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08 mars 2009

Gran Torino



Le gros problème du grand Clint, c'est qu'il a beau être un acteur et un réalisateur surdoué, il n'est pas un auteur. Alors dire que la qualité de ses films dépend in fine de la qualité du scénario, c'est peut-être un peu simpliste, mais c'est en tout cas probablement corrélé. Avec le diptyque Flags of Our Fathers/Letters from Iwo Jima, le talent "technique" était au rendez-vous, mais le pathos lourdingue du scénariste Paul Haggis faisait passer le projet bien à côté de son potentiel. Avec L'Echange, que je n'ai point vu, le scénario est signé d'un auteur officiant sur des séries TV (Babylon, Texas Ranger...). Les critiques presse et public ont néanmoins été très bonnes, même si on n'a pas crié au chef d'œuvre.

Se remettant en scène pour la première fois depuis Million Dollar Baby en 2005, le père Eastwood semble avoir soigné de très près l'histoire dont il comptait incarner le rôle principal. Cela se comprend s'il compte réellement que ce rôle reste le dernier de sa carrière, comme il l'a annoncé. Le scénario est pourtant co-signé de deux inconnus, Nick Schenk et Dave Johannson, dont le CV sur IMDb est soit obscur, soit totalement vide. Tout juste sait-on que Nick Schenk a travaillé longtemps dans des usines au milieu de nombreux ouvriers Hmong, que cela l'a beaucoup inspiré pour enrichir les personnages et situations du script.

Beaucoup de détails ne sont pas nouveaux pour Eastwood : c'est la quatrième fois qu'il incarne un vétéran de la guerre de Corée, et son personnage n'est pas à proprement parler de grande composition (regard glacial, avare de paroles à part pour sortir une vacherie ou un propos haineux, etc.). C'est plutôt l'écosystème dans lequel le scénario le place qui est vraiment finement écrit. L'idée de choisir les Hmong, peuple de pays d'Asie avec une identité culturelle à part entière, jusqu'à présent jamais incarné au cinéma américain, est brillante car elle permet de mettre en place tous les éléments permettant de faire évoluer sans les clichés habituels le racisme primaire du personnage principal envers les Asiatiques, qu'il met dans le même sac que les Coréens qu'il a connu en temps de guerre.

Sur une trame classique (la rédemption par le sacrifice), Gran Torino parvient à captiver pendant deux heures durant, avec un panache époustouflant. Le suspense, les ruptures de ton (le comique succède au drame sans prévenir), les scènes chocs, les scènes-clés... il faudra plus d'une vision pour percevoir l'aspect pot-pourri de toute la mythologie eastwoodienne qui se trouve résumée ici. Un film-testament, en quelque sorte.

9/10

ps : techniquement, Eastwood a refait appel au directeur photo Tom Stern, qui a officié sur Mystic River, Million Dollar Baby, le diptyque Flags/Letters évoqué ci-dessus, et qui offre ses services à des films d'auteur comme le très beau Things We Lost In The Fire de Susanne Bier. Ce n'est certainement pas un hasard si on le retrouve dans ce film, et il faut avouer que le film, en plus, a une sacrée gueule sur grand écran.

20:36 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : cinéma, clint eastwood

05 mars 2009

AC/DC, Bercy, 25/02/2009



Les Tables de la Loi du Hard Rock : voilà l'impression dégagée par les 1h50 de show d'AC/DC, de retour (enfin !) sur scène, grâce à un album-prétexte honnête, mais dont le véritable intérêt est bien d'avoir relancé le groupe en tournée.

Les membres ont désormais entre 53 et 60 ans, mais ils ne dégagent pas du tout la même impression que d'autres quinquas pourtant illustres aussi : l'énergie est là, la communion avec la foule, totale. Certes, le spectacle tourne toujours autour de Brian Johnson, Angus Young, et des éternels mêmes gimmicks : mais comment résister à un spectacle aussi pur, aux racines du blues et du rock 'n' roll ? Pour l'instant, le temps n'a pas d'emprise sur eux. C'est sans doute LA dernière tournée où on peut encore les voir dans cet état de forme (à moins que Angus n'ait encore la rage à se rouler par terre à 60 ans ?).

A environ 66 centimes d'euro la minute de concert, ça reste indubitablement un des meilleurs placements possibles en terme de rapport qualité/prix pour un spectacle, surtout d'un groupe qui restera probablement d'un point de vue historique comme le référent absolu du genre.

Setlist:
Rock 'n' Roll Train
Hell Ain't A Bad Place To Be
Back In Black
Big Jack
Dirty Deeds Done Dirt Cheap
Shot Down In Flames
Thunderstruck
Black Ice
The Jack
Hell's Bells
Shoot To Thrill
War Machine
Anything Goes
You Shook Me All Night Long
T.N.T.
Whole Lotta Rosie
Let There Be Rock

Rappels:
Highway To Hell
For Those About To Rock (We Salute You)

19:39 Publié dans Concerts | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : concert, acdc, bercy

28 février 2009

Chris Cornell, La Cigale, 24/02/2009


(c) Photo : Rod @ Le Hiboo


Le public de la Cigale semble s'être divisé en deux catégories franches ce soir-là : ceux qui n'ont pas du tout apprécié, et ceux qui ont été ravis. Y a-t-il eu un juste milieu ? Apparemment non, ce qui explique qu'on puisse lire un peu tout et son contraire sur la blogosphère et les forums.

Chris Cornell suscite toujours une attente considérable : ce chanteur/compositeur - qu'à peu près n'importe quel groupe aimerait avoir (sa voix et son charisme ont peu d'égal) - a eu une carrière exceptionnelle au sein de Soundgarden, Temple Of The Dog, puis Audioslave. Ses albums solos ont toujours été bien reçus par la critique, et Cornell a même connu son plus grand succès en 2006 avec sa chanson You Know My Name, devenu un des trois thèmes les plus populaires de la saga James Bond. Son nouvel album solo n'est encore pas sorti à l'heure de la publication de cette note (sortie officielle le 10 mars), et ce concert de la Cigale, initialement prévu en juin 2008, avait été annulé suite à la volonté de Cornell de peaufiner son album.

Autant dire que le public était hyper à cran, et passablement agacé par une longue heure d'attente entre la première partie et le début effectif du concert vers 21h15. Alors ceux qui n'avaient pas encore jeté deux oreilles attentives à Scream, le nouvel album pas encore sorti donc (mais évidemment disponible officieusement sur Internet) n'étaient sans doute pas dans les conditions idéales pour découvrir l'intégralité de l'album joué live, d'une traite, pendant une heure. En effet, Scream propose une prise de risque des plus audacieuses : produit et co-écrit par Timbaland, Cornell a innové en proposant ses mélodies vocales inimitables sur une musique nettement plus R&B, avec boites à rythmes, loops, samples, etc. Il m'avait fallu personnellement minimum trois écoutes avant de commencer à bien appréhender l'album (qui est en fin de compte une franche réussite, à la hauteur du pari). Carnage, donc, pour ceux qui ont pris ça en pleine poire en live, qui ne s'y attendaient pas, et qui n'ont pas forcément l'esprit très ouvert !

L'attitude très nonchalante, presque stone de Cornell, a également attisé le mécontentement. Pourtant, je ne l'avais jamais entendu si bien chanter. La classe intégrale, sans avoir l'air de jamais forcer. Ajoutons que cette première heure était complexe techniquement, puisqu'il fallait une mise en place irréprochable afin de bien caler les loops avec les instruments live. Mention spéciale à la recréation sur scène de l'enchaînement des 13 titres (c'est une des caractéristiques de Scream : les titres n'ont aucune pause entre eux, et forment un tout cohérent).

La deuxième partie du concert fut consacrée à une prestation... juke-box ! Comme en atteste la setlist, rien n'était prévu, et l'ami Chris a tout simplement annoncé au public qu'il suffisait de lui crier ce qu'on voulait qu'il joue. Inévitable, c'est le grand succès You Know My Name qui commence, sur lequel il me semble que pas grand-monde n'a fait la fine bouche. On passe ensuite à une exclusivité avec Wide Awake, de l'ultime album Revelations d'Audioslave, qui a été joué pour la toute première fois en France, Cornell s'excusant par avance s'il allait commettre des erreurs ou oublier les paroles... ce qu'on aurait volontiers compris, mais rien à signaler, c'était tout simplement irréprochable. Soundgarden n'a pas été oublié, avec un Rusty Cage que je m'époumonais à réclamer, et miracle... c'est parti ! On a continué avec un superbe classique, le "tube" Hunger Strike (4e aux charts US en 1991) de Temple Of The Dog, repris en chœur par un public majoritairement trentenaire, qui a été bercé au collège et au lycée par Soundgarden, Pearl Jam et ce groupe éphémère constitué de membres des deux groupes. Le concert a hélas pris fin un peu trop tôt avec un dernier titre de Soundgarden, un autre classique issu du mythique Badmotorfinger : Outshined.

Le public aura beau eu réclamer un rappel, rien... ce qui a en effet laissé un goût d'inachevé. Du coup, la version big band du méga-tube Black Hole Sun de Soundgarden, diffusée dans la salle pour accompagner la sortie, a été copieusement sifflée par certains.

Si on tente de faire la part des choses, on peut retenir que le concert a proposé du bien bel ouvrage, avec une musicalité totalement au rendez-vous ; il a juste été un peu court, et programmé à un moment peu opportun, avant la sortie d'un album audacieux qu'il faut avoir découvert avant le concert.

Setlist :
Part of Me
Time
Sweet Revenge
Get Up
Ground Zero
Never Far Away
Take Me Alive
Long Gone
Scream
Enemy
Other Side of Town
Climbing Up the Walls
Watch Out
You Know My Name
Wide Awake
Rusty Cage
Hunger Strike
Outshined

23 février 2009

The Wrestler



Après la catastrophe The Fountain, inévitablement le quatrième long-métrage de Darren Aronofsky s'annonçait comme un couperet : soit on remisait pour de bons les espoirs placés en lui comme un des plus grands cinéastes américains de sa génération, soit Aronofsky allait clouer le bec à tout le monde. Le Lion d'Or remporté à Venise semblait donner un sérieux indice sur l'option à retenir.

Si tout le monde s'empresse de saluer - avec raison - la résurrection offerte à Mickey Rourke (le rôle de sa vie, le Golden Globe, l'Oscar... ha non finalement !), The Wrestler est bel et bien une résurrection aussi pour Aronofsky, qui réinvente totalement sa manière de filmer. Pour la première fois de sa carrière, il n'a pas participé à l'écriture du scénario, ce qui lui a sans doute permis d'une part de diminuer les risques en s'appropriant un scénario solide, et d'autre part de se consacrer à la mise en scène et à la direction d'acteurs.

A mille lieues du style de ses films précédents, Aronofsky a choisi le style documentaire et la caméra à l'épaule, avec une photographie blafarde. Il a privilégié le réalisme, en ne faisant appel par exemple qu'à de véritables catcheurs, et aucun cascadeur. Il nous emmène ainsi dans un monde inconnu, celui du catch ; si le cinéma américain a produit quantités de films ayant pour thème la boxe ou le football américain, cet autre sport violent qu'est le catch, véritable phénomène de société aux Etats-Unis, était jusqu'à présent curieusement toujours resté dans l'ombre.

Néanmoins, non seulement ce n'est pas un faux documentaire sur le catch (sans quoi cela m'aurait probablement barbé), mais en plus Aronofsky n'a pas choisi la face fun de ce sport ; plutôt la déchéance physique - et la mort prématurée - qui guette les catcheurs dont l'heure de gloire est passée, et qui se retrouvent obligés de se vendre pour des cachets minables dans des réseaux peu glorieux, fréquentés par les péquenots et autres beaufs. A moins d'avoir opéré à temps une reconversion, ils n'ont guère le choix : les catcheurs américains n'ont pas de syndicat, pas de retraite et pas de couverture sociale.

Le corps comme seule marchandise est un sujet dessiné habilement par le scénario, qui trace un parallèle entre le vieux catcheur et une strip-teaseuse dont le corps ferait encore bien des envieuses, mais dont l'âge est moqué par ses clients : difficile de faire rêver dans ce métier quand on va vers la cinquantaine.

En filmant à hauteur d'homme, sans lâcher d'une semelle un Mickey Rourke totalement habité par le rôle (peut-être qu'il n'a pas eu beaucoup besoin de se forcer, mais cela révèle alors l'intelligence finale du casting, car Nicolas Cage avait été le premier pressenti...), Aronofsky réussit à toucher juste et à faire naitre l'émotion dans quasiment chaque plan, et ce malgré une trame classique. Son attachement à nous montrer l'envers du rêve américain (des citoyens de seconde zone, laissés pour compte), sans complaisance, éloigne le film de toute entreprise douteuse, du genre machine hollywoodienne à faire pleurer dans les chaumières.

Si on ajoute une B.O. éminemment plaisante (Quiet Rot, Ratt, Cinderella, Scorpions, Firehouse, Guns N' Roses... wow !), on tient là probablement un des films de l'année. Grosse surprise, mais des comme ça, j'en veux bien d'autres.

9/10

22 février 2009

Ricky



Idéalement il faudrait voir Ricky sans rien savoir du film, et surtout en n'ayant pas vu la bande-annonce qui spoile méchamment. Heureusement, même s'il y a une révélation qui opère un changement brusque dans le film, ce changement n'est pas définitif (il n'est qu'une des nombreuses ruptures de ton du film), et Ricky ne repose donc pas là-dessus. Finalement, malgré les apparences trompeuses (pour ceux qui ont hélas vu la bande-annonce), Ricky est bien du pur Ozon, à savoir un film déstabilisant, puissamment original, prenant le contre-pied des conventions et se foutant pas mal du box-office : la gamelle est sans doute d'ailleurs assurée, mais pas méritée.

Ozon ouvre beaucoup de pistes dans Ricky, tant et si bien que même s'il laisse le spectateur maître de sa propre interprétation, le manque d'indices déconcertera probablement trop de monde, et de façon négative. C'est à la fois la force et la faiblesse de Ricky : difficile à aimer, mais pourtant impossible de ne pas y penser encore et encore. N'est-ce pas là un signe indéniable de réussite ?

Attention, spoilers pour la suite

La première partie du film met les deux pieds dans le réalisme social (nouveau pour Ozon -- photographie laide et triste à en pleurer, qui s'éclaircit peu à peu), dans lequel s'immiscent des pointes de malaise insidieux comme Ozon sait si bien le faire. Le sens de l'ellipse fait ici merveille, Ozon trace droit à l'essentiel et en quelques dizaines de secondes tous les doutes éventuellement liés à Alexandra Lamy sont dissipés. Ozon est un expert en casting, une fois de plus il gagne son pari en allant chercher une actrice venue de la sitcom TV pour lui faire interpréter une ouvrière à la vie médiocre.

Le malaise grandit lors de la découverte des moignons d'aile qui poussent dans le dos de bébé Ricky ; cette première rupture de ton nous rapproche énormément de Cronenberg, tout comme l'humour effroyable et terriblement décalé (par exemple, le plan sur le poulet). Lorsque les plumes se mettent enfin à pousser, on commence à basculer du côté de la fable fantastique, et c'est alors qu'Ozon gagne son pari, car il évite admirablement le ridicule en sachant tirer une ambigüité remarquable de toutes les situations qu'il met en scène. Là, il n'y a guère plus de comparaisons aisées, Ozon surprend, point final.

Bien entendu, notre raison, qui cherche systématiquement à mettre une signification derrière chaque chose, est fort contrariée lors du dernier plan de Ricky et il est facile alors de reprocher à Ozon de ne pas avoir su lui-même décider de ce qu'il avait voulu dire. A mon sens, Ricky évoque (pêle-mêle, certes, d'où le léger manque d'aboutissement par rapport à ses films précédents) les conséquences des bouleversements familiaux, qu'ils soient liés au couple (séparation, vie commune entre divorcés, etc.) ou surtout aux enfants avec une plongée dans la complexité des sentiments maternels.

Dit autrement par un spectateur : "Parabole aigre-douce sur l'enfant différent qu'on ne peut retenir, qui ne peut s'intégrer, mais qui devient littéralement ange et ange gardien pour une famille recomposée à travers son étrange histoire. Grande tristesse et grande mélancolie qui toucheront particulièrement ceux qui ont vécu ou vivent l'anormalité d'une situation parentale tragique"

8/10