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06 décembre 2006

Black Book



En tant que très, très grand admirateur du réalisateur Paul Verhoeven, j'avais une appréhension considérable à l'idée de voir enfin son nouveau film après 6 cruelles années d'absence. Son film précédent, Hollow Man, était alors certainement le seul échec artistique de sa carrière (puisque logiquement le seul où il fut réellement bridé), et c'est bien son dégoût d'Hollywood qui l'a fait finalement abandonner le cinéma, pour heureusement revenir filmer dans son pays d'origine (boucle ironique puisque c'est justement à cause de scandales et de difficultés à monter ses films dans les Pays-Bas que Verhoeven s'était exilé au milieu des 80's aux USA, avec le succès que l'on sait : Robocop, Total Recall, Basic Instinct, Showgirls, Starship Troopers).

Le cinéma de Verhoeven n'a jamais été à mettre devant tous les yeux. Le Hollandais a toujours choqué, mais la provocation n'a jamais été une fin en soi chez lui. C'est plutôt parce que Verhoeven sait mettre en scène comme personne la violence, l'amour ou la perversité des hommes qu'il a toujours provoqué des réactions sulfureuses. Or, avec lui, il faut lire entre les lignes, aller au-delà des apparences, pour découvrir ses messages.

Ne pas connaître, par exemple, sa filmographie pré-hollywoodienne est sans doute un petit handicap pour totalement appréhender Black Book. Bien que le grand public connaisse principalement les films hollywoodiens célèbres cités plus hauts (dans lesquels Verhoeven a néanmoins su insuffler toutes ses obsessions, en montrant en particulier la corruption, le capitalisme éhonté et la presque fascisation de l'Amérique, ce qui lui a valu un terrible retour de bâton), Verhoeven a tourné autant de films dans les Pays-Bas, et tous sont extraordinaires, même encore aujourd'hui, par leur vision à la fois dure et terriblement ironique des moeurs de la société. La finesse de la plume de Gerard Soeteman, le scénariste fétiche de cette période hollandaise de Verhoeven, a été remise à contribution pour Black Book.

Dans son jeune âge, Verhoeven a vu et a été traumatisé par les atrocités de la seconde guerre mondiale. Il a déjà tourné un excellent film à ce sujet, Soldier Of Orange (1977), qui brossait le destin d'amis étudiants, broyés par le déclenchement des hostilités (certains optent pour la résistance, d'autres choisissent de collaborer, sans que les liens d'amitié qui les unissaient ne soient totalement rompus). Starship Troopers, sous ses aspects de blockbuster SF, renvoyait bien évidemment de manière très subversive à nombreuses thématiques de WWII.

Verhoeven décrit ainsi l'histoire de Black Book :

"Ce film est inspiré d'évènements réels... Tous les personnages que je montre sont tous basés sur des personnages réels, bien que Rachel, le personnage qu'interprète l'actrice Carice Van Houten, soit l'amalgame de trois résistantes, qui toutes les trois ont été éxécutées, soit avant, soit après la libération de la Hollande. Les autres personnages ne sont pas des amalgames mais des personnages basés sur des personnes ayant réellement vécu. En gros, c'est l'histoire d'une jeune femme juive qui doit se cacher. Le film se situe entre septembre 1944 et mai 1945. Le Nord de la Hollande est à cette époque occupé, Paris a déjà été libéré et c'est son histoire, sa façon de survivre, à travers des circonstances vraiment difficiles. Elle tente de rallier le Sud, libre, de la Hollande mais elle n'y arrive pas et on se rend compte, dans cette plongée de l'horreur, que la Résistance n'est pas aussi belle qu'on pourrait l'imaginer et que certains des Allemands ne sont pas si horribles que cela."

La dernière phrase a toute son importance. Black Book tire sa force de son refus du manichéisme : Verhoeven a voulu montrer à quel point l'attitude des Hollandais a été ambiguë et parfois même terrible. Il prend ainsi le contrepied des films sur la résistance : personne n’est vraiment une ordure, ou à l'opposé, un vertueux, dans des situations extrêmes. Néanmoins, Verhoeven a évité de pousser trop loin la dramatisation, grâce à une tonalité généralité presque enjouée ; ou comment dire des choses profondes avec légèreté. Pour un retour, Verhoeven a vraisemblablement voulu éviter de trop choquer, et on retrouve surtout le Hollandais dans ses scènes naturistes (évoquant Turkish Delight, 1973, film censuré en France pendant plus de 20 ans), dont on ne dévoilera ici aucun ressort pour ne pas gâcher le plaisir. On retrouve aussi bien entendu aussi Verhoeven dans toute la grâce de sa mise en scène, qui sait exploiter en outre le meilleur d'un budget assez bas pour les scènes d'action. La photographie est éblouissante. Les 2h20 du film passent fort vite...

Un film de Verhoeven doit tout de même en général énormément aussi à ses héroïnes qui composent bien souvent le premier rôle de ses films. Verhoeven et les femmes : longue histoire d'amour en effet (quelques actrices lui doivent entièrement le lancement de leur carrière avec des rôles de terrifiantes "mantes religieuses" : Jennifer Jason Leigh, Sharon Stone, Elizabeth Berkley). Le retour de Verhoeven dans son pays natal posait néanmoins la question de comment succéder à ses muses de l'époque, les non moins extraordinaires actrices bataves Monique van de Ven et Renée Soutendijk. Il semblerait qu'à chaque époque il y ait au moins une actrice idéale pour les rôles de Verhoeven, et Carice van Houten est une révélation choc. A la fois décomplexée (il le faut pour tourner avec Verhoeven !), fragile, touchante, et très déterminée, sa beauté n'a d'égale que son talent qui irradie Black Book.

C'est donc avec un très grand soulagement que j'ai accueilli Black Book, car Verhoeven réussit un retour gagnant dans lequel il garde toute sa verve, avec un habillage de facture plus classique mais non moins très divertissant et émouvant, qui devrait lui assurer un succès de fréquentation minimal. Ce qui, je l'espère, lui permettra de financer des oeuvres à nouveau plus radicales ou ambitieuses (et cela n'est nullement péjoratif pour Black Book).

9/10

15:25 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Cinéma

03 décembre 2006

The Departed



Pschittttttt... voilà l'effet produit par cette baudruche qu'est le dernier film du grand Martin Scorsese, dont le cinéma est malade depuis plus de 10 ans. A quand remonte le dernier grand, très grand film du maître ? A Casino (1995), le seul qui a gardé depuis la stature d'un film mythique.

Scorsese n'a plus rien à prouver, certes. Il a logiquement pris des risques, en tentant de se diversifier, avec des demi-réussites (Bringing Out The Dead, Gangs Of New-York). Maintenant, il se contente de dérouler, avec cette série B qu'est The Departed, une adaptation (pas un remake) du film hong-kongais Infernal Affairs. Pour que le grand Martin en soit arrivé à s'inspirer d'un matériau cinématographique pré-existant, c'est qu'il y a un problème. La réalisation de Scorsese reste splendide, mais tout le reste du film est sapé de l'intérieur :

- par le scénario : 2h30 pour raconter ce que Infernal Affairs disait, en plus clair et plus efficace, en 1h37 ;

- par le casting : Matt Damon, lisse au possible, ne parvient jamais à faire croire qu'il appartient réellement à la mafia, aucune dualité ne ressortant de son jeu hébété ; Mark Wahlberg campe un rôle outrancier qui n'existe que par le flot de jurons qu'il débite ; Vera Farmiga ne joue pas mieux qu'une potiche de service en limitant son expression à des battements de cils (on l'a vu plus inspirée dans Running Scared) ; Jack Nicholson dans un numéro en roue libre auto-parodique, etc. ;

- par la musique : il serait temps pour Scorsese se mettre un peu à la page. La musique des Rolling Stones, Beach Boys, John Lennon, c'est de l'hyper-populaire, c'est très sympa, mais il est incroyable qu'un artiste comme Scorsese tombe dans ce piège si classique de nous passer ses disques préférés dans la bande originale. D'autant que l'âge vénérable de ces compositions ne cadre vraiment pas avec les caractéristiques de l'histoire contée. Seule exception notable, et hélas bien ridicule dans son intégration, le titre de I'm Shipping Up To Boston du groupe US de punk hardcore Dropkick Murphys, qui a la particularité d'intégrer un joueur de cornemuse.

Pour ceux qui n'ont pas vu Infernal Affairs, The Departed sera probablement un bon divertissement, la patte Scorsese permettant de digérer le tout. Mais dans le cas contraire, il est inévitable de ne pas faire la comparaison, et là, ça fait mal. Car The Departed illustre finalement, malgré Scorsese à bord, tout ce qu'une adaptation américaine peut apporter de désastreux : nivellement par le bas du récit, situations clichés, manque d'épaisseur des personnages. Bref, le fameux tamis hollywoodien qui ne retient (et amplifie) que les grosses ficelles.

6/10

17:25 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Cinéma

28 novembre 2006

Casino Royale



James Bond est mort, vive James Bond... la franchise était à ce point moribonde que des changements drastiques s'imposaient. Personnellement, je me suis déplacé uniquement parce que c'est Daniel Craig qui incarne 007, et ce changement d'acteur est à la fois salutaire et révélateur : Casino Royale est bien à l'image de son acteur principal, mélange de virilité, brutalité, et introspection.

James Bond version 2006 ne fonctionne plus à l'épate (exit les les pures potiches faire-valoir, exit les gadgets, ouf !), mais se rapproche de près du mythe du héros des années 2000, tel que modelé par les séries TV américaines (Jack Bauer en tête). James Bond est désormais un gros dur, violent, mais capable de sentiments, de doutes, et finalement, faillible (même dans l'action). On y perd en identité (la rupture avec la vision classique de 007 étant définitivement consommée), mais on y gagne en crédibilité.

Casino Royale ne serait néanmoins qu'une grosse machinerie hollywoodienne de plus si le scénario n'avait pas été un peu plus travaillé que la moyenne. Quoi de plus normal après tout lorsque celui-ci est co-signé Paul Haggis, dont la cote a explosé depuis Million Dollar Baby ? En dehors de scènes d'actions vraiment impressionnantes (qui viennent sans problème concurrencer celles de MI:3 de J.J. Abrams), le scénario a la bonne idée de proposer des scènes nettement plus tendues psychologiquement (la partie de poker est un régal, tout en évitant les clichés habituels liés aux environnements de casinos), sans oublier l'humour, qui a heureusement su rester typiquement british (on est heureusement loin des punchlines à la Die Hard !).

Il n'y a pas de bon films de James Bond sans un bon méchant... or le casting a été chercher le Danois Mads Mikkelsen pour incarner Le Chiffre, ce qui est une satisfaction personnelle, l'ayant vraiment apprécié dans les films de son compatriote Anders Thomas Jensen (Les Bouchers Verts, Adam's Apples). Cette "sortie" hollywoodienne est largement méritée.

Avec un tel scénario et de tels acteurs, le réalisateur Martin Campbell, bon faiseur hollywoodien (de Goldeneye aux derniers Zorro), n'avait plus qu'à dérouler. Rien à redire, le résultat en est un divertissement inoffensif de luxe, ce que les films de James Bond auraient toujours dû être. On peut tout de même regretter les véritables "pubs" infligées de manière honteuse pour divers produits, des voitures aux montres en passant par les ordinateurs... Un peu plus de discrétion serait la bienvenue.

8/10

11:42 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Cinéma

26 novembre 2006

The Host



Le Coréen Bong Joon-ho nous avait totalement épaté avec Memories Of Murder, deuxième film d'une qualité stupéfiante : un polar tragique et burlesque, au suspense haletant, dont les codes relatifs au film sur un serial killer étaient détournés avec une aisance et une réussite déconcertantes.

Bong confirme avec The Host, autre film de genre (fantastique cette fois), qu'il possède une virtuosité comparable à celle de son compatriote Park Chan-wook, mais avec un discours beaucoup moins creux. Comme dans son film précédent, non seulement Bong ne se laisse pas enfermer dans les clichés du film de genre, mais encore une fois il les détourne, et les ouvre vers d'autres frontières, notamment la satire sociale et la charge politique. Bong se moque ouvertement des USA dans le scénario, mais il le fait également dans sa mise en scène en réglant son compte aux conventions hollywoodiennes.

L'intelligence (et l'humour tragi-comique) du scénario n'a donc d'égale que la richesse de la mise en scène (extraordinaires premières 20 minutes, à montrer dans les écoles !). Le "monstre" (une bestiole mutante créée par des rejets toxiques de la part de l'homme) n'intéresse pas vraiment Bong ; c'est plutôt les causes et conséquences de son existence et des problèmes qu'elle pose qu'il cherche avant tout à explorer. Le spectateur lambda pourra se repaître du spectacle tandis que les cinéphiles avides de niveaux de lecture trouveront beaucoup, beaucoup de subtilités et de paradoxes à se mettre sous la dent.

Le seul minuscule bémol que j'apporterais à ce deuxième film est peut-être un certain manque d'émotion, certainement dû aux thématiques abordées ; la teneur dramatique portée par The Host est bien moins forte que Memories Of Murder.

J'ai néanmoins très hâte de voir où Bong Joon-ho va continuer à nous emmener. Son troisième film déclenche tous les fantasmes, puisqu'il s'agira en principe de l'adaptation d'une BD française d'anticipation sur fond de critique sociale (La Transperceneige), produite par Park Chan-wook (!). Vivement 2008...

9/10

19:10 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : cinéma

19 novembre 2006

Babel



Le talent du duo mexicain formé par Alejandro González Iñárritu (réalisateur) et Guillermo Arriaga (scénariste) n'est plus à démontrer. Amores Perros (Amours Chiennes) et 21 Grams sont deux films majeurs des années 2000, exemples époustouflants du mariage inespéré de deux virtuosités (formelle et narrative) qui ne s'éclipsent jamais au profit de l'une ou de l'autre.

Babel conclut (?) ainsi un cycle où le point commun est un accident va relier des gens qui n'ont aucune raison de l'être. Chacun des films d'Iñárritu dessine un effroyable puzzle de destins broyés, doublé d'une méditation sur le hasard et de sa noire ironie sur le cours de nos vies. Alors que Amores Perros et 21 Grams avait chacun leur propre unité de lieu, Iñárritu et Arriaga ont voulu s'attaquer à plus universel, en multipliant cette fois les pays où se déroule l'action, avec pas moins de trois continents pour trois histoires parallèles. Le but : montrer cette fois le paradoxe de l'universalité de la douleur et des gouffres d'incompréhension entre civilisations de cultures différentes.

Le duo a donc voulu montrer d'un cran la difficulté de l'exercice. Iñárritu a reçu cette année pour Babel la Palme de la mise scène à Cannes, et c'est parfaitement justifié, tant sa virtuosité reste éblouissante. Iñárritu n'a pas son pareil pour cadrer et capter les paysages, les acteurs, avec une ferveur et une audace folles, le tout magnifié par un montage extrêmement précis et habile. Par contre, cette fois, c'est le scénario qui ne réussit pas totalement à atteindre l'objectif fixé. Trop ambitieux ? Pour la première fois, Arriaga ne parvient pas à donner une véritable symbiose aux trames parallèles. Certes, elles sont reliées par des arcs, mais parfois trop ténus, et tout au long de Babel on a trop l'impression de voir trois films en un ; de surcroît, la partie se déroulant au Japon, malgré une idée géniale d'utiliser des acteurs sourds et muets, n'est pas au niveau des deux autres se déroulant au Maroc et aux Etats-Unis (et Mexique). Il manque clairement la constante intensité émotionnelle à laquelle Arriaga nous avait habitués, y compris avec son scénario pour le film de Tommy Lee Jones, Trois Enterrements (Palme du meilleur scénario à Cannes en 2005...).

Babel propose quand même un grand nombre de moments magiques, que ce soit dans l'action ou dans la contemplation, mais il faut bien avouer que Babel est inégal tout au long de ses 2h20. Une telle oeuvre reste tout de même très au-dessus de la masse des films sortis cette année, mais pour du Iñárritu, je ne peux pas m'empêcher d'être un peu déçu de voir que le maître n'a pas réussi un troisième chef d'oeuvre. J'espère qu'il passera à d'autres défis que le film choral, et il pourrait être intéressant de le voir aussi travailler avec un autre scénariste. Ma confiance n'est néanmoins pas entamée : je suis toujours persuadé qu'Iñárritu sera, à l'heure du bilan d'ici quelques dizaines d'années, un des plus grands réalisateurs que la Terre ait portée.

8/10

22:35 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma