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18 avril 2006

Dégustation du 11/04/06 - Aberfeldy, Caol Ila

La troisième dégustation de l'année était scindée en deux sessions, en raison du succès (mérité) du Club, ce qui rend impossible de faire tout le monde désormais dans le pub écossais The Auld Alliance où nous étions de retour (cf. dégustation de février).

Du coup, nous étions à peine une cinquantaine (les vacances de Pâques aidant), mais c'était plus intimiste et plus agréable : moins de brouhaha, moins de fumée (haaaa!). Par contre, pas de haggis en raison d'un "problème technique" (?), et pas de micro en raison d'un problème de sono. Pour compenser, nous eûmes le droit à la fin d'être resservi du whisky de notre choix... Classe !

Je salue le Club d'être autant à l'écoute de ses membres : cette fois, nous eûmes droit à des whiskies aux prix plus abordables (entre 40 et 70 euros), ce qui moins frustrant quand on craque pour l'un d'entre eux... et ce fut encore le cas !

Aberfeldy 1993, single cask, 46%




Single malt irlandais des Lowlands, non filtré à froid, vieilli en fût de sherry, mis en bouteille par Gordon & MacPhail.


  • Nez: très alcoolisé, quelques notes de fruits type abricot. Peu inspiré pour ma part.

  • Bouche: Très sèche, évoque la mirabelle, mais la pauvreté du nez est confirmée hélas en bouche à mon avis.

  • Finale: très courte, ne m'a rien évoqué en particulier.

Mes commentaires sont hélas réduits car je n'ai pas été vraiment conquis par ce single malt, qui n'a pas flatté mon imagination. A l'aveugle, j'avais supposé un Speyside, il s'agit donc en fait d'un Lowlands, mais la distillerie d'Aberfeldy n'est pas située très loin de la frontière du Speyside, donc on y retrouve tout de même sans surprise pas mal de caractéristiques. Cet Aberfeldy peut néanmoins plaire, en apéritif, à des gens qui n'aiment pas les whiskies "lourds", mais plutôt fins et aériens. Je regrette tout de même vraiment la prépondérance de l'alcool ; bien qu'il ne titre que 46%, les subtilités tendent à être écrasées.

Caol Ila 1996, single cask, 57%




Single malt irlandais, cask strength, vieilli en fût de bourbon, mis en bouteille par Berry Brothers.


  • Nez: épices, tourbe (en retrait), notes florales. Très joli équilibre.

  • Bouche: huileuse, puissante, fumée, cendre, végétale.

  • Finale: poivrée, puis sucrée.

J'avais pronostiqué avec raison un Caol Ila (wow!). Celui-ci est très agréable, un très bel exemple d'équilibre et d'évolution de finale. Un léger ajout d'eau a amplifié, à mon avis, sa palette gustative. Je ne vois aucun défaut particulier. A 52 euros, c'est un très beau rapport qualité prix.

Caol Ila 1994, small batch, 58,2%


Single malt irlandais, cask strength, vieilli en fût de bourbon, mis en bouteille par Gordon & MacPhail.


  • Nez: léger mais incroyablement fin et original, mélage de fruits frais, d'agrumes et de tourbe.

  • Bouche: finement épicée, magnifiquement riche et complexe. Notes herbacées, fruits mûrs...

  • Finale: équilibrée et fort longue, légèrement iodée, avec toujours une persistence des fruits mûrs.

Ma-gni-fi-que ! Un cran au-dessus du précédent, et plus original, si bien qu'il était délicat de se livrer à un pronostic. Beaucoup (et j'en fais partie) suspectaient un Japonais... mais non, c'était encore un Caol Ila, et voilà une très belle idée du Club que d'avoir enchaîné deux Caol Ila, de deux embouteilleurs différents, qui ont pourtant de nombreux points communs, et voir à quelles différences on peut aboutir. La meilleure surprise était pour la fin : son prix ! 72 euros, voilà un prix "tout doux" au vu de la qualité de ce whisky, qui peut concurrencer sans rougir des bouteilles flirtant souvent dans les 100 euros... Un achat quasiment indispensable pour tout amateur de Caol Ila ou de whisky tourbé mais pas trop !

Bilan : une soirée plus relaxante, avec des whiskies plus abordables, sans sacrifier la qualité... Que demander de plus ?

11:40 Publié dans Whisky | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Alcools!

13 avril 2006

French Connection - William Friedkin à la Cinémathèque



Cette note est une exception qui confirme la règle que j'avais choisi : écarter de ce blog tous les films que je vois en reprise pour me concentrer sur les nouveautés, principalement par manque de temps. Pourtant, l'offre de reprises à Paris est pléthorique et je me suis récemment régalé de cycles consacrés à des réalisateurs (comme Krzysztof Kieslowski, j'ai pu ainsi aller voir la trilogie Trois Couleurs: Bleu, Blanc, Rouge), ou thématiques comme les MK2 Quai de Seine et Quai de Loire en propose sans arrêt (avec une programmation d'une qualité extrême, les choix s'avèrent difficiles mais j'ai récemment craqué pour The Sweet Hereafter d'Atom Egoyan ou Dead Man de Jim Jarmush).

Mais le gros poids lourd est désormais la Cinémathèque, ré-ouverte en septembre 2005 dans ses nouveaux locaux de l'ex-American Center conçu par l'architecte Frank Gehry, à Bercy. Et depuis, la Cinémathèque n'a de cesse d'aligner des expositions (Renoir/Renoir, dorénavant Almodovar...), rétrospectives, cycles, cartes blanches, d'une variété et d'une qualité telles qu'il faudrait prendre un congé sabbatique pour pouvoir vraiment en profiter. Tant bien que mal j'ai réussi à voir environ la moitié des films de David Cronenberg lors de la rétrospective qui lui était consacrée en novembre 2005 ; j'ai réussi à aller voir Kiss Me Deadly (En Quatrième Vitesse) de Robert Aldrich après m'être heurté une première fois à une séance complète (en fait, toutes le furent, et ce n'est qu'en réservant mon billet plusieurs semaines à l'avance que je pus enfin aller voir ce chef d'oeuvre), etc.

On prend conscience à quel point Paris est la capitale mondiale du cinéma non seulement grâce à l'existence et à l'activité bouillonante de ce temple du cinéma, mais aussi à l'affluence stupéfiante à laquelle la Cinémathèque fait face depuis sa ré-ouverture (il est quasiment impossible d'avoir une place dès qu'un Billy Wilder ou un Hitchcock sont programmés).

La séance d'hier soir pour French Connection (1971) ne me fait pas mentir car la plus grande salle (415 places) de la Cinémathèque, baptisée Henri Langlois, était complète. C’est une des plus 3 plus belles salles de cinéma à Paris, très confortable, avec une pente étudiée pour qu'une personne un peu "trop" grande ne gâche pas la vue à son voisin de derrière. Equipée du 16 au 70 mm en passant par le nec plus ultra numérique, et bénéficiant des meilleurs systèmes de reproduction audiophile, les conditions de projection sont d'un niveau technique redoutable. Les sous-titres s'affichent sur un panneau électronique, en dessous de l'écran, préservant ainsi totalement la vision de l'image pour ceux qui sont bilingues, et la luminosité des lettres se détachant en rouge sur le panneau permettant à quiconque de lire parfaitement les sous-titres en toutes circonstances.

Révélé au grand public pour deux succès commerciaux couverts d’Oscars (pas moins de 5 pour French Connection et 2 pour L’Exorciste), William Friedkin occupe une place à part dans le renouveau d'Hollywood dans les années 1970, aux côtés de De Palma, Scorsese, Spielberg, Lucas... Friedkin est l’auteur d’un cinéma brutal, ambigu et complexe, riche en spectaculaires morceaux de bravoure.

French Connection (1971) est un polar très documenté, célèbre entre autres pour sa folle course-poursuite en plein New York entre une voiture et une rame de métro. Avec le temps, le film s’est révélé plus encore un renouvellement profond du genre et l’une des oeuvres majeures du cinéma américain des années 70. Voir ce film plus de 30 ans après sa sortie laisse pantois devant la virtuosité des prises de vue, et le rythme infernal du film. A ce sujet, Friedkin déclare:

"Je voulais que la caméra suive tous les déplacements des personnages. Je voulais qu’on puisse filmer dans l’axe où se trouve normalement l’équipe technique ou, comme au théâtre, le public. J’ai tenté cette expérience car je trouvais intéressant que le public soit placé dans une position inconfortable, qu’il ne soit pas rassuré en quelque sorte par un cadre bien déterminé. Tout cadre doit pouvoir être brisé à n’importe quel moment et emmener ainsi le spectateur n’importe où"

Il m'est impossible d'imaginer le choc qu'a dû produire un tel film à l'époque, car même encore en 2006, le style de French Connection paraît novateur. Pour les parties caméra à l'épaule (style documentaire), la violence, et le thème à l'époque nouveau de l'ambiguité totale des personnages principaux (des flics à la dualité certaine, en aucun cas des "héros"), on pense de nos jours à la série télévisée The Shield, par exemple.

Cerise sur le gâtreau, Friedkin s'est déplacé exprès de Los Angeles pour intervenir trois fois lors de la rétrospective qui lui est consacrée, et French Connection ouvrait le bal le 12 avril. En introduction, Friedkin a fait part de son émotion (visible) de faire l'objet d'un tel hommage à la Cinémathèque, dans ce qu'il appelle le "musée mondial du cinéma". Il est vrai que la Cinémathèque, forte de sa collection de 40 000 films, la plus importante du monde, jouit d'un prestige immense à l'étranger. Friedkin a également salué le cinéaste français Olivier Assayas, ravi de le rencontrer pour la première fois, qui a reçu à son tour de chaleureux applaudissements bien qu'il n'a pas voulu monter sur scène. Friedkin a insisté sur le fait que French Connection constituait pour lui une rupture car c'était la première fois qu'il avait pu calquer son expérience des documentaires (il en réalisait dans les années 60 pour la télévision) sur un sujet qu'il avait librement choisi, et non pas imposé par un studio.

Après la projection, Friedkin est revenu, accompagné de "cadres" de la Cinémathèque, pour un débat. Hélas, si un micro devait circuler après une première question par un des cadres (normal, pour "lancer" le débat), les cadres ont monopolisé la suite des questions pendant 45 minutes, après, je ne sais pas car j'ai dû partir. Néanmoins, Friedkin a été volubile, c'est un passionné soucieux de faire passer des conseils aux réalisateurs en herbe. Le bonhomme a son franc-parler et n'a pas tari d'anecdotes sur les acteurs et le tournage, ainsi que de piques en direction de Hollywood. Seul point négatif, bien que le réalisateur s'exprime de manière très compréhensible, il fallait hélas bien entendu un traducteur ce qui ralentissait énormément le débat.

Deux autres interventions de Freidkin sont programmées, dont une passionnante "leçon" de mise en scène, GRATUITE. Voici les détails :

Friedkin par Friedkin
Une leçon de mise en scène, avec projection d’extraits (choisis par le cinéaste).
Une rencontre avec Friedkin pour évoquer ses débuts et ses premiers succès (L’Exorciste, 1972), certaines de ses oeuvres les plus marquantes : Le Convoi de la peur (1975), Police fédérale Los Angeles (1985), Traqué (2001).

=> Samedi 15 avril, 14h, salle Henri Langlois

Dialogue avec William Friedkin  (projection + débat)
À la suite de la projection du film L’Exorciste

Après la réussite de French Connection, Friedkin dispose de moyens considérables pour tourner L’Exorciste, d’après un roman de William Peter Blatty. Film d’épouvante, date dans l’histoire de la représentation des interdits, là encore l’engouement s’avère phénoménal (troisième plus grand succès, l’année de sa sortie, de toute l’histoire du cinéma américain, 2 Oscars en 1973).

=> Samedi 15 avril, 19h, salle Henri Langlois

Plus de détails sur le site de la Cinémathèque

10:45 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Cinéma

12 avril 2006

Fiona Apple, Les Folies Bergère, 10/04/2006



Le premier et dernier concert de Fiona Apple en France remontait au 9 novembre 1996 (année de sortie de Tidal, son premier album, lorsqu'elle n'avait que 19 ans), à la Cigale, à Paris. Un concert au Bataclan, prévu en 1999, pour la tournée de When The Pawn..., fut annulé au dernier moment, au grand désespoir des fans.

10 ans plus tard, Fiona était donc véritablement de retour pour seulement deux dates seulement en Europe (Paris et Londres), et on peut donc dire que le concert du 10 avril était événementiel, vu la rareté de l'artiste sur scène (pas seulement en Europe ; elle tourne fort peu aux USA également). A apparition événementielle, salle exceptionnelle, avec les Folies Bergère, le plus vieux music-hall de France (ouvert en 1870 !), qui sert très rarement de salle de concert (à peine une fois par mois en moyenne). Pas surprenant donc que les 1700 places des Folies, toutes assises (mais prix unique raisonnable à 37 euros, ce qui est très rare aussi désormais dans la capitale), se soient envolées en clin d'oeil, et le marché noir allait bon train devant la salle...

Le placement libre n'a cependant pas occasionné de bousculade et c'est avec respect et calme que les deux files indiennes de spectateurs sont entrées dans le magnifique et mondialement célèbre cabaret. Arrivés assez tôt, nous avons pu avoir deux très bonnes places au premier étage, surplombant directement l'orchestre, à une distance idéale de la scène, permettant de bien voir tout en ayant assez de recul pour apprécier le mix façade et le lightshow (exactement comme les places situées dans la mezzanine de l'Olympia, les Folies y ressemblant assez dans leur configuration, avec une profondeur moindre mais une plus grande hauteur, les Folies comportant deux étages contre un seul à l'Olympia).

Le concert a débuté à 20h00 précises, sans première partie, et a duré 1h40, avec très peu de temps morts. Fiona était assise au départ derrière un piano à queue, disposé à gauche de la scène ; derrière elle, quatre musiciens, un bassiste (Mike Elizondo, également le co-producteur de Fiona) et un batteur (Charley Drayton - j'y reviens) au centre, et deux claviéristes de chaque côté, sur des estrades, bien en vue : David Palmer et Jebin Bruni, tous deux redoutables musiciens de session ayant travaillé aussi bien avec Alice Cooper que Tears For Fears ou encore Aimee Mann, et disposant sur scène de tout ce qui s'apparente à la famille des claviers : synthétiseurs derniers cris, antiquités analogiques, orgues Hammond, etc. La scène était assez dépouillée, sans fioritures si ce n'est des guirlandes électriques "habillant" un peu les estrades, et un grand backdrop recevait des projections vaguement animées, contribuant à installer des ambiances avec un jeu de lumières véritablement magnifique, très au-dessus de la moyenne. Le son dans la salle était d'un équilibre et d'une qualité très rares, l'absence de guitares n'étant sans doute pas non plus pour rien dans la clarté du mixage.



Si les musiciens qui accompagnent Fiona sont de très haut niveau (le batteur, Charley Drayton, un Black au toucher jazzy mais avec une puissance plus naturellement rock voire hard-rock, a soulevé l'enthousiasme du public ; c'est un MONSTRE de feeling et de technique, qui a joué pour Herbie Hancock, Marianna Faithful et Keith Richards, et a été bassiste pour les Stones, The Cult, Iggy Pop, etc. !), l'attraction reste bien sûr avant tout la New-Yorkaise, à tous les niveaux. Et pour la première fois en quelque 200 concerts, j'ai un peu de mal à décrire ce que j'ai vu.

Son jeu de piano percussif est très particulier, on le sait, mais c'est évidemment encore plus frappant en live (on entend bien là un jeu autodidacte, la Miss ayant appris le piano à partir de tablatures de guitare !). Quant à son chant, c'est une apothéose. Fiona sait faire passer une variété époustouflante de nuances ; son registre habituel est grave (ce qui la différencie des célèbres Tori Amos et Kate Bush, par exemple, dont elle diffère déjà à la base totalement par sa musique et ses textes), mais quand elle va chercher la voix de tête, c'est parfaitement exécuté. Fiona maîtrise également le vibrato dont elle n'abuse jamais, et sait faire passer souffles, râles, respirations avec un naturel qui la différencie grandement d'autres chanteuses peut-être plus techniques mais à l'interprétation moins "vivante". Le chant de Fiona n'est pas seulement divinement beau, il est très puissant et souvent violent. Il y a quelque chose d'indéniablement sauvage, voire masculin, en elle.

Pendant les quatre premiers titres où Fiona reste derrière le piano, on sent déjà une tension et une attention extrêmes dans la salle. Fiona est une artiste culte au sens propre du terme, et sa rareté scénique (il n'existe même pas d'albums live ou de DVD) engendre une curiosité décuplée. Fiona semble ressentir cette pression, c'est le premier concert de la tournée, et écrasée par les tonnerres d'applaudissements, on la sent un peu perdue, avec du mal à trouver ses mots : elle n'introduira qu'un seul titre, et répondra rarement aux nombreuses interjections fusant dans le silence succédant aux applaudissements. On peut vaguement discerner qu'elle semble se parler à elle-même entre les titres, poussant parfois des petits rires nerveux assez étranges, ou respirant si bruyemment qu'on l'entend dans le micro. Elle semble parfois vouloir nous dire quelque chose, ouvre la bouche, se ravise, pendant que ses musiciens l'observe et attendent son signal pour reprendre. On n'avait alors encore rien vu.

Quand Fiona quitte enfin son piano au bout de quatre titres pour venir chanter "I Know" debout derrière un pied de micro planté au milieu de la scène, on la découvre dans une longue robe bleutée, tout d'abord frêle et timide. Cependant, ceci ne dure pas. On assiste alors à la mise à nu (au sens figuré, allons messieurs !) d'une artiste troublée, au comportement aussi douloureux que ses paroles. Les paroles de Fiona, en effet souvent graves (à l'image de la musique, même lorsque le tempo est plus rapide) mais pas plaintives (à cet égard, le viol dont elle fut victime à 12 ans et qui fut déterminant pour sa carrière d'artiste n'est pas un leitmotiv dans ses textes), semblent habiter son auteur qui, à la stupéfaction quasi-générale, se met alors à se frapper (pas trop violemment tout de même), triturer sa robe, esquisser des pas de danse incohérents... comme prise de spasmes ! Mais le tout avec une certaine retenue. Le contraste entre sa féminité suggérée par son corps, ses longs cheveux, et sa robe est mis en opposition violente avec son attitude scénique à la limite de la transe et le résultat est assez fascinant, touchant, sinon embarrassant sans doute pour certains spectateurs.

Pourtant, nulle comédie perceptible là-dessous : on comprend que dès que Fiona est rentrée sur scène, elle était encore dans son monde, ce qui explique sans doute sa difficulté à communiquer, et la façon dont elle vit totalement sa musique sur scène est probablement un remède à sa timidité face à cette foule qui semble autant la combler émotionnellement que la mettre mal à l'aise (fleurs, collier - qu'elle mettra ! - petites boîtes et petits mots atterrissent de temps à autre sur la scène). Heureusement, elle alterne chansons interprétées derrière son piano et titres où elle ne fait que chanter, debout, ce qui lui permet aussi, je pense, de gérer son énergie et ses émotions.

Je ne trouve aucun point de comparaison avec la quantité de concerts que j'ai vu auparavant ; jamais je n'avais vu une telle symbiose entre une interprétation musicale de très haut niveau avec une attitude scénique d'un tel degré émotionnel, si sincère, si intense, et si bizarre (à part, peut-être les Américains de The Mars Volta, dans un registre très différent certes). Il paraît néanmoins que la chanteuse française Camille possède quelques points communs, sur scène, avec Fiona Apple...



Ce qui m'a fait plaisir, c'est de constater que Fiona Apple fait partie de ces rares artistes dont les concerts transcendent totalement leur musique sur disque. Ses albums arty (mélange inédit de rock et de jazz, graves, dynamiques, aux chansons avec structure à tiroir, recours aux mesures asymétriques...), qui mettent tous les chroniqueurs dans l'embarras tant Fiona ne semble avoir aucune influence clairement définie, sont déjà en eux-mêmes des bijoux d'inventivité et de production ; mais à ma surprise, ses compositions prennent encore une autre dimension jouées sur scène. Parce que Fiona prend le risque de tout donner sur scène, de s'exposer, et on devine qu'elle doit être littéralement vidée émotionnellement à la fin de ses concerts. D'ailleurs, comme pour s'en excuser, devant la terrible standing ovation finale, Fiona glissa au micro que de toute façon, elle ne pouvait rien jouer d'autre car tous les titres répétés avaient été joués...

Fiona Apple peut susciter l'admiration à tout point de vue : signée chez Sony à 16 ans, succès inattendu à 19 ans avec Tidal vendu à plus de 3 millions d'exemplaires rien qu'aux USA (étonnant pour une musique si peu "grand public"), auteur/compositeur/interprète ayant acquis une liberté artistique totale avec une major (son deuxième album, When The Pawn..., est encore plus recherché), liaison durable et fructueuse artistiquement avec l'estimé réalisateur Paul Thomas Anderson (Boogie Nights, Magnolia...), personnalité imprévisible (son discours scandale à MTV quand elle y reçut un Award en 1997, ou encore sa crise émotionnelle qui la fit abandonner en plein concert la scène du Roseland Ballroom à New-York en 2000), et talent hors pair sur scène...

Fiona Apple a déjà une carrière artistique de rêve, et elle n'a cette année que 29 ans, donc encore une longue carrière devant elle... Par contre, si elle peut nous éviter de mettre 6 ans à sortir son prochain album (Extraordinary Machine, sorti l'an dernier, devait sortir en 2003, fut en effet complètement ré-enregistré avec un autre produceur car Fiona n'était pas totalement satisfaite...), ou bien si elle peut aussi éviter de nous faire attendre 10 ans avant son prochain passage, on lui en sera très reconnaissant !

Setlist :

1) Get Him Back
2) Better Version Of Me
3) Shadowboxer
4) To Your Love
5) I Know
6) Sleep to Dream
7) Limp
8) Paper Bag
9) Tymps
10) Oh Well
11) On the Bound
12) Red, Red, Red
13) Not About Love
14) O'Sailor
15) Get Gone
16) Fast as You Can

Rappels:
17) Extraordinary Machine
18) Criminal
19) Parting Gift

A lire sur le web :

- une interview du batteur Charley Drayton en tournée avec Fiona Apple

- un éclairage différent sur le concert avec cet avis plus nuancé (et de très belles photos !), qui montre que l'attitude de Fiona sur scène peut déstabiliser certains spectateurs.

16:55 Publié dans Concerts | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : concerts

11 avril 2006

Ice Age: The Meltdown



Il était sans doute plus facile de vendre le film en l'appelant bêtement L'Age de Glace 2 que d'essayer de traduire la subtilité de meltdown du titre original. Donc, comme le titre français ne l'indique pas, cette suite reprend les aventures du trio formé par Sid le paresseux, Manny le mammouth et Diego le tigre, confrontés cette fois à la fonte du glacier où ils vivaient.

C'était une idée de suite plutôt riche pour développer un scénario plus étoffé que le premier volume, mais hélas toute vélléité d'essayer d'aller chercher Pixar sur le terrain d'un scénario costaud à plusieurs niveaux de lecture s'effondre rapidement dès que les animaux fuient le glacier pour trouver refuge sur une hypothétique "embarcation".

Côté animation, de gros progrès ont été faits, surtout en ce qui concerne les expressions des personnages, mais le studio Blue Sky est très loin de rivaliser avec la maîtrise de Pixar (encore), principalement en ce qui concerne l'élément de l'eau, réputé comme un des pires pièges en animation. Le résultat n'est pas laid mais fait un peu pâle figure de ce côté là.

Heureusement, ce nouveau volume d'Ice Age fait oublier ces points faibles grâce à deux qualités solides, qui sont le rythme et l'humour non-stop. Le point fort indéniable de cet opus réside dans ses dialogues, qui fusent en permanence et qui font mouche, pour tous les publics (les petits ne riront pas aux mêmes moments que les adultes et vice-versa). Les deux nouveaux personnages, Eddie et Crash, les opossums, n'y sont pas pour rien, tout comme l'arrivée d'un mammouth femelle, Ellie (doublée par Queen Latifah avec une surprenante réussite), qui forme ainsi un vrai couple avec Manny, propice à un grand nombre de situations comiques irrésistibles.

Les seuls moments de répit arrivent lors des intermèdes composant les péripéties de Scrat, dont les apparitions se sont multipliées par rapport au premier volume. On peut sans crainte dire que le petit écureuil à la recherche de son gland est vraiment désormais LA star de la franchise Ice Age. Scrat ne parlant pas, poussant au mieux des borborygmes, tout est axé sur un comique de situation très différent de l'humour employé dans le récit principal. Comme les péripéties sont quasiment totalement décorrélées de l'intrigue du film, les saynètes avec Scrat constituent pour ainsi dire un film dans le film. Les mésaventures de Scrat évoquent un humour anglais à mi-chemin entre les Monty Python et Mister Bean, avec des possibilités décuplées grâce à une expressivité du personnage poussée à son paroxysme (là encore, Blue Sky démontre que son point fort réside dans l'animation des expressions du visage et du corps).

Ne possédant pas les qualités techniques et narratives d'un Pïxar, L'Age de Glace 2 a su néanmoins se démarquer en proposant un type d'environnement différent du reste de la concurrence (et ce n'est pas rien vu les similitudes troublantes entre les oeuvres des différents studios), avec des idées originales et un humour décomplexé, souvent burlesque, plutôt rare dans le genre. Au final, l'objectif divertissement me semble plutôt réussi. Reste à voir si le studio saura faire autre chose que du Ice Age, leur autre long-métrage, Robots, ayant été destiné à un public plus ciblé, plus jeune.

8/10

16:00 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : Cinéma

10 avril 2006

Wassup Rockers



Larry Clark est réputé comme spécialiste de films sur des adolescents américains (souvent skaters !). C'est en tout cas son 4ème long-métrage sur ce thème sur les 5 que comporte sa filmographie. Vu la réussite de Wassup Rockers, je m'en veux profondément de ne pas encore avoir vu les autres de ce cinéaste majeur, à ne pas en douter.

Larry Clark a réuni une troupe d'acteurs (pour la plupart non professionnels), pour incarner à l'écran une bande de Latinos entre 14 et 16 ans (en gros), musiciens de punk rock, skaters passionnés, aux jeans moulants et étriqués. Ils habitent à South Central, Los Angeles, quartier pauvre où ne vivent que des Noirs et des Latinos. Chaque communauté se déteste cordialement, et les Noirs les interpellent par un méprisant "wassup rockers ?" (= what's up rockers ? = alors les rockers ?).

On croirait d'emblée avoir affaire à un film social apte à déclencher des flots de compassion chez les spectateurs, mais heureusement il n'en est rien. Tout d'abord cette bande de potes (dont trois frères, à l'écran comme dans la vie) a beau être issue d'un milieu très pauvre, ils ne fument pas, ne se droguent pas, et ne boivent pas. Ils renâclent certes pour aller à l'école en se levant le matin (comme tous les étudiants, non ?), mais ils y vont, et leur hobby est bien le skateboard (aucun d'entre eux n'est d'ailleurs un as, ce n'est pas un film sur le skateboard !). Bref, le film s'attache à une bande de jeunes sains, et ça, ça change des clichés.

Deuxièmement, on ne voit pas dans ce film d'histoires de gangs ou de criminalité de la banlieue pauvre. Cette bande de Latinos est à la recherche de bons spots pour faire du skateboard, si possible des beaux escaliers et des terrains bien lisses. Leur bonheur se trouve dans Beverly Hills, et ils vont y aller en transports en commun (belle critique voilée au passage de la gageure de se déplacer dans L.A. ainsi). Clark utilise alors le procédé bien connu de lâcher des quidams dans un environnement qui n'est pas le leur pour obtenir de riches situations dramatiques. Les rencontres et les mésaventures de la bande de pauvres Latinos dans le huppé et superficiel Beverly Hills sont certes un peu prévisibles, mais Clark ne cherche sans doute pas à faire passer des messages nouveaux. Ce qu'il cherche, c'est les faire passer à l'écran avec une émotion et une énergie maximum.

Et là, il faut avouer qu'il met en plein dans le mille, grâce à une construction en deux temps : une bonne moitié du film se contente de nous présenter les personnages, leur quotidien et leurs relations entre eux. On est proche du documentaire (cf. la longue scène en plan séquence où le personnage principal, Jonathan, se présente et parle de sa vie ainsi que de ses amis ; on dirait un essai de casting !), et on comprend totalement l'intérêt d'avoir eu recours à des acteurs non professionnels, qui semblent beaucoup improviser (en fait, être eux-mêmes ! Le nom de leurs personnages est leur propre prénom). On se prend à s'attacher à ces jeunes Latinos, qui vivent dans un enfer urbain et qui semblent pourtant miraculeusement encore innocents, voire naïfs. Clark les filme avec une affection, voire une tendresse qui peut déranger (les très gros plans sur les corps), mais toujours avec tact et respect ; on le sent fasciné par cet âge charnière du passage au monde adulte.

Cette longue introduction prend tout son sens lors de la deuxième partie, plus scénarisée, celle où nos Latinos se retrouvent à Beverly Hills, où ils sont soit victimes du racisme, soit victimes de l'appétit sexuel des WASP qui voient en eux des proies faciles et jetables (du moins, pour les deux plus mignons de la bande). Ces instants de cynisme et d'horreur suggérée font mouche principalement parce que Clark les met en scène sans aucune emphase, sans aucun pathos. Le moment clé du film est sans doute la discussion d'un des jeunes de la bande, Kiko, avec une jeune fille blanche qui l'a attiré dans sa chambre. Plutôt que passer à l'acte, ceux-ci vont converser plusieurs minutes. L'abîme qui sépare leurs mondes respectifs est mis en scène ici, en quelques lignes de dialogues à la simplicité désarmante, et avec une spontanéité époustouflante des deux acteurs. Grand moment de cinéma, comme il en est de plus en plus rare.

9/10

15:05 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Cinéma