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20 août 2006

Miami Vice



Update du 13/09 : après une deuxième vision, je confirme tout ce que j'ai écrit ci-dessous à la sortie du film. Comme l'écrivent Les Cahiers du Cinéma dans leur n°615 (09/06) : "Déroutant, séduisant, confus, Miami Vice est le contraire d'un divertissement gratuit abîmé dans son fétichisme consumériste. Mann témoigne d'une ambition trop rarement assignée au cinéma : celle d'employer la technique à son propre dévoilement, et à l'exposition du monde tel qu'elle est en train de le changer. Les implications esthétiques et politiques de ce projet ne sont ici qu'effleurées. [...] Un tel film nécessite d'être revu [...]".

Michael Mann fait partie du cercle ultra fermé des réalisateurs encore en vie qui méritent de continuer à donner au cinéma son qualificatif de 7e art. Depuis la mort de maître Kubrick, on ne compte guère plus de trois réalisateurs qui poussent à leur paroxysme la tentative de sortir un film du champ du divertissement pour aboutir à une oeuvre, voire une expérience, métaphysique. Miracle du calendrier, ces trois là sortent chacun un film en 2006 : le naturaliste et humaniste The New World de Terrence Malick, le mystérieux (et probablement surréaliste) Inland Empire de David Lynch, et enfin le drame shakespearien Miami Vice de Michael Mann.

Ces trois artistes se caractérisent par un perfectionnisme proche de l'obsession, qu'elle soit du point de vue de la mise en scène, de la photographie, du cadrage, du montage, des effets sonores ou encore de la musique. Cette virtuosité peut parfois en devenir étourdissante. En outre, cette virtuosité ne garantit pas l'adhésion aux histoires qu'ils racontent. Ce n'est pas tout à fait un hasard si Malick, Lynch ou Mann ne sont d'ailleurs pas des stars du box-office. Néanmoins, la faveur critique dont ils jouissent, ainsi que le support de la frange dure des cinéphiles, assurent la viabilité de chacun de leurs projets, voire la confiance aveugle de leurs studios respectifs (à ce titre, ils sont dans le paysage actuel une exception totale ; Mann est ainsi producteur, scénariste et réalisateur de Miami Vice, ce qu'on appelle ainsi un film d'auteur).

Michael Mann est celui qui se retrouve à la tête de budgets colossaux, et donc de projets qu'on qualifie un peu vite de blockbusters : si son nom n'évoque souvent pas grand-chose au quidam, ses films (à partir des années 90) sont bien connus (Le Dernier des Mohicans, Heat, Révélations, Ali, Collateral). Bien que ces titres soient plus faciles d'accès que ceux de Lynch ou Malick, ils sont en tout cas trop sérieux et trop stylisés pour s'attirer les grâces du très grand public.

Sous couvert d'histoires a priori proches de polars ou films d'action classiques, Mann en profite pour dynamiter les conventions, intellectualiser et styliser son propos à un point que le bouche à oreille lui est souvent défavorable, même avec un projet a priori aussi racoleur que Miami Vice (-62% de fréquentation aux USA entre la première et deuxième semaine d'exploitation). Les films de Mann sont en effet instantanément reconnaissables entre tous, grâce à cette infinie tristesse, quasi-abstraite. C'est un cinéaste avant tout nocturne, alternant brillamment la tension des scènes d’action très réalistes avec l'apesanteur d’envolées méditatives (cette poésie qui n'appartient qu'à lui), le tout souligné par des choix musicaux terriblement judicieux. Ses films procurent la sensation - fort rare au cinéma - de rêve éveillé.

Miami Vice, le film, n'a ainsi pas grand-chose à voir avec la série des années 80. Il ne reste plus que deux flics (noms d'origine préservés : Ricardo Tubbs, le black - incarné par Jamie Foxx, 3e collaboration avec Mann, et Sonny Crockett, le blanc - incarné par Colin Farrell), spécialistes de l'infiltration des gangs de la drogue, et le cadre, Miami. Le film est interdit aux moins de 17 ans aux USA, car Mann fait des films pour adultes et n'entend pas édulcorer le monde qu'il décrit. A ce titre, on retrouve l'aspect documentaire de Révélations. Comme d'habitude avec Mann, le film est le fruit d'un travail de documentation insensé sur les cartels de la drogue et sur les méthodes de la police. Les acteurs ont subi des mois durant des entraînements les ayant amené à participer à de véritables infiltrations, et les armes vues à l'écran font exactement le bruit qu'elles font en réalité. Le film nous plonge dans le bain directement, sans aucun générique. Les deux flics ne nous sont pas présentés (ce manque d'épaisseur psychologique des personnages est voulu par le style documentaire), ils se parlent à peine, ils se comprennent par de simples regards ou attitudes corporelles. Ce sont des professionnels, qui font un travail extrêmement dangereux et dont la vie privée est très problématique. L'humour est du coup quasi-absent (nous sommes loin du genre buddy movie de L’Arme fatale, encore heureux). L'aspect "frime" de la série est donc laissée au placard, si ce n'est la Ferrari (F430 Spider) de Sonny et la cool attitude de Ricardo.

Si on pouvait reprocher auparavant aux films de Mann d'être peu sentimentaux, voire machistes (par l'absence de caractères féminins développés), Miami Vice est une réponse cinglante à cette critique. Le personnage de Gong Li est au coeur d'une idylle hautement périlleuse, qui fait dévier d'un coup le film de sa trajectoire de polar hyper fouillé, mais relativement froid. Le temps que passe Mann à montrer que flics et trafiquants sont de simples humains (qui sont capables d'aimer et qui souffrent) paraîtra insupportable au spectateur venu chercher une simple dose d'adrénaline. Pourtant, c'est ce qui permet de rendre les relations entre personnages hautement poignantes et intenses jusqu'au dénouement final, bouffée d'intensité et de classe sans pareille.

Malgré un scénario qui reste relativement simple (celui de The New World de Malick l'était aussi), le tour de force absolu est la densité formelle que lui confère Mann par sa virtuosité, qui atteint peut-être ici son paroxysme. A ce titre, Miami Vice est peut-être l'aboutissement du cinéaste, la quintessence de son style.

Troisième film de Mann tourné en numérique Haute Définition (après Ali et Collateral), Miami Vice, malgré son attachement à décrire aussi fidèlement que possible le monde du trafic de la drogue, confine à l'hallucination visuelle. C'est là le fantastique paradoxe qui résulte de cette technique. La HD apporte une netteté et une précision sans équivalent, ainsi qu'une profondeur de champ extrême. Elle confère à l'image nocturne une texture particulière, plus stupéfiante encore que dans Collateral. Elle capte une sorte de magie concrète des lieux, au point de les rendre oniriques. Cette mystification, ajoutée à la grâce et la maestria du cadrage et du montage de Mann, imprime la rétine. Le résultat est une jubilation et une sorte d'hypnose. Difficile de descendre de son nuage après ça. Amen.

10/10

11:30 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0)

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