Après l'inégal Death Proof, il y avait nombre de fans de Tarantino, dont je fais partie, qui espéraient vivement que le cinéaste allait se ressaisir. Le problème de Tarantino, c'est clairement son excès de vanité qui semble avoir pris une ampleur démesurée depuis qu'il a renoué avec le succès critique et public grâce à Kill Bill (tour de force il est vrai, retour magistral après le relatif échec commercial de Jackie Brown). Le bonhomme semble tout bonnement croire qu'il peut, par la grâce de sa mise en scène, transcender n'importe quel dialogue médiocre, transformer n'importe quelle scène en moment culte.
Déjà, il s'était fait damer le pion par son ami Robert Rodriguez dans leur programme Grindhouse, le jouissif Planet Terror coiffant sans problème au poteau Death Proof qui ne s'inscrivait finalement pas tellement dans l'esprit Grindhouse. Avec l'accueil plutôt frais à Cannes 2009 de Inglourious Basterds (hormis le prix d'interprétation masculine pour Christoph Waltz), mes craintes étaient élevées, et donc mes attentes revues sagement à la baisse.
C'est probablement grâce à cela que finalement, je suis sorti fortement soulagé du visionnage de ce nouveau long-métrage. La prise de risque est néanmoins importante, car encore une fois, comme avec Death Proof, Tarantino ne délivre pas vraiment le programme vanté. Malgré les affiches, les taglines, le pitch et la bande-annonce, non non et non (nein nein nein !), Inglourious Basterds ne donne pas dans le spectacle sanglant et débridé d'exécution sauvage de nazis. Cette thématique occupe finalement une place toute petite dans les 2h33 du film.
En fin de compte, l'opinion de chacun sur Inglourious Basterds sera donc grandement influencée par les attentes consciemment (ou inconsciemment) placées dans le film, puisqu'un nouveau Tarantino reste encore et toujours un événement. Si on fait abstraction du programme annoncé de destruction de nazis, et si on fait abstraction de la durée bien trop longue (Tarantino manque vraiment de recul pour ne pas voir que son film serait diablement meilleur en lui enlevant 20 bonnes minutes), il reste un film qui ne devrait pas décevoir les cinéphiles. OK, ça fait pas mal de si... mais j'ai envie de voir le verre au trois-quarts plein plutôt qu'au quart vide.
Car Tarantino n'était pas loin de reproduire un coup de maître. Franchement hors normes et bien plus intéressant que Death Proof, Inglourious Basterds est un film délirant, novateur et gonflé. Tarantino ose, et on aime le suivre quand il se lance ainsi dans l'inconnu. Inglourious Basterds ressemble grosso modo à une B.D. filmée (Pulp Fiction était l'essence cinématographique même du comic), mais dans le cadre de la seconde guerre mondiale : il fallait y penser, Quentin l'a fait. Inglourious Basterds est une uchronie qui réalise des fantasmes fous, qu'on taira pour ne pas spoiler. De fait, tout est outrancier, grotesque, à l'encontre des conventions, mais porté par des fulgurances de mise en scène et de montage qui n'appartiennent qu'à Tarantino.
Fini les dialogues creux et interminables sur des sujets populaires médiocres ; de par sa situation géographique et historique, Tarantino est contraint de parler de culture, de vraie culture, et utilise à bon escient son expertise immense de cinéphile, pour placer avec un talent sidérant le cinéma au cœur de son film. Cette mise en abyme, totalement inattendue, balaie presque les défauts agaçants du film : les gimmicks qui deviennent lassants (comme le découpage en chapitres, les arrêts sur image pour introduire des personnages, les emprunts à Ennio Morricone...), les scènes mal écrites entre Mélanie Laurent et Daniel Brühl, et le jeu bien pâle de ce dernier.
Dans l'ensemble, malgré quelques faux pas, Inglourious Basterds est une preuve que Tarantino reste un cinéaste surdoué, hors du commun, qui s'amuse encore et toujours à faire voler en éclats les genres codifiés pour mieux les réinventer, et qui sait communiquer avec un enthousiasme contagieux son amour immodéré pour le cinéma. Si l'homme pouvait trouver un moyen de canaliser son énergie, et faire montre d'un peu plus d'humilité et de recul, nul doute qu'il aurait encore les capacités à nous clouer le bec avec un nouveau chef d'œuvre.
8/10
08:08 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : quentin tarantino, brad pitt, mélanie laurent, christoph waltz, michael fassbender, eli roth, diane kruger
21 août 2009
Up
Le titre de la dernière production de Pixar indique - probablement involontairement - leur positionnement vis-à-vis de la concurrence. Pixar continue en effet de survoler tranquillement, à des niveaux stratosphériques, le domaine de l'animation, et pour longtemps encore. Même si les prouesses techniques peuvent un jour être égalées, Pixar demeure le meilleur story teller d'Hollywood, et sur ce plan, on n'est sans doute pas près de lui passer devant. Qui d'autre est capable, depuis des années, de créer des divertissements aussi haut de gamme, à plusieurs niveaux de lecture, avec des partis pris aussi osés ? A ce dernier égard, le résumé aussi magique que tragique de la vie de Carl et sa femme dans les premières minutes de Up sont aussi renversantes que le début quasi-muet de Wall-E.
C'est que Pixar, en défiant les conventions, ne sous-estime jamais ses spectateurs, surtout les plus jeunes, et ose la prise de risques. Les plus jeunes enfants ne comprendront pas toutes les subtilités de leurs scénarii ? So what ? Les scènes d'action sont jubilatoires à tout âge, et l'ensemble des œuvres Pixar sont faites pour être vue et revues ; elles accompagneront des années durant le développement intellectuel des enfants, qui s'étonneront un jour de découvrir des facettes jusqu'alors invisibles pour eux. Pour Pixar, il semble impensable de nager dans la médiocrité de l'humour décérébré et premier degré de bon nombre de studios qui ont fait le raccourci "animation = film racoleur et facile, ciblé pour gamins".
Les adultes, quant à eux, peuvent continuer de s'émerveiller devant les références et hommages discrets au cinéma, les leçons de vie habiles et philosophiques (voire politiques) tout en nuances, portées par des personnages toujours plus étonnants (oser faire d'un vieillard un héros... sueurs froides pour les produits dérivés de Disney !). Vu comme Pixar a toujours une longueur d'avance et se fait souvent copier par son concurrent DreamWorks, on pourrait en déduire que c'est a priori les seniors qui seront bientôt à la mode. Quel tour de force réalise donc encore Pixar avec Up, dont le héros a tout, sur le papier, pour ne provoquer qu'un haussement de sourcil contrarié...
Il ne sert donc pas à grand-chose d'épiloguer sur Up, il convient juste d'aller le voir, Pixar étant devenu depuis longtemps un gage d'excellence, de haut de gamme. Je souhaitais juste faire remarquer que la version 3D du film possède un intérêt réel, mais qui là encore prend le contrepied des clichés : non, il n'y a pas d'effets extrêmes et pénibles, Pixar ne prend pas son film pour une démo du Futuroscope. La 3D est utilisée à dessein pour simplement détacher les personnages du décor et accentuer le réalisme des scènes. Seules les grosses lunettes, un peu lourdes, sont à améliorer. Mais ce n'est pas du ressort de Pixar !
9/10
12:56 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : cinéma, pete docter, bob peterson
07 août 2009
Bancs Publics (Versailles Rive Droite)
Si les casting de luxe ne font pas les grands films, en voilà en tout cas une belle illustration, hélas. Bruno Podalydès semble être en panne depuis l'inégalé Liberté-Oléron ; après des aventures peu folichonnes de Rouletabille, le voici qui remet le couvert de la faune versaillaise sur le mode mineur. Très mineur même : Podalydès essaie de marier les genres (comédie de mœurs, fable humoristique, satire sociale...) au travers d'un film choral, dont les trois unités de lieux sont reliées par des liens trop ténus pour être convaincants. Au final, il n'y a pas vraiment de fil narratif, et Bancs Publics tombe dans le chausse-trappe classique de l'enchainement des saynètes de qualité très inégale.
Ce n'est pas le plus grave à mon sens car de grands cinéastes savent s'accommoder d'absence de fil narratif, justement. Le problème de Podalydès ici, c'est qu'il met en scène son film comme une pièce de théâtre, à tel point qu'il en est pratiquement réduit à son texte. Tout le poids étant sur les mots, les dialogues sont surjoués, par des célébrités qui n'ont que ça à se mettre sous la dent, dans des rôles très peu dessinés de M. et Mme Tout-le-Monde, et qui en deviennent du coup rapidement pénibles (un exemple parmi d'autres : le gag lamentable de Pierre Arditi en patron qui commet des lapsus grossiers invraisemblables pendant son discours - même l'acteur ne semble pas y croire !). L'anecdotique des situations confine au futile, et Podalydès finit paradoxalement par ne plus rien dire.
Et c'est dommage, car les premières minutes sont brillantes, avec une proposition intéressante qui consiste à fédérer autour d'un évènement extraordinaire (une banderole "homme seul" déployée en face de bureaux) des employés qui ne se côtoient que dans des situations ordinaires et codifiées. Il y a également des éclairs burlesques réussis, qui viennent heureusement de temps à autre à la rescousse de l'ensemble. C'est trop peu.
5/10
19:24 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, bruno podalydès, denis podalydès
01 août 2009
Un Prophète
Pour la première fois, je me suis rendu à une projection-test pour l'attribution du Label des spectateurs UGC. Le principe ? Il s'agit de s'exprimer via un questionnaire sur un film, projeté en avant-première, dont le titre est tenu secret jusqu'au dernier moment afin de ne pas influencer le jugement. Si les réponses sont suffisamment positives, le Label des Spectateurs UGC sera attribué au film, qui bénéficiera ainsi d'une promotion appuyée dans les salles du reseau UGC pendant les deux semaines précédant sa sortie. Ce label, créé en 1999, est évidemment convoité par les distributeurs qui apprécient fortement cette promotion gratuite...
J'avais envie de voir en quoi consistait le questionnaire, afin d'avoir une vague idée d'à partir de quoi ce label est décerné. Sitôt rentré dans la salle, un doute énorme m'envahit, car je me dis qu'il y a bien peu de chance pour que ce soit un film qui m'intéresse (les derniers labellisés étant Jeux de Pouvoir, Millenium, Le Code a changé, Welcome...). Je me place donc en bout de rangée, craignant un peu la comédie ou le tire-larmes de la rentrée, prêt à partir si besoin une fois le titre du film dévoilé.
Le noir se fait, et apparaît - ô miracle - le symbole de la palme de Cannes, avec mentionné "Cannes 2009 - Grand Prix du Jury". Ouf ! Il s'agit du nouveau film de Jacques Audiard, qui a fait grand bruit sur la croisette, et qui figurait au top des pronostics pour la Palme d'Or, finalement décernée à Michael Haneke (qui avait lui aussi reçu le Grand Prix, en 2001 - chaque chose en son temps, Jacques !). Il faut néanmoins un peu s'intéresser un peu au cinéma, car il n'y aura en fait pas de générique, et le titre ne sera dévoilé qu'à la fin (coïncidence dû au montage du film, et non pas à dessein de la part d'UGC).
Si cette excellente surprise est pour moi presque jubilatoire, elle fait a contrario le malheur de grappes de spectateurs qui sortent au bout de 15 minutes de la salle, peut-être déconcertés de ne pas savoir à quoi ils assistaient (ils ont sans doute vite compris qu'il ne s'agissait pas du blockbuster de la rentrée), et surtout pris sous le choc d'un film qui annonce très vite la couleur : une descente sans compromis dans l'univers carcéral français. Ceux qui aiment le cinéma comme pur vecteur de divertissement en étaient pour leurs frais.
Un Prophète s'attache en effet à une tranche de vie d'un jeune délinquant, Malik, condamné pour six ans pour pas grand-chose, qui arrive en prison à 19 ans, totalement inexpérimenté, et qui va tirer parti de sa peine pour devenir à la fois plus intelligent et plus cultivé (en mettant à profit les cours dispensés aux détenus volontaires), et aussi beaucoup plus dangereux, grâce à des compagnons de prison peu recommandables.
Audiard a connu une médiatisation sans précédent avec De battre mon cœur s'est arrêté : succès public et critique, 8 Césars raflés sur 10 nominations... On se souvient de cette histoire d'un retour à la vie, de la rédemption d'un homme (Romain Duris) confronté à la folie du monde extérieur et à sa propre brutalité. Cet homme était un agent immobilier véreux qui expulsait avec violence et rage les squatteurs des appartements qu'il devait vendre, mais qui, dégoûté de ce qu'il était devenu, se remettait au piano, sa passion première.
Avec Un Prophète, on retrouve cette notion d'aliénation à son milieu, sauf que Malik, lui, va tenter de s'en tirer en devenant non pas respectable, mais en devenant si possible un leader, craint et respecté. L'environnement carcéral est souvent utilisé au cinéma pour des films d'évasion à suspense ; il est donc assez remarquable d'avoir vu la semaine dernière Bronson (qui montre la prison comme seul moyen de devenir célèbre pour un minable), et cette semaine Un Prophète, deux films se passant quasiment intégralement dans une prison, mais qui en font une étude de cas, loin des clichés.
Audiard a choisi le mode faux documentaire, avec réalisation intégrale à l'épaule (ça a l'air facile, mais ce qu'il a accompli est vraiment virtuose car jamais brouillon), et aucune stylisation à la De Palma : on n'est pas du tout dans Scarface. Oui, c'est cru, réaliste, et sec comme un coup de trique, si bien que la violence dépeinte, pourtant très loin d'un massacre à la tronçonneuse, fait l'effet d'un uppercut et a conduit directement pas mal de spectateurs dehors. Quand l'hémoglobine n'est pas accompagnée d'une ambiance grand-guignol ou tarantinesque, effectivement elle touche beaucoup plus et peut devenir difficile à encaisser. Et encore ; il y a fort à parier qu'Audiard n'a pas retenu le pire de ce qui peut se passer en prison.
Une fois passé les 20 premières minutes qui en feront stresser plus d'un, le film nous surprend par des séquences surréalistes qui montrent qu'Audiard a décidément plus d'un tour dans son sac. Ces séquences viendront ponctuellement aérer le film, lui permettant de respirer, renforçant les autres scènes "réalistes" et vice-versa. Il faut également concéder à Audiard, qui a co-écrit le scénario, qu'il est comme son père un très grand scénariste, car on se retrouve totalement pris par cette histoire au fil constamment surprenant, et au suspense reposant sur des ressorts inattendus.
Une énième force du film se trouve dans son casting, constitué d'inconnus (en dehors de l'inquiétant Niels Arestrup, le violent père du personnage principal dans De battre mon cœur s'est arrêté). Leur pedigree, leurs origines, leurs leitmotive font qu'il est impossible de s'identifier à qui que ce soit, et Audiard en joue énormément, sans pour autant prendre position et juger. A ce sujet, la fin du film fera sans aucun doute sourciller.
En 2h30 magistrales, sans aucune longueur, Audiard délivre une œuvre-choc qui mérite toute l'excitation cannoise. Ce n'est pas de chance pour Audiard de s'être trouvé face à Michael Haneke, qui est, il est vrai, un maître absolu de la mise en scène, et qui mérite, je n'en doute pas vraiment, sa Palme (la polémique avec Huppert m'amuse, voir ce qu'explique Bernardo Bertolucci, président du jury en 1990, pour l'attribution de la Palme à Wild At Heart de David Lynch, dans les suppléments du DVD de ce film). Par ailleurs, on ne peut s'empêcher de penser que Entre les murs a décidément eu beaucoup de chance avec sa Palme d'Or en 2008, car il fait figure de pois chiche face à Un Prophète. Mais suivant les années, on ne se retrouve pas face aux mêmes concurrents. Allez, la prochaine fois, Jacques, la Palme est pour toi, vu le niveau que tu as atteint, ça finira par arriver...
Par contre, je suis prêt à parier que le film n'aura pas le Label des Spectateurs UGC, mais il n'aura aucunement besoin de ça pour trouver son public.
9/10
19:09 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : cinéma, jacques audiard, tahar rahim, niels arestrup, adel bencherif