12 avril 2006
Fiona Apple, Les Folies Bergère, 10/04/2006
Le premier et dernier concert de Fiona Apple en France remontait au 9 novembre 1996 (année de sortie de Tidal, son premier album, lorsqu'elle n'avait que 19 ans), à la Cigale, à Paris. Un concert au Bataclan, prévu en 1999, pour la tournée de When The Pawn..., fut annulé au dernier moment, au grand désespoir des fans.
10 ans plus tard, Fiona était donc véritablement de retour pour seulement deux dates seulement en Europe (Paris et Londres), et on peut donc dire que le concert du 10 avril était événementiel, vu la rareté de l'artiste sur scène (pas seulement en Europe ; elle tourne fort peu aux USA également). A apparition événementielle, salle exceptionnelle, avec les Folies Bergère, le plus vieux music-hall de France (ouvert en 1870 !), qui sert très rarement de salle de concert (à peine une fois par mois en moyenne). Pas surprenant donc que les 1700 places des Folies, toutes assises (mais prix unique raisonnable à 37 euros, ce qui est très rare aussi désormais dans la capitale), se soient envolées en clin d'oeil, et le marché noir allait bon train devant la salle...
Le placement libre n'a cependant pas occasionné de bousculade et c'est avec respect et calme que les deux files indiennes de spectateurs sont entrées dans le magnifique et mondialement célèbre cabaret. Arrivés assez tôt, nous avons pu avoir deux très bonnes places au premier étage, surplombant directement l'orchestre, à une distance idéale de la scène, permettant de bien voir tout en ayant assez de recul pour apprécier le mix façade et le lightshow (exactement comme les places situées dans la mezzanine de l'Olympia, les Folies y ressemblant assez dans leur configuration, avec une profondeur moindre mais une plus grande hauteur, les Folies comportant deux étages contre un seul à l'Olympia).
Le concert a débuté à 20h00 précises, sans première partie, et a duré 1h40, avec très peu de temps morts. Fiona était assise au départ derrière un piano à queue, disposé à gauche de la scène ; derrière elle, quatre musiciens, un bassiste (Mike Elizondo, également le co-producteur de Fiona) et un batteur (Charley Drayton - j'y reviens) au centre, et deux claviéristes de chaque côté, sur des estrades, bien en vue : David Palmer et Jebin Bruni, tous deux redoutables musiciens de session ayant travaillé aussi bien avec Alice Cooper que Tears For Fears ou encore Aimee Mann, et disposant sur scène de tout ce qui s'apparente à la famille des claviers : synthétiseurs derniers cris, antiquités analogiques, orgues Hammond, etc. La scène était assez dépouillée, sans fioritures si ce n'est des guirlandes électriques "habillant" un peu les estrades, et un grand backdrop recevait des projections vaguement animées, contribuant à installer des ambiances avec un jeu de lumières véritablement magnifique, très au-dessus de la moyenne. Le son dans la salle était d'un équilibre et d'une qualité très rares, l'absence de guitares n'étant sans doute pas non plus pour rien dans la clarté du mixage.
Si les musiciens qui accompagnent Fiona sont de très haut niveau (le batteur, Charley Drayton, un Black au toucher jazzy mais avec une puissance plus naturellement rock voire hard-rock, a soulevé l'enthousiasme du public ; c'est un MONSTRE de feeling et de technique, qui a joué pour Herbie Hancock, Marianna Faithful et Keith Richards, et a été bassiste pour les Stones, The Cult, Iggy Pop, etc. !), l'attraction reste bien sûr avant tout la New-Yorkaise, à tous les niveaux. Et pour la première fois en quelque 200 concerts, j'ai un peu de mal à décrire ce que j'ai vu.
Son jeu de piano percussif est très particulier, on le sait, mais c'est évidemment encore plus frappant en live (on entend bien là un jeu autodidacte, la Miss ayant appris le piano à partir de tablatures de guitare !). Quant à son chant, c'est une apothéose. Fiona sait faire passer une variété époustouflante de nuances ; son registre habituel est grave (ce qui la différencie des célèbres Tori Amos et Kate Bush, par exemple, dont elle diffère déjà à la base totalement par sa musique et ses textes), mais quand elle va chercher la voix de tête, c'est parfaitement exécuté. Fiona maîtrise également le vibrato dont elle n'abuse jamais, et sait faire passer souffles, râles, respirations avec un naturel qui la différencie grandement d'autres chanteuses peut-être plus techniques mais à l'interprétation moins "vivante". Le chant de Fiona n'est pas seulement divinement beau, il est très puissant et souvent violent. Il y a quelque chose d'indéniablement sauvage, voire masculin, en elle.
Pendant les quatre premiers titres où Fiona reste derrière le piano, on sent déjà une tension et une attention extrêmes dans la salle. Fiona est une artiste culte au sens propre du terme, et sa rareté scénique (il n'existe même pas d'albums live ou de DVD) engendre une curiosité décuplée. Fiona semble ressentir cette pression, c'est le premier concert de la tournée, et écrasée par les tonnerres d'applaudissements, on la sent un peu perdue, avec du mal à trouver ses mots : elle n'introduira qu'un seul titre, et répondra rarement aux nombreuses interjections fusant dans le silence succédant aux applaudissements. On peut vaguement discerner qu'elle semble se parler à elle-même entre les titres, poussant parfois des petits rires nerveux assez étranges, ou respirant si bruyemment qu'on l'entend dans le micro. Elle semble parfois vouloir nous dire quelque chose, ouvre la bouche, se ravise, pendant que ses musiciens l'observe et attendent son signal pour reprendre. On n'avait alors encore rien vu.
Quand Fiona quitte enfin son piano au bout de quatre titres pour venir chanter "I Know" debout derrière un pied de micro planté au milieu de la scène, on la découvre dans une longue robe bleutée, tout d'abord frêle et timide. Cependant, ceci ne dure pas. On assiste alors à la mise à nu (au sens figuré, allons messieurs !) d'une artiste troublée, au comportement aussi douloureux que ses paroles. Les paroles de Fiona, en effet souvent graves (à l'image de la musique, même lorsque le tempo est plus rapide) mais pas plaintives (à cet égard, le viol dont elle fut victime à 12 ans et qui fut déterminant pour sa carrière d'artiste n'est pas un leitmotiv dans ses textes), semblent habiter son auteur qui, à la stupéfaction quasi-générale, se met alors à se frapper (pas trop violemment tout de même), triturer sa robe, esquisser des pas de danse incohérents... comme prise de spasmes ! Mais le tout avec une certaine retenue. Le contraste entre sa féminité suggérée par son corps, ses longs cheveux, et sa robe est mis en opposition violente avec son attitude scénique à la limite de la transe et le résultat est assez fascinant, touchant, sinon embarrassant sans doute pour certains spectateurs.
Pourtant, nulle comédie perceptible là-dessous : on comprend que dès que Fiona est rentrée sur scène, elle était encore dans son monde, ce qui explique sans doute sa difficulté à communiquer, et la façon dont elle vit totalement sa musique sur scène est probablement un remède à sa timidité face à cette foule qui semble autant la combler émotionnellement que la mettre mal à l'aise (fleurs, collier - qu'elle mettra ! - petites boîtes et petits mots atterrissent de temps à autre sur la scène). Heureusement, elle alterne chansons interprétées derrière son piano et titres où elle ne fait que chanter, debout, ce qui lui permet aussi, je pense, de gérer son énergie et ses émotions.
Je ne trouve aucun point de comparaison avec la quantité de concerts que j'ai vu auparavant ; jamais je n'avais vu une telle symbiose entre une interprétation musicale de très haut niveau avec une attitude scénique d'un tel degré émotionnel, si sincère, si intense, et si bizarre (à part, peut-être les Américains de The Mars Volta, dans un registre très différent certes). Il paraît néanmoins que la chanteuse française Camille possède quelques points communs, sur scène, avec Fiona Apple...
Ce qui m'a fait plaisir, c'est de constater que Fiona Apple fait partie de ces rares artistes dont les concerts transcendent totalement leur musique sur disque. Ses albums arty (mélange inédit de rock et de jazz, graves, dynamiques, aux chansons avec structure à tiroir, recours aux mesures asymétriques...), qui mettent tous les chroniqueurs dans l'embarras tant Fiona ne semble avoir aucune influence clairement définie, sont déjà en eux-mêmes des bijoux d'inventivité et de production ; mais à ma surprise, ses compositions prennent encore une autre dimension jouées sur scène. Parce que Fiona prend le risque de tout donner sur scène, de s'exposer, et on devine qu'elle doit être littéralement vidée émotionnellement à la fin de ses concerts. D'ailleurs, comme pour s'en excuser, devant la terrible standing ovation finale, Fiona glissa au micro que de toute façon, elle ne pouvait rien jouer d'autre car tous les titres répétés avaient été joués...
Fiona Apple peut susciter l'admiration à tout point de vue : signée chez Sony à 16 ans, succès inattendu à 19 ans avec Tidal vendu à plus de 3 millions d'exemplaires rien qu'aux USA (étonnant pour une musique si peu "grand public"), auteur/compositeur/interprète ayant acquis une liberté artistique totale avec une major (son deuxième album, When The Pawn..., est encore plus recherché), liaison durable et fructueuse artistiquement avec l'estimé réalisateur Paul Thomas Anderson (Boogie Nights, Magnolia...), personnalité imprévisible (son discours scandale à MTV quand elle y reçut un Award en 1997, ou encore sa crise émotionnelle qui la fit abandonner en plein concert la scène du Roseland Ballroom à New-York en 2000), et talent hors pair sur scène...
Fiona Apple a déjà une carrière artistique de rêve, et elle n'a cette année que 29 ans, donc encore une longue carrière devant elle... Par contre, si elle peut nous éviter de mettre 6 ans à sortir son prochain album (Extraordinary Machine, sorti l'an dernier, devait sortir en 2003, fut en effet complètement ré-enregistré avec un autre produceur car Fiona n'était pas totalement satisfaite...), ou bien si elle peut aussi éviter de nous faire attendre 10 ans avant son prochain passage, on lui en sera très reconnaissant !
Setlist :
1) Get Him Back
2) Better Version Of Me
3) Shadowboxer
4) To Your Love
5) I Know
6) Sleep to Dream
7) Limp
8) Paper Bag
9) Tymps
10) Oh Well
11) On the Bound
12) Red, Red, Red
13) Not About Love
14) O'Sailor
15) Get Gone
16) Fast as You Can
Rappels:
17) Extraordinary Machine
18) Criminal
19) Parting Gift
A lire sur le web :
- une interview du batteur Charley Drayton en tournée avec Fiona Apple
- un éclairage différent sur le concert avec cet avis plus nuancé (et de très belles photos !), qui montre que l'attitude de Fiona sur scène peut déstabiliser certains spectateurs.
16:55 Publié dans Concerts | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : concerts
Commentaires
Bon "résumé" ! Je te fais toute confiance pour la setlist, mais j'étais persuadé qu'elle avait joué "Better Version Of Me" aussi ?... La fatigue sans doute ! ;n)
A ne pas rater quand elle repassera... dans 10 ans !
Écrit par : airway | 12 avril 2006
Cher Hervé,
Better Version Of Me a bien été jouée, en deuxième position, c'est bien écrit dans la setlist... ! :-)
Écrit par : Sébastien | 12 avril 2006
Au temps pour wam !
Faut que je me rachète un œil ou que je troque le restant contre des heures de sommeil ! ;n)
Écrit par : airway | 13 avril 2006
Bonjour,
Tu précises qu'il y a deux dates de concert de Fiona en France... La prochaine c''est quand????
merci!
Écrit par : Denis | 13 avril 2006
Réponse à Denis : bonjour, désolé mais je ne vois où j'ai écrit cela ? :-)
J'ai écrit : "Fiona est de retour pour deux dates seulement en Europe (Paris et Londres)"
Il n'y aura pas d'autres dates en France et la belle est repartie déjà aux USA pour sa tournée US qui reprend dans quelques jours...
Pour la voir, c'était lundi 10 avril à Paris ou mardi 11 à Londres, et j'espère bien sûr qu'elle repassera avant 10 ans !
Écrit par : Sébastien | 13 avril 2006
Milles excuses! Je suis un peu blasé quand même. Y a plus qu'à attendre ... Ou alors aller aux USA... Verra bien
Écrit par : Denis | 13 avril 2006
Salut!
Ouais un bon résumé bravo!
Moi aussi j'ai vraiment été soufflé par le batteur (oui c mo la voix qui a dit "good drummer !" entre deux chansons ;) Je te contacte dès que je trouve son nom. Moi qui suis plutot issu du collège (punk)rock, j'ai déjà vu de très bon batteurs, mais la technique de celui ci est vraiment exceptionnelle! C'est d'aileurs domage qu'il n'y ai pas de photos de lui sur ton blog.
Vivement le prochain concert !
onel, un fan de Lyon.
Écrit par : onel | 13 avril 2006
Ayé j'ai trouvé le batteur!!
Il s'agit de Charley Drayton.
Plus d'infos ici: http://www.moderndrummer.com/web_exclusive/900001167
a+ !
onel
Écrit par : onel | 13 avril 2006
Très bonne critique. Et excellent concert. J'ai aussi une requête... Tu aurais les photos en hi-res? (pour un usage personnel, bien sur)
Écrit par : Mat | 13 avril 2006
Onel, un TRES grand merci pour tes infos ! J'ai complété du coup l'article. Ce type est une bête, quand on voit son CV je commence à comprendre ;-)
Mat, ces photos ne sont hélas les miennes, mais je n'ai pas trouvé leurs auteurs, je n'ai pas pu les créditer :-(
La première photo est disponible est haute résolution (300dpi) ici (dépêche toi de la récupérer car j'ignore combien de temps elle y restera):
http://img139.imageshack.us/img139/9440/71367fionaconcert49dg.jpg
Quant aux autres, elles proviennent d'un thread du forum officiel de Fiona. Je ne parviens à poster le lien correctement à cause d'un problème d'interprétation des symboles @. Je poste donc l'url en trois lignes qu'il suffit de recoller dans son browser:
http://forums.epicrecords.com/webx?50
@561.F9ebaJqbbyZ.17
@.ee825f7/0
Elles n'y sont pas en aussi haute qualité mais c'est pas mal du tout !
Pour voir d'autres photos, je vous conseille de suivre le lien vers un autre blog que j'ai posté en bas de mon article après coup.
Écrit par : Sébastien | 14 avril 2006
Ah enfin je trouve des fans français ! ^^ C'étais frustrant de ne pas pouvoir comprendre ce que racontent les américains...
J'étais moi aussi au concert, et je trouve que ta descritption est superbe ! Elle décrit vraiment bien l'ambiance du concert. Bravo ! C'est très précis, on a même la liste des cadeaux qu'a reçu Fiona (comment tu sais qu'elle a reçu des petits mots?)
Je suis très contente de trouver des photos ! Peut-être que quelqu'un aura même enregistrer le concert...
Bon merci pour cet article et à bientôt (pêut-être au prochain concert!)
Écrit par : Athénaïs | 14 avril 2006
Bonjour Athénaïs,
merci pour ton commentaire chaleureux.
Pour les petits mots, j'ai vu des enveloppes arriver sur la scène, parmi diverses choses (le bouquet, le collier, tout le monde a vu, mais il y avait aussi une ou deux petites boîtes, une en forme de coeur à peu près). Ou ai-je mal vu ?
Pour l'enregistrement du concert, c'est en fait déjà disponible, mais je donnerai aucune aide technique sur la manière dont il faut s'y prendre. Je donne un lien et c'est tout, je ne tolèrerai aucun autre détail sur ce blog... merci de votre compréhension ;-)
http://www.dimeadozen.org/torrents-details.php?id=91112
Écrit par : Sébastien | 14 avril 2006
J'ai aussi vu le bouquet, le collier et une boîte (c'est moi qui lui ai donné) mais pas en forme de coeur, j'ai pas vu d'enveloppe. On devait mieux voir d'en haut !
:D Merci beaucoup pour le lien !! C'est vraiment génial.
Écrit par : Athénaïs | 14 avril 2006
Merci pour ce commentaire précieux, détaillé, précis, lucide et bien écrit !
Je me suis permis de déposer un lien vers ton billet dans ma propre vision (atrocement subjective) du concert, afin de compléter intelligemment mes propos...
Merci encore !
Écrit par : Stella K | 18 avril 2006
Whaou ! vraiment superbe la description ! Tout est là ! Merci pour ce bon résumé qui m'a permit de vivre le concert malgré le fait que je n'ait pa spu être là ! vivement le prochain !
Écrit par : Fiona | 09 mars 2007
Magnifique post pour un concert unique en son genre... Merci pour toutes ces infos qui appaisent la soif des quelques fans français. Vivement le prochain concert!
Écrit par : cessoo | 04 juin 2007
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