23 août 2006
Brick
Rian Johnson, pour son premier long-métrage, fait téléscoper dans Brick le teen movie et le polar, revisitant ainsi souvent habilement les clichés de ces deux genres.
Un lycéen d'une intelligence hors norme, mais solitaire, va s'acharner à retrouver son ex-petite amie, lorsque celle-ci disparaît après un coup de fil inquiétant. Son enquête va le conduire dans un jeu de piste très dangereux...
Dans Brick, le monde des adultes est quasiment banni. Gentils, méchants, trafiquants, délinquants sont tous issus du lycée. Ce qui porte un coup fatal à la crédibilité de l'histoire, car les personnages de l'ombre sont ici stylisés à l'extrême comme s'ils étaient issus d'un film de Scorsese. Même le personnage principal, étudiant maigrichon à lunettes (Joseph Gordon-Levitt, révélé dans Mysterious Skin), est un improbable héros tout droit issu d'un film noir (il réfléchit, il castagne, il manipule tout le monde, sauf qu'il n'a vraiment pas la carrure pour qu'on y croit). Le film baigne presque dans un statut mythique, et cela colle assez mal à l'environnement lycéen qui ne reflète pas la maturité nécessaire à une histoire aussi sombre et glauque.
Rian Johnson s'est lancé dans un pur exercice de style, tellement appliqué qu'il en est pafois énervant. La mise en scène est trop stylée, trop appliquée et sent la sophistication gratuite, à tel point que le film en paraît prétentieux.
Conjugué à une histoire peu crédible, Brick m'a agacé, et je le regrette d'autant plus qu'il est épatant d'arriver à une mise en scène de ce niveau pour un premier long.
Cela reste néanmoins un beau début et une oeuvre qui se démarque foncièrement. Encore un jeune réalisateur américain à surveiller !
6/10
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20 août 2006
Miami Vice
Update du 13/09 : après une deuxième vision, je confirme tout ce que j'ai écrit ci-dessous à la sortie du film. Comme l'écrivent Les Cahiers du Cinéma dans leur n°615 (09/06) : "Déroutant, séduisant, confus, Miami Vice est le contraire d'un divertissement gratuit abîmé dans son fétichisme consumériste. Mann témoigne d'une ambition trop rarement assignée au cinéma : celle d'employer la technique à son propre dévoilement, et à l'exposition du monde tel qu'elle est en train de le changer. Les implications esthétiques et politiques de ce projet ne sont ici qu'effleurées. [...] Un tel film nécessite d'être revu [...]".
Michael Mann fait partie du cercle ultra fermé des réalisateurs encore en vie qui méritent de continuer à donner au cinéma son qualificatif de 7e art. Depuis la mort de maître Kubrick, on ne compte guère plus de trois réalisateurs qui poussent à leur paroxysme la tentative de sortir un film du champ du divertissement pour aboutir à une oeuvre, voire une expérience, métaphysique. Miracle du calendrier, ces trois là sortent chacun un film en 2006 : le naturaliste et humaniste The New World de Terrence Malick, le mystérieux (et probablement surréaliste) Inland Empire de David Lynch, et enfin le drame shakespearien Miami Vice de Michael Mann.
Ces trois artistes se caractérisent par un perfectionnisme proche de l'obsession, qu'elle soit du point de vue de la mise en scène, de la photographie, du cadrage, du montage, des effets sonores ou encore de la musique. Cette virtuosité peut parfois en devenir étourdissante. En outre, cette virtuosité ne garantit pas l'adhésion aux histoires qu'ils racontent. Ce n'est pas tout à fait un hasard si Malick, Lynch ou Mann ne sont d'ailleurs pas des stars du box-office. Néanmoins, la faveur critique dont ils jouissent, ainsi que le support de la frange dure des cinéphiles, assurent la viabilité de chacun de leurs projets, voire la confiance aveugle de leurs studios respectifs (à ce titre, ils sont dans le paysage actuel une exception totale ; Mann est ainsi producteur, scénariste et réalisateur de Miami Vice, ce qu'on appelle ainsi un film d'auteur).
Michael Mann est celui qui se retrouve à la tête de budgets colossaux, et donc de projets qu'on qualifie un peu vite de blockbusters : si son nom n'évoque souvent pas grand-chose au quidam, ses films (à partir des années 90) sont bien connus (Le Dernier des Mohicans, Heat, Révélations, Ali, Collateral). Bien que ces titres soient plus faciles d'accès que ceux de Lynch ou Malick, ils sont en tout cas trop sérieux et trop stylisés pour s'attirer les grâces du très grand public.
Sous couvert d'histoires a priori proches de polars ou films d'action classiques, Mann en profite pour dynamiter les conventions, intellectualiser et styliser son propos à un point que le bouche à oreille lui est souvent défavorable, même avec un projet a priori aussi racoleur que Miami Vice (-62% de fréquentation aux USA entre la première et deuxième semaine d'exploitation). Les films de Mann sont en effet instantanément reconnaissables entre tous, grâce à cette infinie tristesse, quasi-abstraite. C'est un cinéaste avant tout nocturne, alternant brillamment la tension des scènes d’action très réalistes avec l'apesanteur d’envolées méditatives (cette poésie qui n'appartient qu'à lui), le tout souligné par des choix musicaux terriblement judicieux. Ses films procurent la sensation - fort rare au cinéma - de rêve éveillé.
Miami Vice, le film, n'a ainsi pas grand-chose à voir avec la série des années 80. Il ne reste plus que deux flics (noms d'origine préservés : Ricardo Tubbs, le black - incarné par Jamie Foxx, 3e collaboration avec Mann, et Sonny Crockett, le blanc - incarné par Colin Farrell), spécialistes de l'infiltration des gangs de la drogue, et le cadre, Miami. Le film est interdit aux moins de 17 ans aux USA, car Mann fait des films pour adultes et n'entend pas édulcorer le monde qu'il décrit. A ce titre, on retrouve l'aspect documentaire de Révélations. Comme d'habitude avec Mann, le film est le fruit d'un travail de documentation insensé sur les cartels de la drogue et sur les méthodes de la police. Les acteurs ont subi des mois durant des entraînements les ayant amené à participer à de véritables infiltrations, et les armes vues à l'écran font exactement le bruit qu'elles font en réalité. Le film nous plonge dans le bain directement, sans aucun générique. Les deux flics ne nous sont pas présentés (ce manque d'épaisseur psychologique des personnages est voulu par le style documentaire), ils se parlent à peine, ils se comprennent par de simples regards ou attitudes corporelles. Ce sont des professionnels, qui font un travail extrêmement dangereux et dont la vie privée est très problématique. L'humour est du coup quasi-absent (nous sommes loin du genre buddy movie de L’Arme fatale, encore heureux). L'aspect "frime" de la série est donc laissée au placard, si ce n'est la Ferrari (F430 Spider) de Sonny et la cool attitude de Ricardo.
Si on pouvait reprocher auparavant aux films de Mann d'être peu sentimentaux, voire machistes (par l'absence de caractères féminins développés), Miami Vice est une réponse cinglante à cette critique. Le personnage de Gong Li est au coeur d'une idylle hautement périlleuse, qui fait dévier d'un coup le film de sa trajectoire de polar hyper fouillé, mais relativement froid. Le temps que passe Mann à montrer que flics et trafiquants sont de simples humains (qui sont capables d'aimer et qui souffrent) paraîtra insupportable au spectateur venu chercher une simple dose d'adrénaline. Pourtant, c'est ce qui permet de rendre les relations entre personnages hautement poignantes et intenses jusqu'au dénouement final, bouffée d'intensité et de classe sans pareille.
Malgré un scénario qui reste relativement simple (celui de The New World de Malick l'était aussi), le tour de force absolu est la densité formelle que lui confère Mann par sa virtuosité, qui atteint peut-être ici son paroxysme. A ce titre, Miami Vice est peut-être l'aboutissement du cinéaste, la quintessence de son style.
Troisième film de Mann tourné en numérique Haute Définition (après Ali et Collateral), Miami Vice, malgré son attachement à décrire aussi fidèlement que possible le monde du trafic de la drogue, confine à l'hallucination visuelle. C'est là le fantastique paradoxe qui résulte de cette technique. La HD apporte une netteté et une précision sans équivalent, ainsi qu'une profondeur de champ extrême. Elle confère à l'image nocturne une texture particulière, plus stupéfiante encore que dans Collateral. Elle capte une sorte de magie concrète des lieux, au point de les rendre oniriques. Cette mystification, ajoutée à la grâce et la maestria du cadrage et du montage de Mann, imprime la rétine. Le résultat est une jubilation et une sorte d'hypnose. Difficile de descendre de son nuage après ça. Amen.
10/10
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15 août 2006
La Tourneuse de pages
Les univers de la musique classique et celui du thriller n'ont a priori rien à voir, mais voici que Denis Dercourt, musicien de formation et réalisateur pour la quatrième fois, les réunit, avec la toujours impeccable Catherine Frot et Déborah François, la révélation de L'Enfant des frères Dardenne.
Avec presque rien, Dercourt instaure une atmosphère inquiétante qui doit néanmoins presque tout à la prestation de Déborah François. Cette dernière incarne Mélanie, une fille de bouchers qui a abandonné le piano une dizaine d'années plus tôt, suite à un échec au concours d'entrée au conservatoire à cause de la présidente du jury (Catherine Frot), au comportement odieux. Dix ans plus tard, Mélanie va entreprendre de se venger.
La vengeance est un thème inépuisable au cinéma, mais il est traité ici de façon vraisemblablement inédite. Nous sommes à la croisée du suspense à la Chabrol et de la perversité d'un Haneke, sans néanmoins la même maîtrise. Malgré quelques couleuvres difficiles à avaler et des messages un peu appuyés (rapports de classes un peu marqués), ce film français se démarque par l'épure de sa mise en scène et l'intensité de l'interprétation. Une curiosité bienvenue.
7/10
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Pirates of the Caribbean 2 : Dead Man's Chest
Le premier Pirates ayant créé la surprise (aucun film de pirates n'avait réellement cartonné depuis... combien de décennies ?), sans surprise voilà la suite. Cette fois, la machine à pognon tourne à plein et la spontanéité est assez logiquement sacrifiée. Le troisième volet a été tourné en même temps, réduction des coûts oblige, et ce qui fonctionnait bien dans un seul film se voit ici étiré à l'extrême, en multipliant les pistes narratives à tout va pour recoller au premier film et pour justifier l'existence des deux suites.
Véritable capharnaüm (n'oubliez pas de revoir le premier film pour suivre), le développement narratif de ce deuxième épisode est très laborieux (et frustrant puisque sans véritable fin, le film étant coupé brusquement pour "obliger" le spectateur à cracher au bassinet pour aller le voir le troisième et dernier volet !). Heureusement, Gore Verbinski n'est pas un débutant (bien que pur technicien, n'ayant pas écrit un seul de ses longs-métrages), et l'équipe technique réunit les meilleurs (les costumes et décors sont stupéfiants) ; ainsi, le tout parvient à faire passer ces 2h30 plus vite qu'on ne pourrait le croire.
Conçu comme un divertissement familial, les scénaristes ont hélas tenté de satisfaire tout le monde, et on peut identifier ici et là des scènes plutôt orientées "enfants" (humour digne de Pipo le clown) et d'autres plus sombres où le récit avance enfin. L'ensemble est terriblement bancal.
Aussi amusant ou agaçant que ce Pirates 2 puisse être (selon les goûts), il reste néanmoins un triste exemple d'une bonne idée de départ qu'on va exploiter jusqu'à la corde par manque d'audace. Cette absence de prise de risque artistique pour se contenter de faire des suites qui n'apportent rien est finalement bien ce qui pénalise le plus le spectateur. Et pourtant, que Johnny Depp est bon dans ce rôle de Jack Sparrow. Mais personnellement, la malédiction du Black Pearl me suffira. Une bonne histoire en elle-même vaut mieux qu'une saga qui s'essouffle.
6/10
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Wolf Creek
Greg McLean a écrit, réalisé et produit Wolf Creek pour un budget ridicule d'un million de dollars (difficile de faire moins de nos jours). Filmé en DV avec une approche rappelant celle du Dogme de Lars von Trier (décors naturels, éclairage et bruitage sonore réduits, concentration sur des récits novateurs et le jeu des acteurs...), Wolf Creek rappelle insolemment que faire un bon film requiert avant tout du talent, des idées et du système D, et pas obligatoirement de l'argent.
Wolf Creek est ainsi nettement plus dans la veine de ses alter ego des années 70, et bien loin des productions hollywoodiennes "horrifiques" à la mode. En dehors de quelques scènes éprouvantes, on pourrait plutôt parler d'un road movie qui se termine comme un film de terreur sourde.
McLean a le bon goût d'éviter tous les clichés au film de survival habituel. Tout d'abord parce qu'il prend le temps de nous présenter longuement, très longuement les trois personnages principaux. Nous sommes alors à la limite du documentaire ; les trois jeunes partis à la découverte du bush australien nous permettent en même temps d'admirer des paysages somptueux et des lieux pittoresques. Ensuite, ces personnages sont loin des clichés traditionnels : non, ce ne sont pas des décérébrés ne pensant qu'à l'alcool et au sexe. Ce sont des jeunes "normaux", et cette banalité permet justement de s'identifier bien plus fortement aux personnages.
Le boogieman est lui aussi loin des clichés du péquenot australien classique, rendant ainsi la violence du film hélas très plausible, puisque Wolf Creek est basé sur des faits bien réels.
En d'autres termes, McLean réussit à nous happer dans une histoire au départ bien sympathique, qui se termine en un cauchemar terrifiant, sans artifice grand-guignol. Au final, nous avons affaire à une trame classique filmée, contée et mise en scène de manière diablement convaincante et rafraîchissante. Il ne reste qu'à McLean de confirmer, avec un registre plus original. Wolf Creek s'est taillé une solide réputation dans les festivals, et McLean se voit donc logiquement confier les rênes d'un film important, Rogue, film australien de 20 M$ cette fois (avec Radha Mitchell, la douée actrice principale de Silent Hill). Encore un nouvel espoir... à suivre de près.
7/10
15:05 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0)