16 février 2007
The Good German
Après l'expérimental Bubble, et en attendant Ocean's 13 en juin, le surdoué Steven Soderbergh s'amuse une fois de plus à brouiller les pistes en multipliant les projets on ne peut plus différents. Cette fois, il s'attaque à un thriller dramatique situé en 1945, en plein Berlin, au moment de la conférence de Postdam. Fort bien, mais Soderbergh s'est lancé dans un exercice de style, consistant à non seulement tourner en noir et blanc, mais à aussi à donner à son film tous les aspects d'un film tourné à l'époque du récit.
Nous avons donc droit à un générique en 4/3, avec les moyens d'incrustations de l'époque ; une image retravaillée pour lui donner des défauts (rayures, tâches) ; une vitesse de défilement légèrement accélérée par moments ; un son parfois défaillant, une musique très appuyée...
Cette démarche peut faire penser à celle de Guy Maddin et son dernier film, The Saddest Music In The World. Néanmoins, si Maddin était allé beaucoup plus loin (lui avait cherché carrément à remonter aux sources du cinéma parlant), il avait également su tirer une étrange modernité de son film par une mise en scène qui elle, n'empruntait rien au passé. Or, Soderbergh, lui, étouffe quasiment son style dans The Good German. En dehors de quelques fulgurances qui lui sont propres, le film dégage une terrible odeur de naphtaline. Si techniquement, l'exploit est sans doute de taille (et la photographie noir et blanc, surexposée et savante, est superbe), on peut se questionner sur l'intérêt d'une telle démarche. Hommage, oui, certes, et alors ?
De plus, tout affairé à sa mise en scène taxidermiste, Soderbergh semble pour la première fois de sa carrière, avoir oublié de se pencher autant sur le scénario, même s'il n'est pas de son oeuvre (mais de celle du scénariste de Donnie Brasco, mais aussi du nanar La Somme de toutes les peurs), et même s'il est adapté d'un roman de Joseph Kanon. Ce qui aurait pu être un terrible constat sur la chasse aux nazis et les prémices de la guerre froide dans cette Allemagne en ruine, se retrouve être une collection d'images sans rythme, sans énergie, et après un bon début, c'est l'ennui qui gagne. Même George Clooney, dont c'est la cinquième participation à un film de Soderbergh, semble ici transparent. Je ne retiens que la performance de Cate Blanchett, qui irradie l'écran. C'est maigre. Grosse déception donc d'un des plus intéressants cinéastes américains. Steven, reprends-toi, vite !
6/10
08:29 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Cinéma
11 février 2007
La Vie des autres
Après avoir vu ce film, on peut avoir un réflexe : retenir le nom (pourtant un peu compliqué) de Florian Henckel von Donnersmarck. Pour son premier film, ce jeune homme allemand (mais diplômé en philosophie de l'université d'Oxford) de 33 ans s'est permis de rafler quantités de récompenses, et pas seulement dans son pays. C'est amplement compréhensible au vu des qualités de La Vie des autres, si nombreuses qu'on ne les trouve habituellement que dans une oeuvre d'un cinéaste confirmé.
De facture "classique", la mise en scène est discrète mais totalement appropriée à la mise en valeur du jeu des acteurs et de l'émotion. Un soin particulier a été visiblement accordé à la photographie (oeuvre de Hagen Bogdanski, responsable de celle d'Antibodies). Le plus impressionnant, techniquement, reste sans doute la direction des acteurs, car le casting comporte plusieurs pointures allemandes, dont Sebastian Koch (vu récemment sur nos écrans dans le dernier film de Verhoeven, Black Book). Là encore, grand signe de maturité de la part du cinéaste.
Enfin, le scénario aborde, sous une trame de drame, un sujet délicat et ô combien sensible dans le pays d'origine du cinéaste :
Au début des années 1980, en Allemagne de l'Est, l'auteur à succès Georges Dreyman et sa compagne, l'actrice Christa-Maria Sieland, sont considérés comme faisant partie de l'élite des intellectuels de l'Etat communiste, même si, secrètement, ils n'adhèrent pas aux idées du parti.
Le Ministère de la Culture commence à s'intéresser à Christa et dépêche un agent secret, nommé Wiesler, ayant pour mission de l'observer. Tandis qu'il progresse dans l'enquête, le couple d'intellectuels le fascine de plus en plus...
Florian Henckel von Donnersmarck a passé quatre années à préparer son film, en particulier le scénario, et ça se voit. La finesse et l'acuité de sa description du monde impitoyable des rouages de la Stasi démontrent en effet une grande analyse, servie par une interprétation à faire froid dans le dos. Le film nous plonge littéralement dans les heures les plus sombres de la RDA. On peine à croire que tout ceci avait lieu sur notre continent il y a encore moins de 20 ans ! Cette histoire est d'ailleurs inspirée de faits réels, auxquels von Donnersmarck a évidemment rajouté une trame plus romanesque, plaidoyer pour la liberté d'expression artistique et la liberté d'opinion. Subtil, passionnant, intelligent, sans sentimentalisme, La Vie des autres est une très belle surprise qui devrait ravir les cinéphiles exigeants.
8/10
19:55 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Cinéma
05 février 2007
Inland Empire
Cet article a été écrit après deux visionnages du film en projections de presse, espacées d'un mois chacune.
Inland Empire peut laisser un sentiment mitigé à l’amateur de David Lynch. D’un côté, on peut avoir un sentiment de soulagement en constatant que personne d’autre n’aurait pu aboutir à un tel résultat. Que l’on aime ou pas l’artiste, comment dénier que Lynch reste totalement unique et inimitable dans ce qu’il apporte au cinéma ?
D’un autre côté, Inland Empire semble clore un cycle, ouvert il y a plusieurs dizaines d’années avec des courts-métrages, et c’est avec un certain pincement au coeur qu’on peut deviner en ce film une somme, tant on y retrouve les fruits d’un très grand nombre de travaux de défrichement entrepris jusqu’alors, du petit au grand écran, en passant par son site Internet. Les dernières secondes du générique de fin laissent une question béante : que faire après ça ? Sacré défi pour Lynch, alléchante spéculation pour nous. En attendant, regardons de plus près quelle place occupe ce long-métrage dans le Lynchland...
Lynch revendiquait pendant la genèse d’Inland Empire (IE) une filiation indirecte avec Eraserhead. C’est plus qu’évident dès la première la vision du film. La liberté d’expérimentation induite à la fois par la longue durée de gestation (quasiment équivalente à celle d’Eraserhead, mais pour des raisons fort différentes), et la souplesse permise par les moyens "légers" de tournage (caméra 16mm à l’époque et dorénavant, caméra numérique Sony PD-150, un modèle non professionnel), ont un impact très reconnaissable (bien que différent) sur le look’n feel du film. Dans les deux cas, le spectateur se retrouve baigné dans un environnement sonore très particulier, quasiment oppressant, avec une présence plus proéminente que dans tous ses autres films des fréquences graves. Enfin, dans les deux cas, le propos se situe à un très haut degré d’abstraction, qui condamne ces deux œuvres à des réactions extrêmes (rejet ou fascination) ; la différence majeure entre Eraserhead et IE se situant au niveau de la durée (ce dernier affiche presque le double du premier), différence cruciale dans la capacité du public à supporter une sollicitation intense de ses sens.
Au-delà de la forme, Eraserhead et IE ont en effet surtout en commun d’être une véritable expérience éprouvante, un cauchemar éveillé, une descente aux enfers avec certes quelques moments absurdes et au comique reconnaissable entre mille, mais ces deux oeuvres sont de loin les plus glaçantes de Lynch ; elles sont comme vidées de quasiment tout instant extatique. Ce retour à la radicalité est un virage a priori inattendu après les véritables paratonnerres à sublimes émotions qui parcourent toute la filmographie de Lynch à partir d’Elephant Man. Lynch tend ainsi le bâton à ses plus fervents détracteurs qui se gausseront que son oeuvre la plus longue à ce jour (2h52) ne soit a priori qu’un concentré des clichés les plus fréquemment apposés aux oeuvres du cinéaste : excentricité, bizarrerie, horreur, terreur, absurdité, grotesque, etc.
On voit en quoi IE reboucle vers Eraserhead ; mais en même temps, IE embrasse plus large et englobe presque tous les thèmes chers à Lynch et développés au cours de ces (presque) 40 dernières années. Déconstruction des mythes hollywoodiens, obsessions du contrôle, de l’infidélité conjugale, des troubles de la personnalité, des perversions sexuelles, de la nécessité de payer les conséquences de ses actes... La liste serait très longue, et chaque spectateur s’en apercevra spontanément au gré des plus marquants pour lui, tout en croisant des figures emblématiques du Lynchland, ce qui accentue l’impression d’être en terrain connu, même si Lynch n’avait jamais exploré à ce point les affres de l’infidélité (thème majeur et probablement thème-clé), et de la paranoïa aiguë qui peut en découler.
Est-ce un jeu pour Lynch ? Cette sensation de familiarité dans le fond (de redite, diront les détracteurs) se retrouve en effet paradoxalement atomisée par la forme déstructurée chère aux derniers opus du cinéaste. Mais le procédé de mise en abyme et de scènes à la fois gigognes et connexes atteint ici un paroxysme, voire un point de non-retour. Ce maelström a-t-il pour but de nous faire directement ressentir la confusion extrême du personnage principal, Nikki Grace (Laura Dern) ? C’est très probable, puisque rarement le calvaire et l’angoisse d’un personnage auront pu être directement ressentis par un spectateur.
Mais on est tenté d’y voir également une pirouette de la part du cinéaste, qui sait exactement ce qu’attendent les cinéphiles de sa part (la réutilisation de Rabbits, matériau expérimental diffusé initialement sur son site internet, est tout à fait jouissif pour un fan, tout comme l’apparition du vocable Axxon N, projet mystérieux jamais concrétisé jusqu’alors). Le générique de fin est un moment absolument majeur et totalement inédit chez Lynch, puisque c’est le premier générique de fin de sa filmographie à avoir été mis en image jusqu’à la dernière seconde. Cette nouveauté donne sans aucun doute une indication en ce sens : Lynch semble cette fois se positionner sans vergogne comme un démiurge qui se rit de ses propres effets, voire du pouvoir même du cinéma. Cette conclusion, qui prend le contre-pied esthétique et émotionnel de tout ce qui a précédé, est ainsi probablement une des fins les plus vertigineuses de sa filmographie, qui comptait déjà des tours de force déroutants, comme le ruban de Möbius de Lost Highway ou le "Silencio" de Mulholland Drive.
Alors, désabusé, Lynch ? L’artiste s’interrogeait en 2004 ouvertement de l’avenir du cinéma (cf. Télérama n°2866 : "[Le cinéma] est un art qui s’est épuisé, mais autre chose va surgir. Je ne sais pas encore quoi"). Visiblement, l’expérimentation extrême qu’est IE ne donne pas encore la réponse (questionné sur ses doutes de 2004, Lynch répond cette année, toujours dans Télérama, n°2975 : "Dans sa forme actuelle, [le cinéma] me semble à la traîne"), mais lui a probablement permis de faire un grand pas en avant. Film-somme, mais aussi film-charnière, début de métamorphose nécessaire pour évoluer vers cette future autre forme de cinéma. C’est aussi en cela qu’IE est fascinant : il partage avec nous, sans aucune gêne, un regard sur l’empire actuel de Lynch, et un autre vers son extension future.
9/10
08:38 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : Cinéma
28 janvier 2007
Bobby
Une fois n'est pas coutume, je vais reproduire une courte critique que j'ai lue après avoir vu ce cinquième film d'Emilio Estevez (fils de Martin Sheen, qui jour d'ailleurs dans le film), car elle a le mérite d'être concise et de refléter au mot près ce que j'en pense... Voici une petite pépite à ne pas rater si vous aimez les films choraux, et les films traitant de l'Histoire pour mieux illustrer les aberrations du présent.
L'impression qui domine est celle d'une vaste tapisserie chorale, fluide mais un peu terne, où une douzaine de superstars se croisent dans les couloirs de l'hôtel de Los Angeles où le jeune sénateur démocrate Robert Kennedy fut assassiné le 5 juin 1968. Mais, à un quart d'heure de la fin, les mailles se contractent avec une fulgurance de spasme pour amorcer un crescendo d'une exceptionnelle intensité, immense flash de lumière rétrospective sur ce qui s'impose à l'arrivée non seulement comme un bouleversant requiem à une Amérique perdue, mais aussi comme une impitoyable critique en creux de celle de George W. Bush.
Bernard Achour (TéléCinéObs)
8/10
18:25 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Cinéma
Pars vite et reviens tard
Régis Wargnier est le réalisateur de Indochine et de Est-Ouest. C'est tout de même un cinéaste élégant et plutôt digne d'intérêt. Cette adaptation du roman policier de Fred Vargas, avec un casting fort alléchant (Lucas Belvaux et José Garcia en tête) avait donc tout d'un programme qui fleure bon le polar ciselé.
Hélas, le scénario adapté est proche du grotesque, il est très difficile d'arriver à croire à cette histoire de meurtrier en série qui semble colporter la peste dans Paris. L'ambiance légèrement fantastique fait penser au pire, comme les films de l'affreux Jean-Christophe Grangé (Les Rivières Pourpres, L'Empire des Loups, Le Concile de Pierre). Le film se traîne à un rythme très explicatif qui plombe totalement le suspense, et jamais Wargnier ne parvient à donner le véritable souffle de panique qu'un tel événement devrait engendrer dans une métropole de 10 millions d'habitants (quelques scènes ridicules dignes d'un bon téléfilm essaient de nous convaincre que le peuple a peur, très peur).
On pourrait faire moults jeux de mots sur le titre de ce film, mais tout simplement, non, n'y allez pas.
4/10
18:17 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Cinéma