09 octobre 2006
Le Parfum : histoire d'un meurtrier
Il est notoire que le romancier Patrick Süskind souhaitait vendre les droits de son best-seller Le Parfum si et seulement si Stanley Kubrick le mettait en scène. Or, le maître Kubrick avait jugé la transposition à l'écran impossible, et il ne fut pas le seul (Martin Scorsese, Ridley Scott, et Tim Burton aussi jetèrent l'éponge). L'écrivain céda finalement en vendant ses droits en 2001 pour la coquette somme de 10 millions d'euros. Pourtant, lui-même ayant été si hésitant pendant si longtemps, et avec autant de réalisateurs prestigieux découragés par l'adaptation du livre, tout ceci était de mauvais augure. Même si de bonnes surprises peuvent évidemment arriver (cf. Le Festin Nu de Cronenberg adapté d'un roman réputé inadaptable), cette fois-ci, le miracle ne semble pas avoir eu lieu.
Je dis "semble" car personnellement je n'ai pas lu le livre, ce qui est un avantage. Je trouve donc le film en lui-même globalement décevant, pour plusieurs raisons.
Le Parfum est le film le plus cher de l'histoire du cinéma allemand, et son réalisateur, Tom Tykwer, est réputé pour son talent technique (plans, figures de style, rythme, couleurs...). Cela se voit à l'écran : le film est gravement chiadé. Mais cette application à tout peaufiner et à user d'effets racoleurs (ha, ces accélérations...) donnent à ce film d'époque un style visuel se situant, pour donner une idée, à un croisement entre du Christophe Gans, du Jean-Pierre Jeunet, avec une touche de Pitof (si si...). Au final, je trouve cela boursouflé, artificiel, écoeurant.
Si la première partie du film, se situant à Paris, reste globalement intéressante (de la naissance jusqu'à l'apprentissage de Jean-Baptiste aux côtés du parfumeur Baldini), la seconde, axée sur les meurtres et la quête du parfum ultime, est non seulement peu crédible (Jean-Baptiste n'est pas inquiétant et acquiert au contraire une dimension quasi-fantastique, donc on ne s'étonne plus de rien), mais également fort laborieuse. La fin, bâclée, est à la limite du ridicule (mais on peut trouver ça "merveilleux"), et ne m'a pas inspiré autre chose qu'un "tout ça pour ça ?".
Heureusement, l'interprète de Jean-Baptiste, Ben Whishaw, est totalement habité par son rôle. Regard magnétique et presque animal, c'est grâce à lui que ces 2h27 ne m'ont pas paru finalement trop longues (même si le film gagnerait à être nettement plus court). Quant au défi de transposer à l'écran un thème central qui tourne autour des odeurs, chacun jugera si la débauche de couleurs utilisées évoque ou non en soi des sensations équivalentes à celle de l'odorat. J'essaierai de lire le roman pour voir si l'imaginaire est plus puissant !
6/10
09:48 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (1)
02 octobre 2006
Hard Candy
Présenté au festival du film de Sitges en 2005, Hard Candy, premier film de David Slade, est reparti avec pas moins de 3 prix (Prix du Public, Prix du Meilleur Film et Meilleur Scénario).
Alors que le film vient de sortir en DVD aux USA, le film a été présenté il y a quelques semaines à Deauville, et sort maintenant enfin chez nous.
Amateurs de huis clos et de scènes difficiles à endurer pour les nerfs, comme savent le faire Takashi Miike ou encore Park Chan Wook (le sang en moins ici), ce film est pour vous.
Le titre du film est une expression anglaise désignant les mineures surfant sur Internet et adeptes du chat. Le scénario s'inspire des jeunes filles au Japon qui entament des relations sur le web avec des hommes plus âgés, en leur donnant rendez-vous, pour les attendre avec plusieurs ami(e)s afin de les agresser.
Ici, l'histoire est simplifiée vu qu'il s'agit d'une seule fille (Ellen Page, vue dans X-Men 3, elle incarnait Kitty Pryde, la mutante passe-muraille), qui traque un type qui cherche les adolescentes sur Internet. Mieux vaut éviter de révéler quoi que ce soit de plus pour ne rien déflorer de l'intrigue. La performance d'Ellen Page, 19 ans, est sidérante. Il fallait beaucoup de courage pour s'attaquer à un rôle aussi difficile psychologiquement.
Techniquement, il y a de quoi être scié par la virtuosité des plans, la colorimétrie glaçante, la maîtrise totale du découpage spatial et la mise en scène millimétrée. Alors que cette dernière devrait se servir à elle-même, Slade a hélas recours parfois à des effets léchés surlignant inutilement son message. Et le film est peut-être trop long d'environ dix minutes. En dehors de ces deux "défauts", Hard Candy touche presque à la perfection en matière de huis clos sadique (mais pas gratuit, ce n'est pas Hostel !).
Il vous sera quasiment impossible de ne pas être littéralement scotché au fauteuil (surtout si vous êtes un homme...), et les thèmes de la pédophilie et de la vengeance sont ici abordés sous un jour totalement nouveau. Bref, le film fait en plus réfléchir en sortant de la salle, et ce n'est pas toutes les semaines qu'il nous arrive un long-métrage avec autant de qualité en provenance des USA. A ne pas rater !
8/10
16:15 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0)
01 octobre 2006
Indigènes
Difficile de dire du mal de ce film sans être taxé de pauvre imbécile ; alors précisons bien les choses dès le départ. Oui, Indigènes est formidable parce qu'il ose traiter d'un sujet dont la France a honte. Sa mise au point sur les soldats issus de notre ex-empire colonial et le traitement qu'on a leur infligé pendant la guerre, et après jusqu'à aujourd'hui, est salutaire, et le miracle a eu lieu, puisque les pensions des soldats "indigènes" encore vivants seront enfin réajustées au même niveau que celles des métropolitains, comme l'avait pourtant exigé le Conseil d'Etat il y a plusieurs années. Rien que pour ça, Indigènes est bien entendu nécessaire et essentiel.
Dans ce blog, je m'attache néanmoins plus aux objets filmiques en eux-mêmes qu'à leur utilité pédagogique ou civique. Or, d'un point de vue purement cinéphile, Indigènes est par contre à mon avis une oeuvre très moyenne.
Rachid Bouchareb semble écrasé par le poids de son sujet. On ne compte pas le nombre de scènes "gros sabots" qui tour à tour déversent leur plein émotion, d'héroïsme, de bravoure, ou encore de grandes injustices. Les ficelles sont hélas bien grosses, très didactiques, si bien que la plupart des scènes ne prennent pas spécialement aux tripes.
Le film souffre également souvent d'un manque de réalisme. Jamais on ne sent le danger, ni la douleur des soldats, dans les scènes de combat, dont on sent rapidement les limites en terme de mise en scène (des montagnes marocaines aux Vosges). Exception : le bruit des détonations (tirs d'artillerie ou armes de poing), qui semblent aussi soignées que celles d'Un long dimanche de fiançailles de Jean-Pierre Jeunet ; et la scène de combat finale, qui a apparemment été nettement plus découpée et réfléchie.
Le prix d'interprétation masculine à Cannes est sans doute justifié ; et c'est bien sur ses acteurs que le film repose, et qu'il se laisse regarder malgré tout. Reste que le cinéphile aura sans doute du mal à ne pas rester sur sa faim.
5/10
20:10 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (2)
28 septembre 2006
La Méthode
El Método est apparemment le 6ème long-métrage de l'argentin Marcelo Piñeyro, et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'après avoir vu la maîtrise de ce film, cela donne envie de voir ses oeuvres précédentes.
Sept candidats se présentent dans une multinationale qui veut embaucher un nouveau cadre. Au lieu d'être reçus un par un pour un entretien privé, ils sont conviés autour d'une table avec un écran d'ordinateur en face de chacun d'entre eux, qui va leur donner des instructions pour la suite de la sélection. Après s'être présentés les uns aux autres avec méfiance, tous commencent à se demander s'ils ne sont pas observés par des caméras et si l'on n'a pas infiltré parmi eux un psychologue qui serait en train de les examiner, pour les éliminer un par un...
Ce pitch est propice à une étude psychologique extrêmement intéressante mais encore fallait-il que les textes soient brillants, pour réussir à captiver le spectateur pendant presque deux heures (sous forme de huis clos pendant plus d'1h30). Le pari est quasiment totalement réussi, car le sentiment de piège qui s'est refermé autour de ces candidats est presque stressant et la pression ne se relâche vraiment que dans les tout derniers plans. Seule une scène paraît peut-être de trop, et pas au niveau du reste du film.
Sous forme de joute mentale fort cruelle (voire perverse), c'est bien une critique acerbe du libéralisme et de ses excès (manque d'éthique en particulier) qui est ici dessinée avec brio. La mise en scène est très dynamique et de nombreuses trouvailles permettent à la caméra de respirer dans cet espace restreint. Les acteurs, quasiment tous inconnus pour nous, sont réellement brillants et parviennent à semer constamment le doute sur qui ils sont vraiment et quelles sont leurs intentions réelles.
Dans une note précédente, je louais la vitalité du cinéma sud-américain, qu'il soit filmé en langue espagnole ou portuguaise. Marcelo Piñeyro vient tout simplement grossir les rangs du club des très doués, aux côtés de Fernando Mereilles, Alfonso Cuarón, Carlos Sorin, Walter Salles, et du très regretté Fabián Bielinsky, décédé cette année d'une crise cardiaque, parti bien trop tôt en nous laissant une perle (Les Neuf Reines - Nueve Reinas, 2000) et un chef d'oeuvre (El Aura, 2006).
Que vous soyez cadre dans une entreprise, ou que vous ayez déjà passé des entretiens, ou bien encore que le libéralisme vous écoeure, La Méthode vous touchera. On ne ressort pas indemne d'une telle douche glaçante.
8/10
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23 septembre 2006
12 and holding
Dans une banlieue américaine, trois copains de 12 ans - le timide Jacob, la précoce Malee et Leonard l'obèse émotif - quittent brutalement le monde insouciant de l'enfance suite à la mort accidentelle du frère jumeau de Jacob.
Ils vont éprouver des sentiments jusqu'alors inconnus : la vengeance, le chagrin devant la perte d'un ami et les premiers émois amoureux, sans pouvoir compter sur leurs parents eux-mêmes en difficulté.
Après le très remarqué Long Island Expressway (L.I.E.), qui explorait l'étrange relation unissant un adolescent à un quinquagénaire, Michael Cuesta revient avec ce fort attendu deuxième long-métage abordant des thèmes délicats tels que le rapport des adolescents à la mort et à la sexualité, la délinquance des mineurs et le désir de vengeance.
Entretemps, le cinéaste a signé plusieurs épisodes de la série culte Six Feet Under dont la réputation est totalement à la hauteur de sa qualité scénaristique et plastique.
Cuesta transforme ici toutes les attentes placées en lui en nous proposant une tragédie sous forme d'études de moeurs adolescentes, mais sans grandiloquence ni lourdeur. L'intelligence du propos permet d'apporter l'humour nécessaire pour souffler, en exploitant finement des situations pourtant dramatiques.
Ceux qui apprécient le travail de Larry Clark (Ken Park, Wassup Rockers...) ne doivent pas hésiter un seul instant à aller voir 12 and holding. Cuesta maîtrise (pour l'instant ?) peut-être un peu moins l'emploi de la musique (un peu quelconque) et du montage que le maître Clark, mais il se positionne déjà comme un redoutable observateur de la complexité du passage du monde de l'enfance à celui de l'adulte.
8/10
15:02 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0)