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27 mars 2010

Peter Gabriel, 22/03/2010, Bercy



Si Scratch My Back est un album de reprises a priori critiquable sur le papier, il faut convenir que c'est une réussite artistique totale ; les originaux sont tellement transformés que Peter Gabriel en a fait des créations à part entière, avec sa sensibilité et son talent habituels. Le pari était d'autant plus casse-gueule que s'interdire les guitares et la batterie pour ne garder qu'orchestre et piano, pouvait sembler rédhibitoire.

Néanmoins, porter tout cela sur scène était un pari d'une autre échelle encore. Il y a non seulement la complexité logistique d'arriver à faire répéter et d'emmener en tournée 55 musiciens, mais aussi le défi de revisiter son propre répertoire sur ce mode contraignant, et d'arriver à proposer un show de 2h45 (dont 15mn d'entracte) qui arrive à captiver l'auditoire malgré l'absence d'instruments modernes.

Le concert de Paris à Bercy était le premier de la tournée avec la production complète du spectacle. Il y avait bien eu un show d'échauffement donné à Radio France deux jours avant, mais sans les écrans et les animations évidemment. Dans le passionnant tour diary officiel écrit par l'ingénieur du son, on apprend de manière édifiante qu'en raison des règles strictes qui s'appliquent aux musiciens de l'orchestre philharmonique de Radio France, il n'avait jamais été possible de répéter tout le concert d'un seul coup avant le concert de Radio France du 20 mars.

Alors, forcément, il y a eu quelques petits couacs, mais bien peu de chose, sans quoi cela reviendrait à voir le verre au 1/10e vide au lieu de le voir au 9/10e plein ! Peter Gabriel s'est aidé en permanence d'un prompteur pour les paroles des reprises, ce qui était gênant dans la mesure où cela brisait quelque peu son aisance naturelle. Cela ne l'a pas empêché de masquer son stress avec de l'humour, d'entrée de jeu grâce à un faux début de concert avec l'introduction de Sledgehammer. Au bout de 15 secondes, Peter arrête l'orchestre et déclare "Bon, voilà, Sledgehammer, c'est fait". Au moins, même avec humour, le ton est donné : ce soir, l'artiste n'est pas là pour contenter les auditeurs de RTL2...

La première partie a simplement consisté en l'interprétation complète de l'album Scratch My Back. C'était très fidèle au disque, mais sur certains titres comme Mirrorball (Elbow), j'ai bien mieux apprécié les parties orchestrales, qui sont vraiment complexes et parfois un peu chargées sur le disque. A cette occasion il est difficile de ne pas reconnaître que Peter Gabriel a accompli un sacré travail en identifiant des chansons à grand potentiel, puis en arrivant à dépasser aisément certains originaux (comme Listening Wind des Talking Heads, pourtant pas exactement un groupe mineur !).

La deuxième partie était incontestablement plus intense avec un Peter sacrément en verve, libéré de son stress, et ne lisant évidemment plus le prompteur, puisqu'il s'agissait de ses propres textes. Les arrangements orchestraux de ses morceaux étaient parfois sublimes (San Jacinto, Rhythm Of The Heat, Digging In The Dirt, Signal To Noise), parfois plus anecdotiques (Downside Up, Solsbury Hill, Don't Give Up). On pourrait épiloguer longtemps sur le choix des titres, il était de toute façon impossible de contenter tout le monde. On notera tout de même la présence de trois titres de l'album IV (ou Security), avec notamment l'étonnant Wallflower (pas joué sans doute depuis la tournée de 1982 !), qui était un peu incongru, mais constituait un beau cadeau aux fans. Notons aussi deux titres d'Ovo, jamais oublié dans les dernières tournées, ce qui montre l'importance de cet album aux yeux de Peter. Ensuite, hormis Solsbury Hill, unique représentant du répertoire solo pré-80's, l'équilibre était presque parfait pour le répertoire post-80's avec deux titres de So, trois titres de Us, et deux titres de Up.

Visuellement, le show était sobre, mais classe, avec une superbe utilisation complémentaire de deux "murs" visuels (un au fond de la scène, séparé en trois écrans, plus une partie frontale qui s'abaissait et se levait pour créer une mise en scène habile avec le mur du fond). Les chœurs féminins étaient assurés à la fois par Melanie, la fille aînée de Peter déjà présente sur la tournée Growing Up de 2002-2004, et par Ane Brun, artiste norvégienne qui relevait grandement le niveau. En effet, Melanie a toujours une voix aussi fluette, et nettement insuffisante pour la laisser chanter en lead, comme ce fut hélas le cas sur Washing Of The Water.

Signe qui ne trompe pas, les 2h45 sont passées très vite ; il faut dire que ce magicien qu'est Peter Gabriel a réussi à captiver et faire participer le public, puisque l'absence de batterie ne signifiait pas absence de rythme, et c'est spontanément que le public s'est mis à taper des mains en plusieurs occasions.

Un grand moment, c'est sûr, et encore une fois une prise de risque transformée avec brio par Peter Gabriel qui décidément semble pouvoir tout se permettre... Chapeau bas et merci.

1. Heroes
2. The Boy In The Bubble
3. Mirrorball
4. Flume
5. Listening Wind
6. The Power Of The Heart
7. My Body Is A Cage
8. The Book Of Love
9. I Think It's Going To Rain Today
10. Après Moi
11. Philadelphia
12. Street Spirit (Fade Out)

ENTRACTE

13. San Jacinto
14. Downside Up
15. Digging In The Dirt
16. Rhythm Of The Heat
17. Wallflower
18. Signal To Noise
19. Darkness
20. Washing Of The Water
21. Blood Of Eden
22. Solsbury Hill

RAPPELS

23. In Your Eyes
24. Don't Give Up
25. The Nest That Sailed The Sky

07 mars 2010

The Ghost Writer



Un "nègre" (ghost writer, en anglais) à succès est engagé pour terminer les mémoires de l'ancien Premier ministre britannique, Adam Lang. Mais dès le début de cette collaboration, le projet semble périlleux : une ombre plane sur le décès accidentel du précédent rédacteur, ancien bras droit de Lang...

De temps en temps, la revue de presse est unanimement dithyrambique sur un film. The Ghost Writer est de ceux-là. Pourquoi ? Cela peut provenir tout simplement du fait qu'on n'espérait plus grand-chose de Roman Polanski.

Et en effet, son dernier film permet de passer un moment indéniablement divertissant. Ce thriller paranoïaque fonctionne sur un suspense très hitchcockien, avec une facture classique à l'ancienne, y compris dans les éclairages artificiels, les décors, la musique rétro, et les "maladresses" (les photomontages grossiers sur les vieux clichés, les écrans bleus servant souvent aux arrières-plans ; même si on faisait autrement avant le numérique, le principe d'artifice reste le même). Tout ceci donne un charme suranné au film, on peut penser que c'est totalement volontaire de la part de Polanski, mais cela décevra probablement pas mal de cinéphiles.

La photographie n'est quant à elle pas folichonne, et c'est dommage car il y a de bien beaux paysages. La maison moderne mais épurée de l'ancien Premier Ministre britannique, et sa situation au bord de l'Atlantique américain sauvage, auraient pu devenir un personnage à part entière du film, comme la maison des Madison dans Lost Highway.

Le film est sans doute encensé exagérément par la critique, mais il faut reconnaître qu'il y a là un savoir-faire certain. Un savoir-faire à l'ancienne, finalement préférable aux âneries hollywoodiennes.

7/10

28 février 2010

A Single Man



Los Angeles, 1962. Depuis qu'il a perdu son compagnon Jim dans un accident, George Falconer, professeur d'université, se sent incapable d'envisager l'avenir. Solitaire malgré le soutien de son amie la belle Charley, elle-même confrontée à ses propres interrogations sur son futur, George ne peut imaginer qu'une série d'évènements vont l'amener à décider qu'il y a peut-être une vie après Jim.

Connu d'abord comme designer pour Gucci, Tom Ford est devenu l'un des grands noms de la mode avant de réaliser ce premier long métrage à 47 ans. Il n'a néanmoins guère choisi la facilité avec cette adaptation du livre Un Homme au singulier de Christopher Isherwood. Colin Firth fait ici une démonstration inattendue de son talent de composition (justifiée coupe Volpi de l'interprétation masculine à la Mostra de Venise en 2009) en incarnant ce professeur d'anglais émérite, que tout le monde admire, mais qui vit un enfer intérieur à cause de son homosexualité qu'il ne peut révéler. Le film aborde donc sans détour ce sujet de société, et en profite pour croquer occasionnellement, avec la férocité d'un Sam Mendes, la bien-pensante Amérique des années 60, reconstituée ici de façon fantasmée.

A Single Man n'a cependant rien d'un manifeste gay (même si on n'avait jamais vu un film triste aussi gay - copyright un grand rédacteur en chef adjoint d'un magazine à garder ici anonyme). Tom Ford déroule un programme expérimental, entre réalité et fantasme, sur une unité de temps rarement utilisée au cinéma (une journée). Il évite le piège du mélo grâce à la subtilité et l'élégance extrêmement classe de la réalisation (on a souvent évoqué Wong Kar-Wai, c'est dire). Il commet quand même une ou deux fautes de goût (par exemple, le jeune homo Carlos venant aborder George sous un soleil californien presque artificiel ; le tout semblant sorti tout droit d'une pub Levis). Mais rien de rédhibitoire ; Tom Ford impressionne avec ce premier film à l'ambiance mortiphère mais ô combien profond et esthétique.

8/10

14 février 2010

Valhalla Rising (avant-première)



Pour une présentation rapide de Nicolas Winding Refn, se référer à la note sur Bronson, son film précédent.

La soirée s'annonçait sous les meilleures auspices : avant-première à l'UGC des Halles en présence de Nicolas Winding Refn et Mads Mikkelsen. Le nouveau long-métrage d'un des cinéastes les plus iconoclastes, de retour avec l'acteur fétiche qu'il a fortement contribué à révéler avec Pusher. Une toile de fond très peu répandue au cinéma (les vikings), et une bande-annonce magistrale, loin des actioners américains.

Comme l'écrit DVDRama, "passé les premières minutes spectaculaires (explosion de crâne à mains nues, éviscération et décapitation), le reste du film n’est ni plus ni moins qu’une errance élégiaque, une lente agonie sur un drakkar avant la perte dans une nature hostile, gouvernée par une doublure invisible du monde, parcourue par une musique lointaine, nourrie de fulgurances hallucinées". Nicolas Winding Refn avait pourtant averti la salle en préambule : son film est un trip. Bronson en relevait déjà parfois, mais Valhalla Rising pousse le bouchon beaucoup loin, vraisemblablement trop loin.

Car si Refn est doué, il sabote sans le vouloir le résultat de Valhalla Rising en se rapprochant trop souvent d'un trip contemplatif à la Terrence Malick, comme il a saboté en partie Bronson en se flirtant d'un peu trop près avec Orange Mécanique. Dans ma note sur Bronson, j'avais eu la prudence de relever que Refn n'était pas (encore) Kubrick ; ce n'est pas un scoop, il n'est pas (encore) non plus Malick.

Et pourtant, les paysages somptueux des Highlands (Glen Affric pour les connaisseurs), véritables personnages à part entière (comme la Nature l'est chez Malick), offrent une toile de fond totalement propice à l'intériorité et l'âpreté des scènes en générales muettes, uniquement portées par une musique originale souvent étrange. A force de couper le spectateur de tout repère et de toute réponse tout en attisant sa curiosité (déloyal !), Refn délivre une expérience à la fois oppressante et nihiliste, indéniablement très prenante au début (ambiance Thorgal cauchemardesque), mais qui prend peu à peu des allures de purgatoire - pour les personnages, mais également pour les spectateurs.

Valhalla Rising est donc extrêmement frustrant. Le film avait absolument tout pour être le grand chef-d'œuvre de Refn : une originalité extrême, un Mads Mikkelsen muet au visage mutilé (effrayant mais terriblement charismatique), des décors naturels époustouflants, un montage chapitré aux ellipses totalement maîtrisées, une maîtrise de la mise en scène toujours aussi déconcertante, etc. Et pourtant, le cinéma, à l'instar d'une recette de chef, n'est pas juste une association d'ingrédients haut de gamme. C'est nécessaire, mais pas suffisant. Ici, on ne sait pas ce que Refn a voulu vraiment dire. Il a en tout cas oublié l'essentiel de son art : véhiculer des émotions. Avec Valhalla Rising, on a seulement des bribes de sensation.

6/10

12 février 2010

Mother



Un adolescent un peu attardé se retrouve accusé d'un meurtre particulièrement horrible. Sa mère se met en tête de trouver le vrai coupable afin de lui éviter la prison.

Après deux longs-métrages plaçant la barre très haut (Memories of Murder et The Host), toute nouvelle production de Bong Joon-ho attire une très vive curiosité. Le Coréen revient avec un film hybride de très haute tenue (encore une fois), avec une trame en trompe l'œil sur fond de thriller, mais explorant cette fois une cellule familiale hyper réduite (même si la critique sociale chère à l'auteur reste présente par esquisses). Les ruptures de ton sont légion, le tragi-comique aussi, et Bong Joon-ho signe une nouvelle fois une œuvre totalement maîtrisée de bout en bout (sidérantes scènes d'intro et d'outro), fourmillant d'idées jubilatoires de mise en scène. Franchement impressionnant, et rassurant : le Coréen ne semble pas prêt de tarir d'inspiration. Vivement la suite.

9/10