23 février 2009
The Wrestler
Après la catastrophe The Fountain, inévitablement le quatrième long-métrage de Darren Aronofsky s'annonçait comme un couperet : soit on remisait pour de bons les espoirs placés en lui comme un des plus grands cinéastes américains de sa génération, soit Aronofsky allait clouer le bec à tout le monde. Le Lion d'Or remporté à Venise semblait donner un sérieux indice sur l'option à retenir.
Si tout le monde s'empresse de saluer - avec raison - la résurrection offerte à Mickey Rourke (le rôle de sa vie, le Golden Globe, l'Oscar... ha non finalement !), The Wrestler est bel et bien une résurrection aussi pour Aronofsky, qui réinvente totalement sa manière de filmer. Pour la première fois de sa carrière, il n'a pas participé à l'écriture du scénario, ce qui lui a sans doute permis d'une part de diminuer les risques en s'appropriant un scénario solide, et d'autre part de se consacrer à la mise en scène et à la direction d'acteurs.
A mille lieues du style de ses films précédents, Aronofsky a choisi le style documentaire et la caméra à l'épaule, avec une photographie blafarde. Il a privilégié le réalisme, en ne faisant appel par exemple qu'à de véritables catcheurs, et aucun cascadeur. Il nous emmène ainsi dans un monde inconnu, celui du catch ; si le cinéma américain a produit quantités de films ayant pour thème la boxe ou le football américain, cet autre sport violent qu'est le catch, véritable phénomène de société aux Etats-Unis, était jusqu'à présent curieusement toujours resté dans l'ombre.
Néanmoins, non seulement ce n'est pas un faux documentaire sur le catch (sans quoi cela m'aurait probablement barbé), mais en plus Aronofsky n'a pas choisi la face fun de ce sport ; plutôt la déchéance physique - et la mort prématurée - qui guette les catcheurs dont l'heure de gloire est passée, et qui se retrouvent obligés de se vendre pour des cachets minables dans des réseaux peu glorieux, fréquentés par les péquenots et autres beaufs. A moins d'avoir opéré à temps une reconversion, ils n'ont guère le choix : les catcheurs américains n'ont pas de syndicat, pas de retraite et pas de couverture sociale.
Le corps comme seule marchandise est un sujet dessiné habilement par le scénario, qui trace un parallèle entre le vieux catcheur et une strip-teaseuse dont le corps ferait encore bien des envieuses, mais dont l'âge est moqué par ses clients : difficile de faire rêver dans ce métier quand on va vers la cinquantaine.
En filmant à hauteur d'homme, sans lâcher d'une semelle un Mickey Rourke totalement habité par le rôle (peut-être qu'il n'a pas eu beaucoup besoin de se forcer, mais cela révèle alors l'intelligence finale du casting, car Nicolas Cage avait été le premier pressenti...), Aronofsky réussit à toucher juste et à faire naitre l'émotion dans quasiment chaque plan, et ce malgré une trame classique. Son attachement à nous montrer l'envers du rêve américain (des citoyens de seconde zone, laissés pour compte), sans complaisance, éloigne le film de toute entreprise douteuse, du genre machine hollywoodienne à faire pleurer dans les chaumières.
Si on ajoute une B.O. éminemment plaisante (Quiet Rot, Ratt, Cinderella, Scorpions, Firehouse, Guns N' Roses... wow !), on tient là probablement un des films de l'année. Grosse surprise, mais des comme ça, j'en veux bien d'autres.
9/10
21:07 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : cinéma, darren aronofsky, mickey rourke, marisa tomei, evan rachel wood
22 février 2009
Ricky
Idéalement il faudrait voir Ricky sans rien savoir du film, et surtout en n'ayant pas vu la bande-annonce qui spoile méchamment. Heureusement, même s'il y a une révélation qui opère un changement brusque dans le film, ce changement n'est pas définitif (il n'est qu'une des nombreuses ruptures de ton du film), et Ricky ne repose donc pas là-dessus. Finalement, malgré les apparences trompeuses (pour ceux qui ont hélas vu la bande-annonce), Ricky est bien du pur Ozon, à savoir un film déstabilisant, puissamment original, prenant le contre-pied des conventions et se foutant pas mal du box-office : la gamelle est sans doute d'ailleurs assurée, mais pas méritée.
Ozon ouvre beaucoup de pistes dans Ricky, tant et si bien que même s'il laisse le spectateur maître de sa propre interprétation, le manque d'indices déconcertera probablement trop de monde, et de façon négative. C'est à la fois la force et la faiblesse de Ricky : difficile à aimer, mais pourtant impossible de ne pas y penser encore et encore. N'est-ce pas là un signe indéniable de réussite ?
Attention, spoilers pour la suite
La première partie du film met les deux pieds dans le réalisme social (nouveau pour Ozon -- photographie laide et triste à en pleurer, qui s'éclaircit peu à peu), dans lequel s'immiscent des pointes de malaise insidieux comme Ozon sait si bien le faire. Le sens de l'ellipse fait ici merveille, Ozon trace droit à l'essentiel et en quelques dizaines de secondes tous les doutes éventuellement liés à Alexandra Lamy sont dissipés. Ozon est un expert en casting, une fois de plus il gagne son pari en allant chercher une actrice venue de la sitcom TV pour lui faire interpréter une ouvrière à la vie médiocre.
Le malaise grandit lors de la découverte des moignons d'aile qui poussent dans le dos de bébé Ricky ; cette première rupture de ton nous rapproche énormément de Cronenberg, tout comme l'humour effroyable et terriblement décalé (par exemple, le plan sur le poulet). Lorsque les plumes se mettent enfin à pousser, on commence à basculer du côté de la fable fantastique, et c'est alors qu'Ozon gagne son pari, car il évite admirablement le ridicule en sachant tirer une ambigüité remarquable de toutes les situations qu'il met en scène. Là, il n'y a guère plus de comparaisons aisées, Ozon surprend, point final.
Bien entendu, notre raison, qui cherche systématiquement à mettre une signification derrière chaque chose, est fort contrariée lors du dernier plan de Ricky et il est facile alors de reprocher à Ozon de ne pas avoir su lui-même décider de ce qu'il avait voulu dire. A mon sens, Ricky évoque (pêle-mêle, certes, d'où le léger manque d'aboutissement par rapport à ses films précédents) les conséquences des bouleversements familiaux, qu'ils soient liés au couple (séparation, vie commune entre divorcés, etc.) ou surtout aux enfants avec une plongée dans la complexité des sentiments maternels.
Dit autrement par un spectateur : "Parabole aigre-douce sur l'enfant différent qu'on ne peut retenir, qui ne peut s'intégrer, mais qui devient littéralement ange et ange gardien pour une famille recomposée à travers son étrange histoire. Grande tristesse et grande mélancolie qui toucheront particulièrement ceux qui ont vécu ou vivent l'anormalité d'une situation parentale tragique"
8/10
09:40 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, françois ozon, alexandra lamy, sergi lópez
18 février 2009
Walkyrie
Ouf ! Bryan Singer a enfin laissé tomber les films de super-héros, qui allaient en s'essouflant, et qui ne lui permettaient pas d'exprimer pleinement son talent, tant les projets de l'envergure d'un Superman Returns imposaient une influence néfaste des studios qui les finançaient...
Avec Walkyrie, Singer ne revient pas directement à un film très personnel, mais au travers de ce thriller historique (un minimum de faits ont été romancés quant à la dernière tentative d'assassinat d'Hitler), il traite un thème qui lui est cher, le nazisme, déjà abordé dans Apt Pupil et dans X-Men avec le personnage de Magneto.
Walkyrie est un divertissement haut de gamme, une excellente surprise qui repose sur deux solides fondations : une mise en scène sobre (peu de scènes d'action) et classe (quelle photographie, quels cadrages !), et un suspense infernal (grand merci au scénariste Christopher McQuarrie de retour aux côtés de Singer après le fameux Usual Suspects), quand bien même tout le monde sait que l'attentat n'aura pas atteint son but.
C'est probablement la plus grande force du film : arriver à scotcher le spectateur à son fauteuil malgré la fin connue, lui faire sentir à quel point le retournement de l'Histoire s'est joué à de petits riens, et lui faire éprouver ce qu'on pu ressentir les officiers impliqués dans le coup d'Etat (incroyable scène dans le nid d'aigle d'Hitler des montagnes bavaroises). La section comprise entre l'explosion et la reprise en main par Hitler du contrôle de la situation constitue une des plus belles guerres des nerfs que j'ai pu voir au cinéma.
On pourra toujours reprocher au film d'être manichéen. Pas tant que ça : les personnages sont d'une noirceur rare, et interprétés par des acteurs pas vraiment lisses (Kenneth Branagh, Terrence Stamp, Bill Nighy). Même Cruise s'en sort grâce à sa sobriété et les handicaps de son personnage qui était borgne, amputé d'une main et de deux doigts à sa dernière main. On est loin d'un film d'héroïsme dévergondé et décervelé. Certes, c'est le rythme et l'efficacité qui sont privilégiés : le parti pris est assumé. Il ne faut espérer de Walkyrie un programme qu'il ne promet pas.
Le seul reproche que j'adresse au film est inhérent à sa conception : c'est le tournage en langue anglaise. Heureusement, le scénario est tellement passionnant qu'on finit par ne plus y prêter attention, mais il est fort probable qu'un projet intégralement allemand aurait changé la perception de nombre de spectateurs.
8/10
09:56 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : cinéma, bryan singer, tom cruise, carice van houten, kenneth branagh, bill nighy
14 février 2009
L'Autre
Anne-Marie se sépare d'Alex. Il veut une vraie vie conjugale. Elle veut garder sa liberté. Ils se séparent sans heurt et continuent à se voir.
Pourtant, lorsqu'elle apprend qu'Alex a une nouvelle maîtresse, Anne-Marie devient folle de jalousie. Et bascule dans un monde inquiétant, fourmillant de signes et de menaces.
Ce pitch, la revue de presse dithyrambique et la présence de Dominique Blanc (qui a décroché la récompense de meilleure actrice à la Mostra de Venise avec ce film en 2008) m'ont incité à aller voir L'Autre, deuxième film du tandem Pierre Trividic et Patrick Mario Bernard.
Techniquement, nous avons affaire à du haut vol. La photographie est nettement influencée par l'œuvre de Michael Mann, tout comme l'environnement urbain qui est un personnage à part entière. La prise de son est très soignée et rejoint bien entendu le souci du détail propre aux bandes-sons de Lynch, qui sont un élément essentiel pour rentrer dans l'exercice de style métaphysique qui consiste à faire ressentir physiquement les émotions d'une personne qui sombre peu à peu dans une perception altérée de la réalité.
La seule limite de L'Autre est peut-être d'être trop cérébral, et de ne pas offrir suffisamment d'inquiétude dans l'étrangeté promise. Du coup, les 97 minutes du film semblent parfois un peu longues. C'est probablement un film à revoir, car son parti-pris de grande sécheresse en fait une œuvre difficile à réellement aimer. Il est indéniable que le sentiment de paranoïa et de malaise continue de hanter l'esprit après la projection. Il y a juste un goût d'inachevé : personnellement j'aurais aimé que le film aille plus loin dans son dérangement, à l'instar d'un Haneke.
7/10
12:20 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, patrick mario bernard, pierre trividic, dominique blanc, cyril gueï, peter bonke
08 février 2009
The Curious Case of Benjamin Button
Après le brillant Zodiac, qui marquait un retour en très grande forme de David Fincher, Benjamin Button pose un paradoxe dans le parcours de ce cinéaste américain surdoué dans sa mise en scène, mais qui persiste à ne pas écrire ses scénarios.
C'est en effet là que se situe ce paradoxe : Benjamin Button est un film visuellement magnifique, techniquement terrassant, mais son histoire est non seulement naïve voire mièvre, mais aussi terriblement linéaire et sans surprise (si tant qu'on connaît le pitch en entrant dans la salle), ce qui est ennuyeux sur près de 2h45... Fincher en vient même à utiliser des ressorts qu'on ne croyait voir que chez Jean-Pierre Jeunet (le galimatias autour du hasard et du destin pour amener l'accident de voiture). Quant au voyage initiatique de Button, il n'a pas grand-chose à envier à celui de Forrest Gump. Pourtant, Zemeckis et Fincher, c'est pas vraiment le même combat... mais là, presque !
Les scènes magnifiques ne manquent pourtant pas (par exemple : toutes celles où Cate Blanchett danse, en particulier sous le kiosque), mais l'émotion est souvent facile. Il faut aller chercher des passages particuliers pour trouver du vrai Fincher, de l'original et inimitable : les scènes de nuit dans l'hôtel en Russie en sont un exemple rassurant.
Il est difficile de reprocher à Fincher de vouloir probablement draguer quelques Oscars (il n'en a jamais eu...). Certes, qui peut le plus peut le moins, mais c'est assez rageant de voir un des plus grands cinéastes américains de sa génération délivrer une telle coquille creuse (vide serait injuste). La réflexion sur la vie et la mort tourne court, le pitch offrait pourtant là une occasion de délivrer autre chose que du premier degré destiné à faire pleurer dans les chaumières. Rapidement, hélas, pour tromper l'ennui, on se prend à surveiller les prouesses des trucages numériques et du maquillage pour voir de quoi Brad Pitt (plutôt transparent dans ce film) aura l'air au plan suivant, à mesure qu'il rajeunit. Mauvais signe...
6/10
18:28 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : cinéma, david fincher, brad pitt, cate blanchett, julia ormond