14 avril 2007
Sunshine
Danny Boyle est un de mes réalisateurs anglais préférés. Grand metteur en scène, il n'écrit pas ses scénarios lui-même, mais il les choisit avec soin en privilégiant ceux qui confrontent l'homme à ses pires défauts et à des choix nécessaires (seule exception et seul échec artistique de sa filmographie: A Life Less Ordinary, 1997). Il en résulte toujours une forte personnalité à l'écran, et les films de Boyle ne sont donc pas du goût de tout le monde ; même les succès publics comme Trainspotting ou 28 Days Later ont laissé sur le carreau bon nombre de spectateurs, car un peu trop "radicaux". Il faut dire que l'image de notre société renvoyée par le miroir que sont ses films n'est pas forcément flatteuse. C'est notamment une grande partie de la raison pour laquelle son film The Beach, en 2000, a été massacré, victime de la surexposition dûe à la présence de Lenoardo Di Caprio (dont c'était la première réapparition au cinéma après Titanic, et l'acteur faisait alors l'objet d'une dévotion sans limite, ce qui a attiré un nombre insensé de spectateurs à aller voir The Beach, film au message dérangeant).
Après l'intéressante mais relativement inoffensive fable qu'était son précédent film Millions (comme une pause dans sa carrière, après le brutal et décapant 28 Days Later), Danny Boyle était attendu au tournant avec Sunshine, qui étrenne un nouveau chapitre pour lui (il aime changer radicalement de genre à chacun de ses films), car il s'agit cette fois de science-fiction, genre ô combien périlleux qui a produit ces 20 dernières années plus de blockbusters pop-corn/cola que de films de la trempe de 2001, Solaris ou Alien.
Heureusement, comme les trois exemples pré-cités, la science-fiction n'est ici qu'un prétexte pour explorer des thèmes plus profonds. Malgré un pitch terriblement hollywoodien (en 2057, le Soleil se meurt, entraînant dans son déclin l'extinction de l'espèce humaine ; une équipe d'astronautes et de scientifiques part faire exploser l'intégralité des charges nucléaires fissibles de la Terre à la surface du Soleil pour relancer son activité), Sunshine est bien loin d'un Armageddon. Ne négligeant cependant pas des scènes d'action/catastrophe fortement anxiogènes, l'intérêt premier de Sunshine est sa réflexion sur notre place dans l'Univers. On pourra trouver ça mièvre, mais approcher le Soleil pour tenter de le faire revivre, c'est comme approcher Dieu. Dans leur mission promothéenne, les personnages sont confrontés à la démesure de leur responsabilité, et à leur nécessaire sacrifice. Et le film évite totalement le pathos, mais sait donner une forte dimension dramatique aux situations délicates.
Bien que je sois indifférent habituellement aux effets spéciaux, il faut avouer qu'ici, ils ont une importance capitale, aussi bien visuels que sonores. Comment faire passer la sensation de ce qui est par nature hors d'atteinte de notre expérience, à savoir le face-à-face avec le Soleil, et ses conséquences thermiques et magnétiques sur les objets et sur les hommes quand on en est aussi proche ? Les solutions créées par Danny Boyle et son équipe sont de toute beauté et franchement fascinantes, et servent parfaitement la nature métaphysique du film.
Alors, superbe réussite ? Presque ! Le film souffre hélas d'un terrible travers dans son scénario, lorsque celui-ci nous distille une absurdité confondante que je ne révèlerai pas ici, mais qui déséquilibre fortement le film vers un rebondissement digne d'un très grand navet hollywoodien, justement. Hormis cette impardonnable faute de goût, il est vrai que le Danny Boyle 2007 confirme son talent à toucher à tout, avec bonheur. Même la musique, proposée par le groupe électro Underworld (avec qui Danny Boyle a déjà travaillé, notamment sur Trainspotting avec le hit Born Slippy), est superbe. Le compositeur John Murphy, qui complète cette bande originale, s'est néanmoins permis de ré-utiliser le splendide thème déjà utilisé sur Miami Vice (celui qui clôt le film et qui s'intitule Who Are You). On ne lui en veut pas tellement c'est beau... et adapté.
8/10
19:16 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Cinéma
10 avril 2007
Ségo et Sarko sont dans un bateau
Karl Zéro et Michel Royer remettent le couvert, 10 mois à peine après Dans la peau de Jacques Chirac, documentaire qui leur a valu le César 2007 de sa catégorie. Or, ce n'est nullement ce César qui leur a permis de se lancer dans cette nouvelle aventure, puisque Ségo et Sarko... a été terminé en janvier 2007 avec une mise en chantier plusieurs mois auparavant (en fait, avant même que Ségo soit désignée comme la candidate du PS). Par contre, le César permet aux deux compères de s'attaquer à un troisième documentaire, qui s'intitulera Being George W. Bush, mais nous verrons cela en 2008.
Réalisé beaucoup plus rapidement, Ségo et Sarko... est ouvertement, d'après ses créateurs, un documentaire bien plus périssable puisqu'il tire son intérêt principal de le visionner avant le premier (voire second ?) tour de la présidentielle 2007. Il ne s'agit ici nullement d'un réquisitoire en faveur d'un candidat plutôt qu'un autre, mais de l'aveu de Karl Zéro, de montrer aux spectateurs comment lui, Karl Zéro, a perçu la personnalité des candidats au fil des années pendant lesquelles il a été amené à les côtoyer pour Le Vrai Journal. Pour ce faire, Zéro se sert donc d'images d'archives, pour beaucoup connues, dénichées par Michel Royer, mais aussi d'un grand nombre de offs inédits, tirés de rencontres lors d'interviews pour Le Vrai Journal.
Le résultat ne se place donc en général pas du tout sur un plan idéologique, mais purement sur celui de la personnalité des candidats et de ce qui les motive au plus profond d'eux-mêmes. L'éclairage est très instructif, et il convient à chacun de se faire sa propre opinion et de juger si cela peut lui être d'une quelconque utilité pour l'élection. On ne peut néanmoins pas nier que Karl Zéro et Michel Royer proposent quelque chose de différent et au final nouveau sur ces candidats (dont aussi, Le Pen, Bayrou, Laguillier, etc.), ce qui n'est pas un mince exploit vu la couverture médiatique non idéologique de la présidentielle.
La sortie de ce documentaire a eu lieu d'abord en DVD, puis en salles 15 jours après, dans un nombre de salles très limité vu que les exploitants n'ont pas réellement cru qu'il était possible d'attirer des spectateurs sur un titre déjà disponible dans les bacs. Pour ma part, je suis très content d'être allé le voir en salle, ne serait-ce que pour l'agréable surprise de voir Karl Zéro et Michel Royer débarquer à l'improviste à la fin de la séance pour sonder le terrain lors du premier jour d'exploitation à Paris (au Publicis). Le débat et les explications qui s'ensuivirent fuirent fort instructifs (nombre des détails donnés ici en sont tirés).
7/10
09:30 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Cinéma
05 avril 2007
Norway Of Life
Norway Of Life, jeu de mot séduisant, n'est en fait pas le vrai titre de ce film norvégien. Den Brysomme Mannen, ce qui veut dire "l'homme gênant", est bien autre chose qu'une parodie du mode vie de nos amis du Nord.
Le pitch est aguichant : Andreas se retrouve dans une ville étrange. Il ignore comment il est arrivé là. On lui remet un emploi bien payé et pas pénible, un appartement somptueux et même une très belle femme. Très vite, il s'aperçoit pourtant qu'il y a quelque chose qui cloche. Ses collègues sont charmants mais totalement dépourvus de personnalité. L'alcool ne saoûle pas, les aliments n'ont pas de goût... Andreas va tenter d'échapper à ce positivisme écoeurant.
Norway Of Life se situe au carrefour de plusieurs styles : satire, fantastique, burlesque, thriller... Côté littérature, on pense inévitablement à George Orwell ou Ray Bradbury ; côté cinéma, à Terry Gilliam (Brazil), ou Vincenzo Natali (Cypher). Les teintes très froides rappellent d'ailleurs fortement le look de Cypher, bien qu'il n'y ait pas la même maestria visuelle de la part du réalisateur Jens Lien.
Le film est à la fois cauchemardesque, onirique et drôle ; il titille néanmoins notre paranoïa, ainsi que notre angoisse de la vie contemporaine urbaine. C'est donc une oeuvre décalée, conseillée à ceux qui cherchent quelque chose de foncièrement détonnant avec la médiocrité générale des sorties actuelles.
Néanmoins, malgré l'avalanche de récompenses qu'a récolté le film (vainqueur de l'édition 2007 du Festival du Film Fantastique de Gérardmer avec quatre récompenses : le Grand Prix, le Prix de la Critique Internationale, le Prix du Jury Jeunes et Prix du Jury Sci Fi ; razzia aux Amanda Awards - l'équivalent norvégien de nos César : Meilleur acteur, Meilleur réalisateur et Meilleur scénario), le film pèche à mon goût par froideur excessive, ce qui est un comble vu que le film dénonce - entre autres - une certaine lobotimisation de nos modes de vie, qui anesthésie tout ce qui fait le charme de notre existence. Il manque au final une dimension poétique à ce film, qui n'en demeure pas moins un beau jalon dans une carrière à suivre.
7/10
16:32 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Cinéma
28 mars 2007
Les Témoins
Les Témoins, ce sont ceux de l'apparition du syndrome du SIDA, et de ses premières victimes au début des années 80. A ce titre, le sujet est vertigineux : il se suffit de se mettre à la place des personnages du film, qui eux ignoraient encore le bouleversement mondial qu'allait engendrer ce virus.
André Téchiné, qui a co-écrit le scénario, se saisit ainsi d'un contexte socio-culturel propice à un drame puissant, mais pouvant facilement tomber dans le pathos. Or, il n'en est rien, et c'est probablement la plus grande surprise du film. L'émotion est néanmoins constamment présente, mais c'est grâce à un souffle romanesque vigoureux, avec un scénario des personnages très fins (sans éviter quelques clichés, fort limités heureusement), excitants et intelligents.
La réalisation est vive, le montage relativement nerveux, on ne s'ennuie donc même pas une seconde. La seule chose à laquelle Téchiné ne s'est pas réellement attaché, c'est l'authenticité de la recréation de l'environnement de 1984. Les pinailleurs s'amuseront à repérer toutes les erreurs (les draps des hôpitaux de Paris siglés 2006, les voitures modernes qui passent en arrière-plan, etc.), mais ceci est vite oublié face à cette ode à la vie et à l'amour qu'est, paradoxalement, ce film témoin de la crise identitaire de la France face à ce qui allait être le plus grand fléau moderne de notre planète.
8/10
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23 mars 2007
Notre pain quotidien
Pendant deux ans, le réalisateur Autrichien Nikolaus Geyrhalter a placé sa caméra au coeur des plus grands groupes européens agroalimentaires, nous donnant accès à des zones habituellement totalement impénétrables. Il a filmé les employés, les lieux et les différents processus de production pour réaliser un documentaire qui interroge et implique intimement chaque spectateur.
Notre pain quotidien ouvre une fenêtre sur l'industrie alimentaire de nos civilisations occidentales modernes. Réponse à notre sur-consommmation, la productivité nous a éloigné d'une réalité humaine pour entrer dans une démesure ultra-intensive qui a rejoint les descriptions des romans d'anticipation.
Cadrages minutieusement composés, images cristallines, montage fluide construisent un film sans commentaire, sans propagande, dont les images parlent et demeurent.
Il n'y a pas grand-chose à rajouter au synopsis de Notre pain quotidien, si ce n'est que tout ce qui y est décrit est rigoureusement exact ; et surtout, ce film interpelle, sans jamais prendre position (aucune dénonciation), et fait réfléchir, au lieu d'apporter des réponses ; ce qui le distingue nettement d'un "documentaire". Il convient de ne déflorer aucune des scènes afin que les éventuels futurs spectateurs gardent toute surprise intacte.
Néanmoins, je me contenterai juste de préciser qu'au delà de certaines images qui pourront choquer les gens un peu sensibles (vue du sang, des entrailles, etc., pour les scènes se situant dans des abattoirs), l'essentiel est évidemment ailleurs (les hommes abattent en effet des animaux pour se nourrir depuis toujours) : l'émotion la plus vertigineuse est sans conteste celle ressentie à la vision de l'annihilation totale de respect aussi bien pour les animaux (réduits, même encore vivants, à l'état d'objets, certaines scènes étant involontairement d'un comique absurde, mais atroce), que pour les employés, dont les tâches et les conditions de travail font froid dans le dos. On se situe en effet à l'extrême de la déshumanisation du "travail". Ce sont véritablement des scènes de science-fiction qu'on a l'impression de regarder se dérouler. Et pourtant ceci a lieu dans des usines européennes. Le plus effrayant, au final, est se dire que pour nourrir autant de monde, avec si peu d'agriculteurs, il n'y a sans doute pas d'alternative réaliste pour l'instant.
8/10
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