16 mai 2006
Bubble
Soderbergh est un surdoué. Rappelons qu'il détient un double record pas banal : il a obtenu la Palme d'Or en 1989 pour Sexe, mensonges et vidéo alors qu'il n'avait que 26 ans (record inégalé), et c'était son premier long-métrage. La suite de sa carrière n'a fait que confirmer toutes les attentes placées en lui. Je suis un inconditionnel de Steven Soderbergh, que ce soit pour ses films populaires (Erin Brockovich, Traffic, Ocean's 11), expérimentaux (Sexe, Mensonges et vidéo ; Full Frontal ; Solaris), ou mélange des deux (Ocean's 12).
Outre sa casquette de réalisateur audacieux et à succès, Soderbergh est un producteur très actif via sa société Section Eight (lancée avec son ami George Clooney). Non content d'être déjà le chef de file du cinéma indépendant aux USA, il a lancé un énorme pavé dans la mare avec Bubble, film expérimental sorti dans tous les canaux de distribution à la fois (salles, DVD, vidéo à la demande). La polémique a d'ailleurs un peu éclipsé le débat autour du film... et c'est dommage.
Bubble est en effet une expérience qui devrait attirer tout cinéphile : filmé en numérique (DV), budget inférieur à 2 millions de dollars, dialogues souvent improvisés, acteurs non-professionnels, originaires des lieux mêmes du tournage et dont les propres maisons ont servi de décor. Avec un tel dépouillement, impossible de tricher : il faut un vrai talent de mise en scène. Celui de Soderbergh s'exprime ici à plein, d'autant qu'il s'est également chargé de la photographie et du montage.
Dans une petite ville triste de l'Ohio, Martha, une grosse vieille fille, a pour seul ami un joli jeune homme paumé, Kyle, qui travaille avec elle dans une usine de poupées. L'arrivée d'une nouvelle ouvrière va bouleverser cette amitié un peu ambigüe (pour Martha) et aboutir au pire.
Chronique sociale, drame, polar, Bubble est tout cela à la fois, mais se concentre avant tout sur l'étude de ses personnages, ce qui peut dérouter les spectateurs pendant la première demi-heure où la psychologie des personnages est développée, pour plus d'impact par la suite. Les profils d'acteurs choisis sont assez fascinants et même si d'un point de vue narratif, il ne se passe pas grand-chose, Soderbergh crée une ambiance, relayée par les plans (magnifiques et graphiquement très réussis) du travail à l'usine de poupées, dont la fabrication évoque à la fois amusement et malaise. La métaphore des poupées, êtres inanimés au sourire figé, évoquent la résignation et la routine dans lesquelles se trouvent enfermés ces employés sans avenir.
Misère sociale, sentimentale et financière sont l'apanage de tous les personnages, auscultés par un Soderbergh dont la science du montage et du cadrage est ici sublimée par la teinte froide de la caméra numérique. Bien que la forme soit très différente, il est impossible de ne pas penser par moment pour le fond à David Lynch, pour l'irruption de l'étrangeté et du drame dans un quotidien affreusement banal et désespérant. Bravo Steven, et bonne chance pour Ocean's 13 !
8/10
11:40 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Cinéma
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