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14 décembre 2008

Secret Défense



Après la bonne surprise de Pour elle, on pouvait penser que Secret Défense allait poursuivre la veine des bonnes surprises qui émaillent trop rarement nos productions nationales. La bande-annonce pouvait le laisser supposer. Nous n'y sommes pas, et le film référence français en matière d'espionnage reste toujours encore Les Patriotes d'Eric Rochant, sorti en 1994.

Pourtant, comme Eric Rochant, Philippe Haim s'est soigneusement documenté, et s'est entouré de multiples conseillers pour réviser l'écriture du scénario, si possible pour garantir la vraisemblance des situations et le profil des personnages (en vrac : Malek Chebel, islamologue et docteur en psychologie clinique, Anne Giudicelli, ancienne journaliste, spécialiste du monde arabe et musulman, Eric Dénécé, ancien officier de renseignement, Jean-Pierre Lasserre, ancien officier-traitant et chef de poste à la D.G.S.E, Antoine Sfeir, rédacteur en chef des "Cahiers d'Orient", Jean Guisnel, grand reporter au Point, et Stéphane Berthomet, ex-capitaine à la Division Nationale Anti-Terroriste).

Or, sur des sujets aussi complexes que le terrorisme issu des mouvements islamistes, il convient de prendre son temps... Secret Défense, ramassé sur 1h40, n'est finalement qu'action et ne s'embarrasse pas toujours de la vraisemblance des enchainements. Philippe Haim a dû regarder un peu trop la série 24, et les bureaux de la DGSE ressemblent à s'y méprendre à ceux de Jack Bauer : bureaux high-tech, agitation frénétique, chefs qui se la pètent... La façon de filmer, caméra à l'épaule, et le montage saccadé procèdent également de cette tentative de donner du réalisme et de la vitesse. Ca donne envie de sourire.

Heureusement, il y a des scènes plus convaincantes, et le parallèle établi entre la jeune civile recrutée par la DGSE et le petit délinquant paumé recruté par un réseau terroriste, fonctionne plutôt bien, grâce au jeu d'acteurs, âpre et sans faille, de Vahina Giocante et de Nicolas Duvauchelle. Ces deux parcours participent d'un seul et unique destin : celui de jeunes gens broyés par des machines de guerre qui les utilisent en les manipulant de A à Z. Le film tire sa force d'arriver à en rendre compte.

En dehors de l'absence de style manifeste à cause d'une mise en scène hachée, le défaut "technique" principal est encore la musique stéréotypée et grotesque, qui entache là aussi cette production française, mais il faut souligner que le compositeur est celui du Transporteur 3, alors...

Secret Défense franchit quand même le stade du film divertissant, mais il aurait pu être tellement plus crédible s'il avait su remiser ses effets de manche au placard. La grammaire hollywoodienne dessert réellement nos productions. Revoir Eric Rochant, donc...

6/10

07 décembre 2008

Pour elle



Tout ce qui a été dit du thriller Ne le dis à personne pourrait peu ou prou être répété pour le premier long-métrage de Fred Cavayé (nom à retenir). Pour elle partage en effet dans les grandes lignes les mêmes qualités et même défauts que le dernier film de Guillaume Canet. Il faut par contre noter que si les thrillers français sont en général des produits ressemblant fort à du téléfilm commandé par le service public pour un primetime consensuel, il est rassurant de voir que Ne le dis à personne n'était pas une tentative isolée de sortir cette malédiction française.

Comme chez Canet, la réalisation nerveuse, tendue et réaliste offre un spectacle de premier plan. Car contrairement aux codes hollywoodiens, le montage ne hache pas menu les bonnes trouvailles de mise en scène. Par contre, si Canet se gaufrait un peu par le choix de tenter de caser ses chansons préférées dans la B.O., la musique stéréotypée de Pour elle est le seul élément à desservir des scènes dont la puissance se suffisent souvent à elles-mêmes sans avoir besoin d'être soulignées inutilement et parfois lourdement par une partition médiocre.

Différence notable, Fred Cavayé a mis en scène un scénario nettement moins dense que celui de Ne le dis à personne. Chez Cavayé, le mot d'ordre semble être la fluidité et l'efficacité. La durée du film (1h36) permet d'aller à l'essentiel. Avec un pitch classique d'une personne accusée à tort de meurtre, le film surprend : il s'agit pour une fois non pas de démontrer envers et contre tout son innocence, mais d'une fuite en avant, avec un désespoir relativement surprenant.

Pour faire passer avec conviction tout cela, une carte maitresse du film repose dans le casting étonnamment réussi. Dans le rôle de M. Tout-le-monde, nous avons affaire cette fois à Vincent Lindon (à comparer avec François Cluzet pour Ne le dis à personne). L'acteur arrive à insuffler tout le doute et la fragilité d'un quidam obligé de franchir la ligne rouge pour sauver ce qui lui est cher. Diane Kruger offre une prestation de premier plan, où elle travaille au corps l'expression de la douleur et du désespoir, sans pathos. L'empathie est totale, on a vraiment envie de la sauver ! Ensuite, pas vraiment de nom notoire, mais une galerie de "gueules" vraiment crédibles. Notons avec amusement le recours à un petit rôle incarné par le réalisateur Olivier Marchal (36 Quai des Orfèvres), autre particularité partagée avec le film de Canet.

Cette série B séduit donc de façon inattendue, par son économie de moyens, son efficacité et son interprétation subtile.

7/10

02 décembre 2008

Hunger



Artiste vidéaste renommé, Steve McQueen n'a pas raté sa transition vers le cinéma puisqu'il a décroché avec Hunger une Caméra d'Or à Cannes pour son premier film. De surcroît, il s'est attaqué à un sujet difficile, un moment clé du conflit irlandais au début des années 80 : les mouvements blanket protest et dirty protest, suivis d'une grève de la faim qui entraîna la mort de dix prisonniers appartenant à l'IRA, dont Bobby Sands, symbole de la résistance au gouvernement britannique.

Le corps est au centre de l'attention de Steve McQueen. En effet, privés de tout, les prisonniers politiques n'ont plus que leur corps pour protester. Refusant de porter l'uniforme (et restant donc nus), se repliant dans une grève de l'hygiène, les conditions de détention sont effroyables. Le personnel carcéral n'a plus que les coups pour se venger de ce que leur font subir ces prisonniers déterminés, sur lesquels ils n'ont finalement pas de prise. Le travail de plasticien de McQueen s'accapare totalement ce contexte étouffant pour construire des plans très étudiés, à la limite de l'abstraction (les excréments sur les murs), ou de l'étude clinique (la décomposition d'un corps privé de nourriture pendant plus de deux mois), au milieu desquels surgit une violence furibonde, fruit de la frustration du pouvoir politique anglais impuissant.

La rareté des dialogues, la violence des images, la précision du cadrage, les plans-séquences oppressants (rappelant Haneke) : la maîtrise formelle aboutit à une expérience saisissante, terrifiante aussi, parfois écœurante, mais certainement très rare. On comprend la motivation du jury pour l'obtention du prix à Cannes.

Mais le film de Steve McQueen n'est pas qu'un simple objet formel. Le brio du propos politique est enclavé dans un face-à-face idéologique brillant, sous forme d'un plan-séquence de 17mn, où Bobby Sands s'entretient avec le père Dominic Moran. L'annonce d'une nouvelle grève de la faim afin d'obtenir un statut à part pour les prisonniers politiques de l'IRA est le point de départ d'un débat sur ce qui peut pousser quelqu'un à se laisser mourir ou non pour une cause.

On ressort de la salle sonné. Hunger n'est pas un film plaisant, mais comme le dit son auteur : "Je conçois le film comme une sorte de voyage, un voyage difficile, exigeant. Disons que c'est une façon comme une autre, pas inintéressante, de passer une heure et demie dans le noir".

8/10

28 novembre 2008

Two Lovers



Après un We Own The Night totalement emballant sorti l'an dernier, James Gray a tourné son quatrième film très rapidement, lui qui n'avait sorti précédemment que trois films depuis 1994 (mais des films d'envergure, certes). James Gray n'est pas un auteur lent, c'est qu'il ne lâche pas une idée tant qu'il n'a pas pu la réaliser, et parfois cela prend beaucoup de temps avec les producteurs. Sauf pour Two Lovers.

Visiblement, le fait d'avoir pu tourner vite et d'avoir laissé de côté pour la première fois les codes du polar n'a entamé en rien son talent. Two Lovers, sous des aspects de comédie romantique inoffensive (pitch rebattu, affiche trompeuse), est en fait une tragédie intense, sans le côté très shakespearien de The Yards ou We Own The Night, mais avec une même noirceur.

Un homme (Joaquin Phoenix), adulte paumé qui vite encore chez ses parents à 35 ans, voit son avenir bouleversé par l'arrivée d'une charmante mais perturbée voisine (Gwyneth Paltrow), alors que ses parents ont arrangé son union avec la fille (Vinessa Shaw) de l'entrepreneur qui rachète leur pressing, situé à Brighton Beach (le quartier juif russe de New York où James Gray a grandi et déjà situé l'action de ses deux premiers films). Les personnages, pas plus que le lieu, ne sont guère glamour ; même si les acteurs sont très beaux, ils sont ici employés à contre-emploi total. Chez Gray, ils deviennent des individus lambda, paumés, maladroits, malades sentimentaux. Leurs relations sont imprévisibles et surprenantes.

Gray fait éclater les poncifs du mélo en tirant son film vers une étrangeté latente, sublimée par une photographie impressionniste à tomber. Le plus remarquable reste peut-être la direction d'acteurs. On est affaire à du très, très haut niveau et Joaquin Phoenix crève une fois de plus l'écran, avec un rôle très complexe et foncièrement original. Même les seconds rôles sont haut de gamme, avec Isabella Rossellini par exemple.

Les scènes d'anthologie sont légion dans Two Lovers. Difficile même d'en choisir pour les citer. Il y a bien la scène de la discothèque (celle de We Own The Night était déjà un moment de lévitation absolue), ou encore celles des moments de vérité sur le toit de l'immeuble. Il y a les référencées, comme les échanges et surveillances mutuelles de Phoenix et de Paltrow au travers de leurs fenêtres d'appartements (Fenêtre sur cour est un des deux films préférés de Gray). Mais tout confine au chef d'œuvre dans Two Lovers. En tout cas, cela en dit long sur le festival de Cannes quand on voit que ni We Own The Night, ni Two Lovers (présents en compétition officielle en 2007 et 2008) sont repartis bredouilles.

9/10

22 novembre 2008

Mesrine : L'Ennemi public n°1



Suite à un premier volet empreint de défauts assez nets mais pas rédhibitoires, Richet trouve pour de bon son rythme de croisière dans cette seconde partie. Les 2h10 s'enchaînent tambour battant ; les coups d'éclat de Mesrine de 1972 à 1979 sont tellement nombreux que le scénario n'a eu que l'embarras du choix.

Revers de la médaille, il vaut mieux connaître déjà assez bien l'histoire de Mesrine pour comprendre les liens entre Mesrine et d'autres personnages (Charlie Bauer, Robert Broussard...), car Richet maintient le cap de son objectif : un film de gangster, pas un biopic. Pour les zones d'ombre de l'histoire de Mesrine, Richet met d'ailleurs les pieds dans le plat en donnant sa version : pour la fameuse évasion de la Santé, dont les circonstances n'ont jamais été élucidées, c'est l'avocate de Mesrine qui lui aurait donné les deux pistolets. Façon d'enfoncer la ligne politique que finit par prendre le film en semblant défendre la position de Mesrine : les conditions de détention en QHS sont indignes de la condition humaine, à tel point que des personnes du système judiciaire soutiennent sa cause en allant jusqu'à l'aider.

Le jeu assez théâtral de Cassel entre cette fois en résonance avec le comportement grand-guignolesque de Mesrine, qui sûr de sa force, de son intelligence et de son charisme, fait preuve d'une ironie et d'une éloquence cinglantes, qu'il soit en liberté ou non. La facette "sympa" du gangster disparaît seulement lors de la scène de torture du journaliste de Minute, et quand il s'orientait peu de temps avant sa mort vers des liaisons ténébreuses avec l'extrême-gauche. Cette mort est d'ailleurs symboliquement affichée sur l'affiche, à la posture christique, qui ne laisse aucun doute quant au message sous-jacent : Mesrine a fini sa vie en martyre, victime d'un Etat humilié et impuissant qui ne pouvait plus tolérer son combat médiatique remontant trop en cause son "système" (système que Mesrine et Charlie Bauer voulaient faire exploser).

Richet s'illustre une nouvelle fois sur le plan de la mise en scène avec non seulement des scènes d'action remarquables (les courses-poursuites), mais aussi des faces à faces anthologiques, comme le fameux épisode de la première arrestation de Mesrine par Broussard en 1973 ou encore le procès de 1977 où Mesrine nargue la justice en jetant la clé de ses menottes, achetée à un fonctionnaire corrompu.

Ce deuxième volet est donc nettement plus jubilatoire que le premier, à condition de prendre le recul suffisant (tout ce qui est montré n'est pas factuel), et à condition de connaître déjà quelque peu la biographie de Mesrine, pré-requis indispensable pour apprécier pleinement les fulgurances du scénario.

7/10