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01 août 2009

Un Prophète



Pour la première fois, je me suis rendu à une projection-test pour l'attribution du Label des spectateurs UGC. Le principe ? Il s'agit de s'exprimer via un questionnaire sur un film, projeté en avant-première, dont le titre est tenu secret jusqu'au dernier moment afin de ne pas influencer le jugement. Si les réponses sont suffisamment positives, le Label des Spectateurs UGC sera attribué au film, qui bénéficiera ainsi d'une promotion appuyée dans les salles du reseau UGC pendant les deux semaines précédant sa sortie. Ce label, créé en 1999, est évidemment convoité par les distributeurs qui apprécient fortement cette promotion gratuite...

J'avais envie de voir en quoi consistait le questionnaire, afin d'avoir une vague idée d'à partir de quoi ce label est décerné. Sitôt rentré dans la salle, un doute énorme m'envahit, car je me dis qu'il y a bien peu de chance pour que ce soit un film qui m'intéresse (les derniers labellisés étant Jeux de Pouvoir, Millenium, Le Code a changé, Welcome...). Je me place donc en bout de rangée, craignant un peu la comédie ou le tire-larmes de la rentrée, prêt à partir si besoin une fois le titre du film dévoilé.

Le noir se fait, et apparaît - ô miracle - le symbole de la palme de Cannes, avec mentionné "Cannes 2009 - Grand Prix du Jury". Ouf ! Il s'agit du nouveau film de Jacques Audiard, qui a fait grand bruit sur la croisette, et qui figurait au top des pronostics pour la Palme d'Or, finalement décernée à Michael Haneke (qui avait lui aussi reçu le Grand Prix, en 2001 - chaque chose en son temps, Jacques !). Il faut néanmoins un peu s'intéresser un peu au cinéma, car il n'y aura en fait pas de générique, et le titre ne sera dévoilé qu'à la fin (coïncidence dû au montage du film, et non pas à dessein de la part d'UGC).

Si cette excellente surprise est pour moi presque jubilatoire, elle fait a contrario le malheur de grappes de spectateurs qui sortent au bout de 15 minutes de la salle, peut-être déconcertés de ne pas savoir à quoi ils assistaient (ils ont sans doute vite compris qu'il ne s'agissait pas du blockbuster de la rentrée), et surtout pris sous le choc d'un film qui annonce très vite la couleur : une descente sans compromis dans l'univers carcéral français. Ceux qui aiment le cinéma comme pur vecteur de divertissement en étaient pour leurs frais.

Un Prophète s'attache en effet à une tranche de vie d'un jeune délinquant, Malik, condamné pour six ans pour pas grand-chose, qui arrive en prison à 19 ans, totalement inexpérimenté, et qui va tirer parti de sa peine pour devenir à la fois plus intelligent et plus cultivé (en mettant à profit les cours dispensés aux détenus volontaires), et aussi beaucoup plus dangereux, grâce à des compagnons de prison peu recommandables.

Audiard a connu une médiatisation sans précédent avec De battre mon cœur s'est arrêté : succès public et critique, 8 Césars raflés sur 10 nominations... On se souvient de cette histoire d'un retour à la vie, de la rédemption d'un homme (Romain Duris) confronté à la folie du monde extérieur et à sa propre brutalité. Cet homme était un agent immobilier véreux qui expulsait avec violence et rage les squatteurs des appartements qu'il devait vendre, mais qui, dégoûté de ce qu'il était devenu, se remettait au piano, sa passion première.

Avec Un Prophète, on retrouve cette notion d'aliénation à son milieu, sauf que Malik, lui, va tenter de s'en tirer en devenant non pas respectable, mais en devenant si possible un leader, craint et respecté. L'environnement carcéral est souvent utilisé au cinéma pour des films d'évasion à suspense ; il est donc assez remarquable d'avoir vu la semaine dernière Bronson (qui montre la prison comme seul moyen de devenir célèbre pour un minable), et cette semaine Un Prophète, deux films se passant quasiment intégralement dans une prison, mais qui en font une étude de cas, loin des clichés.

Audiard a choisi le mode faux documentaire, avec réalisation intégrale à l'épaule (ça a l'air facile, mais ce qu'il a accompli est vraiment virtuose car jamais brouillon), et aucune stylisation à la De Palma : on n'est pas du tout dans Scarface. Oui, c'est cru, réaliste, et sec comme un coup de trique, si bien que la violence dépeinte, pourtant très loin d'un massacre à la tronçonneuse, fait l'effet d'un uppercut et a conduit directement pas mal de spectateurs dehors. Quand l'hémoglobine n'est pas accompagnée d'une ambiance grand-guignol ou tarantinesque, effectivement elle touche beaucoup plus et peut devenir difficile à encaisser. Et encore ; il y a fort à parier qu'Audiard n'a pas retenu le pire de ce qui peut se passer en prison.

Une fois passé les 20 premières minutes qui en feront stresser plus d'un, le film nous surprend par des séquences surréalistes qui montrent qu'Audiard a décidément plus d'un tour dans son sac. Ces séquences viendront ponctuellement aérer le film, lui permettant de respirer, renforçant les autres scènes "réalistes" et vice-versa. Il faut également concéder à Audiard, qui a co-écrit le scénario, qu'il est comme son père un très grand scénariste, car on se retrouve totalement pris par cette histoire au fil constamment surprenant, et au suspense reposant sur des ressorts inattendus.

Une énième force du film se trouve dans son casting, constitué d'inconnus (en dehors de l'inquiétant Niels Arestrup, le violent père du personnage principal dans De battre mon cœur s'est arrêté). Leur pedigree, leurs origines, leurs leitmotive font qu'il est impossible de s'identifier à qui que ce soit, et Audiard en joue énormément, sans pour autant prendre position et juger. A ce sujet, la fin du film fera sans aucun doute sourciller.

En 2h30 magistrales, sans aucune longueur, Audiard délivre une œuvre-choc qui mérite toute l'excitation cannoise. Ce n'est pas de chance pour Audiard de s'être trouvé face à Michael Haneke, qui est, il est vrai, un maître absolu de la mise en scène, et qui mérite, je n'en doute pas vraiment, sa Palme (la polémique avec Huppert m'amuse, voir ce qu'explique Bernardo Bertolucci, président du jury en 1990, pour l'attribution de la Palme à Wild At Heart de David Lynch, dans les suppléments du DVD de ce film). Par ailleurs, on ne peut s'empêcher de penser que Entre les murs a décidément eu beaucoup de chance avec sa Palme d'Or en 2008, car il fait figure de pois chiche face à Un Prophète. Mais suivant les années, on ne se retrouve pas face aux mêmes concurrents. Allez, la prochaine fois, Jacques, la Palme est pour toi, vu le niveau que tu as atteint, ça finira par arriver...

Par contre, je suis prêt à parier que le film n'aura pas le Label des Spectateurs UGC, mais il n'aura aucunement besoin de ça pour trouver son public.

9/10