19 février 2008
Cloverfield
Réalisateur de deux longs-métrages obscurs, Matt Reeves est plus connu comme créateur (et réalisateur) d'épisodes de séries TV, et s'est surtout illustré comme scénariste de The Yards (2000), le deuxième film du surdoué James Gray (cf. We Own The Night). Son statut devrait toutefois changer quelque peu avec ce Cloverfield produit par un autre créateur et réalisateur de séries TV, bien plus célèbre ; J.J. Abrams.
Cloverfield a été à l'origine d'un buzz conséquent sur le web. Alors que personne n'était au courant de ce projet, un teaser assez malin montrait une fête privée new-yorkaise perturbée par de gigantesques explosions. Rapidement répandu sur le web en juillet 2007, ce teaser ne dévoilait alors rien de l'intrigue mais précisait toutefois le nom du producteur (devenu très vendeur !) et la date de sortie.
Il faut reconnaître un talent marketing indéniable à Abrams, et une façon bien rusée de distiller le mystère sur de nombreux mois (ce qui a son pendant inévitable, à savoir que le soufflé se dégonfle dès la surprise dévoilée). De surcroît, Abrams a parfaitement compris comment utiliser l'engouement pour des sites web comme YouTube. Décrit partout comme un croisement entre Godzilla et The Blair Witch project, force est de constater que Cloverfield est bien grosso modo fidèle à ce raccourci, mais le principe de caméra subjective, amateur, fait bien entendu plus écho aujourd'hui à toutes ces vidéos de particuliers, que ce soit sur YouTube donc, mais aussi les blogs, celles qu'on s'envoie sur mobiles, etc. L'effet d'identification est immédiat et le réalisme est donc très frappant.
Ce réalisme est bien ce qui permet de s'accrocher à son fauteuil pendant 1h30, car autant l'histoire comporte un nombre impressionnant d'incohérences, autant le divertissement est total grâce au soin avec lequel la réalisation en caméra subjective est poussée. Le film de Matt Reeves est donc finalement un coup d'essai plutôt réussi, si toutefois on veille à ne pas attendre plus que ce que toute la promotion, orchestrée de main de maître par Abrams, pouvait en laisser espérer.
Il n'y a d'ailleurs peut-être pas de meilleur exutoire à nos traumatismes que ce Cloverfield. La situation en plein New-York de ce désastre n'est évidemment pas un hasard, et si le film Godzilla de 1954 adressait directement les peurs liées à la bombe atomique d'Hiroshima, Cloverfield est une expérience éminemment cathartique pour les attentats du 11/09/2001. Les personnages de Cloverfield sont interprétés par des acteurs totalement inconnus, et ils passent tous pour de gentils crétins (impossible donc de s'y identifier), pauvres hères livre en patûre aux événements épouvantables qui dévastent New York. Vu le succès en salles de Cloverfield, cela est révélateur de nos psychoses.
7/10
11:27 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Cinéma, Matt Reeves, J.J. Abrams
17 février 2008
Things We Lost In The Fire
Le précédent long-métrage de la Danoise Susanne Bier, After The Wedding, m'avait laissé relativement pantois devant une telle réussite artistique.
Contrairement à que je souhaitais alors, je n'ai pas pu découvrir depuis le reste de la filmographie de Susanne Bier, mais la réalisatrice a sorti son nouveau film, Things We Lost In The Fire (sorti en France sous le nom approximatif de Nos Souvenirs brulés), tourné pour la première fois aux USA, avec des acteurs américains : Benicio Del Toro, Halle Berry, Alison Lohman, David Duchovny...
En quelques minutes, la personnalité intense de la réalisatrice se retrouve intacte à l'écran, et je peux alors me borner à reproduire à l'identique ce que j'écrivais à propos de la réalisation d'After The Wedding : Susanne Bier filme beaucoup caméra à l'épaule, passant littéralement au scalpel des performances d'acteurs viscérales. Ses cadrages sont virtuoses et nous transportent au coeur de l'émotion et de l'atmosphère des scènes. Mieux, elle sait capter mille détails qui mettent le récit en état d'apesanteur pour quelques secondes, comme sait si bien le faire l'immense Michael Mann. Ajoutons que le directeur de la photographie est Tom Stern, le chef op' des cinq derniers films de Clint Eastwood... et nous avons une réussite formelle déjà incontestable. Mais ce n'est pas tout.
Things We Lost In The Fire est stylistiquement un drame, par moment un mélodrame, mais jamais (à mon avis) sans franchir la ligne jaune, c'est-à-dire sans tomber du côté de la guimauve. Le scénario évite de surcroît les clichés qui s'offrent à lui, et le centre de gravité du film se déplace peu à peu au cours des deux heures. Les acteurs sont admirablement bien dirigés (même l'habituellement transparente Halle Berry est bouleversante). Benicio Del Toro a comme d'habitude étudié de très près son personnage, ici de junkie, en allant jusqu'à participer à des réunions des Narcotics Anonymous. Le résultat est intense, douloureux, pétrifiant, mais ni ennuyeux, ni boursouflé ; en un mot : digne. Néanmoins, inutile d'aller voir de tels films si vous n'avez pas le moral, on en ressort groggy.
Vivement le prochain film de Susanne Bier, et espérons qu'elle va finir par se faire un nom, en tout cas son passage de l'autre côté de l'Atlantique est un succès, ceci grâce au producteur Sam Mendes (réalisateur d'American Beauty, Jarhead...), qui l'a choisie spécifiquement pour ce projet et qui lui a laissé une liberté totale. Susanne Bier a d'autres projets de films aux USA ; si la qualité reste à ce niveau, nul doute que le grand public devrait enfin avoir une autre image du cinéma danois que celle de Lars Von Trier !
8/10
11:03 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Cinéma, Susanne Bier, Benicio Del Toro, Halle Berry, Alison Lohman
27 janvier 2008
No Country For Old Men
Chaque film d'Ethan et Joel Coen relance d'interminables discussions sur le thème de quel est leur "meilleur" film, la réponse différant pour tout le monde puisque leur univers très personnel et inimitable touche des cordes à la sensibilité variable suivant les préferences cinématographiques de chacun.
Peut-être vexés par l'accueil réservé à leur précédent film, Ladykillers (comédie, qui, il est vrai, faisait pâle figure face à O Brother, Where Art Thou? et Intolerable Cruelty, et qui reste à ce jour le film le plus mineur de leur carrière), les Coen sont revenus au genre d'histoire qui a fait leur réputation : le thriller-polar-comédie dramatique.
Néanmoins, pour la première fois de leur carrière, il ne s'agit pas d'un scénario original, mais d'une adaptation du roman éponyme de l'écrivain américain Cormac McCarthy. Ce n'est donc peut-être pas un hasard si No Country... ressemble avant tout à un très brillant exercice de style, où tous les éléments sont étudiés avec un soin maniaque : mise en scène, direction d'acteurs, montage (et pas musique - au sens score - puisque celle-ci est totalement absente, mais ceci est après tout aussi un exercice de style en soi !). Il manque du coup à mon avis une certaine âme au film, qui provient peut-être du fait qu'il est difficile de ressentir la moindre empathie pour les personnages. De cette maestria incontestable, l'émotion fait sans doute un peu défaut pour que No Country... soit un véritablement un des chefs-d'oeuvres absolus du duo.
No Country... comporte un double paradoxe : c'est à la fois le film le plus contemplatif des Coen (alors que le suspense est constant - ceci instaure un faux rythme peu usuel), et également le plus violent. Ce n'est néanmoins pas une violence réaliste, mais très "tarantinesque". Ce n'est d'ailleurs pas le seul élément emprunté à l'univers de Tarantino. Les discussions entre les deux rangers texans (à propos, c'est le nième rôle du genre pour Tommy Lee Jones, ça devient un peu sans surprise) font fortement écho à celles de Kill Bill (1 & 2).
Le film me marquera sans doute pour longtemps en ce qui concerne le personnage du tueur Anton Chigurh incarné par Javier Bardem (qui fait décidément une carrière sans aucune faute). Chacune de ses apparitions est terrifiante, non pas à cause de sa façon de tuer (qui est de surcroît horriblement comique), mais à cause de son absence totale d'humanité (désincarné, il est littéralement personne, ou plutôt le mal absolu), et son absence de tout sens moral qui le conduit à tuer de manière absconse.
Les frangins rassurent donc leur public, et survolent sans difficulté la grande majorité des sorties américaines, même indie ; ils restent des auteurs stars, garant d'un savoir-faire iconoclaste.
8/10
20:09 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Cinéma, Ethan Coen, Joel Coen, Javier Bardem, Tommy Lee Jones, Josh Brolin
03 janvier 2008
I Am Legend
Ce deuxième film de Francis Lawrence (je n'ai pas vu son premier, Constantine, sorti en 2005) est directement adapté du livre culte de l'écrivain américain Richard Matheson, le roman d'anticipation I Am Legend, paru en 1954. Oeuvre-phare de la littérature SF, cette histoire avait déjà été transposée sur grand écran à deux reprises : dans The Last Man on Earth porté par Vincent Price en 1964, puis dans Le Survivant de Boris Sagal en 1971, emmené par Charlton Heston.
L'histoire est simple : Robert Neville (Will Smith), militaire scientifique, n'a pu endiguer le terrible virus issu d'un traitement miraculeux du cancer. La race humaine a été dévastée, une minorité a survécu mais est retournée à l'état animal, avec les symptômes de la rage. Pour une raison inconnue, Neville est immunisé et reste le dernier être humain sain dans ce qui reste de New York et peut-être du monde. Depuis trois ans, il envoie des messages de détresse sur ondes courtes, espérant trouver d'autres humains non infectés. Traqué par les victimes de l'épidémie, il cherche un moyen d'inverser les effets du virus à l'aide de son propre sang.
Le roman se passait à L.A., mais c'est New York City qui a été choisie pour le film, ce qui renforce bien entendu dramatiquement l'impact des scènes de ville-fantôme, absolument saisissantes. Celles de Londres désert dans 28 Days Later de Danny Boyle (même thématique) étaient déjà fascinantes, mais dans I Am Legend, comme la ville est désertée depuis plusieurs années, la nature y a repris ses droits et apporte une dimension poétique aux canyons urbains dépeints à l'écran.
La qualité de ce blockbuster de fêtes de fin d'année est précisément de ne pas ressembler tant que ça à un blockbuster. La première heure rend compte de la solitude écrasante de Robert Neville et de ses efforts pour ne pas devenir fou, tel un Robinson urbain. Les scènes d'action, féroces et violentes, n'en trouvent que plus d'impact, même s'il est très regrettable que les humains infectés aient été intégralement réalisés en effets spéciaux. Ils sont laids, très laids, et peu crédibles en fin de compte, car nous ne sommes pas ici dans un film de zombies...
Heureusement, Will Smith, lui, est vraiment à la hauteur, dans un de ses rôles sérieux ; pas de frime ou d'humour forcé comme dans Bad Boys ou I, Robot. Convaincant dans ce rôle solitaire, taciturne et presque déprimant, l'acteur porte les films sur ses épaules, et pour cause, il est seul... sauf dans les scènes de flash-back, glaçantes, qui narrent l'infection et la mise en quarantaine de Manhattan.
La faiblesse du film tient à son manque de réelle surprise, à l'invraisemblance des infectés, et à son dénouement (qui apparemment s'éloigne de la richesse du roman dont il est issu). Mais c'est un blockbuster à l'identité surprenante, même si inaboutie.
7/10
21:30 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Cinéma, Francis Lawrence, Will Smith
12 décembre 2007
Un baiser s'il vous plaît
J'avais découvert l'auteur Emmanuel Mouret avec Changement d'adresse en 2006, et ce fut un vrai coup coup de coeur, une révélation. J'étais immédiatement allé voir son film précédent, Vénus et Fleur (je n'ai pas vu son premier, Laissons Lucie faire), et les germes de son talent étaient déjà là. Issu comme François Ozon de la Femis, Emmanuel Mouret devrait logiquement cette fois s'imposer comme un des meilleurs auteurs français.
Toutes les qualités de Changement d'adresse sont là (burlesque, poétique, décalé, tendre, drôle, mélancolique, absurde, délicat, léger...), mais Mouret a encore progressé. Son scénario est bien plus abouti, car il emmène cette fois le spectateur dans une aventure encore plus imprévisible. Plus mûr aussi, Mouret apporte une dimension dramatique qui manquait à ses précédents films. Et cerise sur le gâteau, il évite avec un brio absolu tous les clichés des comédies.
Sa direction d'actrices telles que Julie Gayet et Virginie Ledoyen apporte une richesse plus grande encore à sa mise en scène millimétrée, et Mouret en tire véritablement le meilleur, tout en convoquant une fois de plus l'incroyable Frédérique Bel, cette fois dans un rôle secondaire.
Mouret conserve ses scènes cocasses (on pense à Chaplin, Keaton, Allen), d'un humour d'une finesse inégalée ; il garde aussi le rôle masculin principal du jeune homme "à côté de la plaque", et adopte toujours un style théâtral assumé. Ce film est une réussite encore une fois stupéfiante, les mots ne peuvent pas rendre compte de l'univers très décalé et iconoclaste d'Emmanuel Mouret, et pourtant si émouvant.
On n'attend qu'une chose : la suite ! En espérant que s'il garde le rythme d'un film par an, il saura aussi en garder la qualité. En tout cas, il mérite vraiment la reconnaissance, et ce film clôt pour moi de manière inespérée la saison 2007.
9/10
ps : j'ai vu ce film en avant-première, avec la présence d'Emmanuel Mouret, Virginie Ledoyen, Julie Gayet et Frédérique Bel. Il est assez amusant de constater que chacun semble assez proche en vrai de son personnage dans le film !
09:26 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Cinéma, Emmanuel Mouret