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07 mars 2006

L'Ivresse du Pouvoir



Chabrol est, pour moi, au cinéma ce que le sandwich jambon-beurre est à la gastronomie. Un bon jambon-beurre ne déçoit pas mais n'a pas non plus la prétention d'être ce qu'il n'est pas.

L'Ivresse du Pouvoir ne déroge pas vraiment à cette règle qui est mienne. Je passe sur la mise en scène tout ce qu'il y a de paresseuse, fade et presque bâclée. D'un point de vue technique, on est très proche du téléfilm. Personnellement, je n'aime pas ça du tout mais je m'y attendais. Chabrol n'est pas un esthète, je pense même qu'il s'en fout.

L'intérêt est normalement ailleurs : dans le scénario et dans le jeu des acteurs. Et là, j'ai pris une douche froide. Le film ne vaut quasiment que pour Isabelle Huppert, LA Huppert, dont le naturel du jeu laisse comme d'habitude pantois (l'hommage récent rendu à l'actrice à la Cinémathèque est mille fois justifié). Le titre du film, au moins, ne prend pas en traître car le pouvoir du juge d'instruction nous rend ivre en même temps que son personnage. On jubile de voir le mépris de ces hauts responsables mis en examen venir se briser contre ce mur de détermination tranquille qu'est le personnage de la juge Jeanne Charmant Killman. La réflexion sur les limites de ce pouvoir du juge d'instruction face à des raisons d'Etat plus puissantes encore est passionnante. Mais c'est tout.

Car l'intrigue elle-même est extrêmement peu développée, voire insignifiante. De scandale il n'est point question. L'"affaire" reste cantonnée à des détournements de fonds dont l'importance n'est pas vraiment perçue (les chiffres cités sont de l'ordre de quelques milliers d'euros pour des dépenses d'entretien de maîtresse, le reste est suggéré). Les pots-de-vins à destination des pays d'Afrique sont à peine esquissés et restent totalement mystérieux. Du coup, les responsables qui défilent devant Madame le juge ont l'air de petites frappes, de gredins sans envergure plutôt que de grands abuseurs de biens sociaux sans états d'âme. C'est fort dommage car c'est à ces moments précis qu'ont lieu certains numéros d'acteurs parmi les plus impressionnants (Jean-François Balmer dans le rôle de Boldi).

Il n'y a pas que les inculpés qui manquent d'envergure, mais bon nombre de personnages sont minces comme du papier à cigarette, on est souvent dans la caricature grossière : le neveu confident préféré au mari transparent et dépassé, le chef d'entreprise jeune et aux dents qui rayent le parquet (un très mauvais Patrick Bruel), des politiques qui fument le cigare et accumulent les bons mots tout en tirant les ficelles, etc.

Au final, je ne retiens pas grand-chose de cette nouvelle livraison de Chabrol, en dehors de dialogues fort bien écrits tout de même, souvent percutants, et des qualités liées au personnage incarné par Huppert.

Pour une fois que le cinéma français osait traiter un sujet sortant des relations amoureuses des trentenaires, quadragénaires ou quinquagénaires, on a affaire à un pétard mouillé, manquant cruellement d'envergure à mon goût.

6/10

10:02 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Cinéma

06 mars 2006

Running Scared (La Peur au Ventre)



Wayne Kramer s'était déjà fait remarqué en 2003 avec un polar remarquable et élégant, sur fond de mafia à Las Vegas (The Cooler, rebaptisé de façon improbable en Lady Chance en France), avec William H. Macy, Maria Bello et Alec Baldwin. Originalité du pitch, mise en scène élégante et musclée quand il le faut, choix d'acteurs très judicieux (habituellement cantonnés à des seconds rôles et qui donnaient toute la mesure de leur talent - à noter que Maria Bello fut ensuite engagée par David Cronenberg pour A History Of Violence) : tous les indicateurs étaient réunis pour que le nom de Wayne Kramer devienne pour moi à surveiller.

C'est donc avec une certaine attente que je suis allé voir son nouvel opus, Running Scared, qui bénéficie cette fois d'un titre français un peu mieux adapté. C'est avec surprise que j'ai constaté que Wayne Kramer s'était fendu ici d'un thriller extrêmement violent dont beaucoup de caractéristiques m'ont rappelé les oeuvres du grand Tony Scott, surtout Domino !

Images au grain prononcé, filtres magnifiques pour saturer les couleurs, flash-backs, montage saccadé par moments... c'est quasiment un exercice de style, tape-à-l'oeil diront certains. Il est clair que ce choc visuel n'est pas pour tout le monde (plusieurs spectateurs ont quitté la salle lors de la projection à laquelle j'ai assisté). Moins épileptique que Domino de Tony Scott, moins humoristique qu'un Tarantino (mais avec quelques punchlines vraiment bien troussées), Running Scared n'en est pas moins haletant et les deux heures passent sans aucun temps mort.

La tension dramatique est très forte, et pas seulement à cause des scènes hystériques ; une des bifurcations astucieuses du récit vers de la pédophilie meurtrière (uniquement suggérée) est d'une cruauté abyssale et met le coeur du spectateur à l'épreuve plus encore que les scènes de gunfight bien crues.

Wayne Kramer a réitéré les qualités de The Cooler en ce qui concerne l'originalité de l'histoire (il est à l'origine du scénario), et le choix judicieux du casting (notons ici Paul Walker, habitué à des films d'action habituellement moins fins, et le jeune Cameron Bright, qui n'en finit pas de monter, après The Butterfly Effect, Godsend et Birth - il sera à l'affiche de X-Men 3).

Sa mise en scène est cette fois peut-être moins personnelle, mais il entre directement dans la catégorie de ceux qui savent faire des films (très) violents, strictement pour adultes, où l'action ne prend pas le pas sur l'astuce du scénario. Et ça, ça change des films américains consensuels mous du genou (et du nougat).

7/10

10:25 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Cinéma

03 mars 2006

Hell



Sexe (un peu), drogues (beaucoup), alcools (en tous genres) et vide existentiel total, telle est la vie des enfants de riches du 16ème arrondissement. Ou du moins telle est la vie des personnages du dernier film de Bruno Chiche, jouissant d'un petit succès pour son précédent et premier film, Barnie et ses petites contrariétés (2001).

Adaptation du best-seller de Lolita Pille (personnellement, pas lu...), Hell pourrait paraître ainsi provocateur. Mais c'est un film français, donc on ne verra (sans grand surprise) rien de bien trash dans ce film (alors que le livre a une réputation sulfureuse). Le ton est plutôt cynique et nihiliste, mais un peu léger finalement pour qu'on se soucie du malheur de ces gosses de riches qui ont tout, sauf une vie intéressante donc.

Heureusement, le film est sauvé par l'interprétation des acteurs formant le couple principal. La jeune Sara Forestier (César du meilleur espoir féminin pour L'Esquive) tient ici toutes ses promesses : elle joue le désespoir adolescent telle une écorchée vive et parvient à donner une épaisseur à son personnage superficiel et antipathique. Nicolas Duvauchelle confirme, après Une Aventure (2005), qu'il est un acteur doué pour les rôles de types mornes, renfermés, désabusés, fragiles derrière leur apparente indifférence.

La réalisation et le montage sont plutôt réussis, assez "choc" (caméra à l'épaule, filtres, ellipses, etc.), et tranchent un peu avec le reste de la production française. Néanmoins cela ne plaira pas à tout le monde, ce "clinquant" pouvant paraître superficiel, mais il colle bien au sujet.

Le seul problème véritable de Hell est qu'on peut se demander légitimement : à quoi sert ce film ? A pas grand-chose, à rien diront les mauvaises langues. C'est un bel objet, mais creux. Et le cinéma français continue de nous servir des comédies plus ou moins dramatiques "branchouilles" qui tournent en rond.

6/10

11:20 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Cinéma

01 mars 2006

The Saddest Music In The World



Il y a des films qui rassurent sur l'état du cinéma en tant qu'un des beaux-arts, et pas seulement comme du divertissement accompagné de pop-corn pour les masses. Le dernier film de l'excentrique Guy Maddin en fait partie, et en regardant de plus près en quoi ce film consiste, on peut vraiment penser que c'est un miracle que de telles oeuvres puissent encore exister...

Commençons par un aperçu du synopsis :

Winnipeg, au Canada, en 1933, au coeur de la Grande Dépression. Lady Port-Huntly, baronne locale de la bière, bien décidée à profiter de la fin proche de la Prohibition, lance le concours de la musique la plus triste du monde.
Des candidats du monde entier affluent vers la ville enneigée et glaciale. Attiré par le prix de 25 000 $, chacun tente d'interpréter à sa manière la plus profonde tristesse au cours d'une compétition euphorique, largement arrosé à la bière locale, la Muskeg, et suivie à la radio par des américains qui ont soif.


Ajoutons que le tout est filmé en noir et blanc, avec une post-production consistant à vieillir le film pour l'amener à une qualité proche celle qu'on trouvait à l'époque du cinéma muet : image granuleuse, scintillement, défilement irrégulier... et le son est quant à lui également peu naturel, comme aux débuts du cinéma parlant, avec ses imperfections techniques et son absence de "réalisme". Tout ceci n'est pas très vendeur ! Et pourtant, il se dégage ainsi du film un charme suranné et une puissance d'évocation onirique impressionnants.

Il convient de souligner que même si l'image et le son ont été calqués au plus près sur ce qu'on parvenait à faire il y a plus de 70 ans, le montage est quant à lui d'une fulgurance et d'une inventivité toute autre. C'est un des nombreux atouts du film.

Au-delà de cette mise en forme particulière, le fond n'en est pas moins très intéressant. Le concours de la musique la plus triste du monde est un prétexte pour se faire rencontrer les personnages d'un drame familial (père, frères, ex-femme, maîtresse...). Ces personnages sont excentriques, voire farfelus : la baronne de la bière est cul-de-jatte (Isabella Rossellini), son ancien mari est un producteur de comédies musicales, dont la maîtresse est nymphomane et amnésique (Maria de Medeiros) et dont le frère est un musicien ne supportant pas qu'on le touche, etc.

Le film comporte un très grand nombre de scènes tour à tour féériques, loufoques, bizarres, drôles, tendres, cruelles... Le surréalisme qui se dégage par moment évoque forcément un des derniers cinéastes à encore briller dans le domaine : David Lynch. Ce n'est néanmoins qu'un trait de caractère que Maddin partage avec Lynch, car leurs personnalités sont bien différentes dans le résultat final.

The Saddest Music In The World est peut-être un peu trop dense pour être digéré en une seule fois, et la surprise continuelle de la mise en scène contribue sans doute à semer le doute chez le spectateur. Bonne nouvelle, voici donc un film qui gagnera à être revu.

8/10

10:25 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Cinéma

23 février 2006

Syriana



D'après Robert Baer, l'auteur du livre See No Evil ayant inspiré ce film, Syriana est le terme utilisé à Washington pour décrire le remodelage du Moyen-Orient souhaité par les USA. Ce terme provient de l'expression Pax Syriana, dont on trouve la signification sur Wikipedia.

Une fois cette explication donnée, on ne peut que reconnaître que ce titre résume à merveille le sujet du film, qui dénonce les agissements de l'industrie pétrolière américaine prête à tout pour maintenir le chaos au Moyen-Orient afin de continuer à en dominer le marché pétrolier. On nous montre cette industrie comme ayant corrompu tous les niveaux du gouvernement américain, qui semble donc plus préoccupé par les pétro-dollars que par la montée du terrorisme islamiste.

Depuis le début de l'année, les films américains très engagés politiquement s'enchaînent et tirent à boulets rouges sur une actualité brûlante (néanmoins, seul Lord Of War d'Andrew Niccol a été entièrement financé en dehors d'Hollywood). S'il peut paraître miraculeux qu'un conglomérat comme AOL-Time-Warner finance un film comme Syriana, George Clooney, producteur exécutif et chef de file des "stars" engagées, rappelle que l'ultime loi reste le dollar. Or, les blockbusters habituels marchent beaucoup moins bien qu'avant, alors qu'il y a une réelle demande du public pour des films plus critiques, et moins chers à produire. La rentabilité record de Fahrenheit 9/11 de Michael Moore a ouvert la voie.

Malgré tout l'intérêt politique de Syriana, qu'en est-il artistiquement ? Stephen Gaghan, réalisateur/scénariste, avait auparavant seulement tourné Abandon (2002), un thriller à la réputation de nanar même pas sorti en salles chez nous. Par contre, l'homme peut s'enorgueillir d'être le scénariste de Rules Of Engagement (2000) de William Friedkin (à ne pas rater à la Cinémathèque !) et de Traffic (2000) de Steven Soderbergh.

Traffic est vraiment un de mes films préférés de Soderbergh, à tous points de vue. La comparaison s'impose et c'est très intéressant : Syriana fonctionne aussi comme un puzzle, un film choral où 4 histoires parallèles finissent par se rejoindre.

Hélas, c'est là qu'on voit toute la différence entre un réalisateur surdoué comme Soderbergh et un "débutant" comme Stephen Gaghan, qui aurait peut-être dû confier la réalisation à quelqu'un de plus expérimenté et s'en tenir au scénario, dont je ne remets pas en cause le fond, plutôt passionnant, même si un petit peu porté sur les clichés par moments (entre autres : l'apprentissage du futur kamikaze ; l'omni-présence des relations père/fils, difficiles pour tous les personnages).

Le découpage des histoires parallèles est particulièrement haché et contraste avec le déroulement plutôt lent de l'action. Ce paradoxe entraîne une sensation de confusion qui aurait pu être facilement évitée, car l'histoire de Syriana n'est finalement pas si dense que cela. Les séquences sur chaque personnage sont trop courtes et ne permettent pas de s'attacher véritablement à eux, ni même de bien comprendre leurs motivations, d'autant plus que leur personnalité n'est jamais approfondie.

La façon de filmer, très "docu-fiction", caméra à l'épaule le plus souvent, contraste avec des plans nettement plus cinématographiques, plus fouillés, si bien qu'on a l'impression que Gaghan a hésité quant au style à donner à Syriana.

La photographie est très terne et là encore, on est bien loin des splendides images de Traffic (dont Soderbergh avait réalisé lui-même la photographie). Ceci est vraisemblablement voulu pour l'aspect "documentaire", mais les nombreuses images du désert paraissent bien peu vivantes, très sous-exploitées en tout cas.

Si je résume, j'ai apprécié le fond (pour sa rage non dénuée d'intelligence sur le sujet, et son pessismisme, puisque seuls les corrompus s'en sortent), mais assez peu la forme, qui handicape à mon avis grandement la portée du film.

7/10

10:45 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : Cinéma