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25 juillet 2009

Public Enemies



Il aura donc fallu attendre près de trois ans après l'époustouflant Miami Vice pour pouvoir admirer le nouveau chef d'œuvre de Michael Mann. En effet, Public Enemies est à nouveau une œuvre artistique majeure, sans équivalent dans le paysage cinématographique mondial. A chaque fois, j'ai des craintes sur le résultat, à cause des paris osés du cinéaste. A chaque fois, je suis subjugué.

Sans présenter à nouveau ce qui fait la singularité de Michael Mann (relire la note sur Miami Vice), il convient de rappeler que l'Américain est à l'avant-garde de la technologie numérique dans l'histoire du cinéma : premiers plans tournés en numérique insérés dans un long-métrage (Ali, 2001), premier long-métrage tourné majoritairement en HD (Collateral, 2004), premier long-métrage intégralement tourné en HD (Miami Vice, 2006).

Paradoxalement, ses films les plus connus auprès du grand public sont ceux réalisés sur pellicule (Le Dernier des Mohicans, Heat). Ces énormes succès aux box-office (et par ailleurs de vraies perles du 7e art, le soin maniaque de Mann étant historique) ont contribué à donner à Mann une indépendance quasi-totale vis-vis des studios. C'est un des rarissimes auteurs-réalisateurs d'Hollywood à avoir le final cut et le siège de producteur. A ma connaissance, seuls Steven Spielberg et George Lucas ont réussi à avoir une telle indépendance, Lucas étant par ailleurs en dehors du système hollywoodien. Mais seul Mann a réussi à mettre cet avantage au service d'expérimentations formelles pour réinventer l'image telle que nous la connaissions sur grand écran.

Il est d'ailleurs instructif de lire les critiques négatives, de la part de spectateurs, sur les derniers films de Mann. Elles portent en général sur l'image. Le numérique, pour Mann, permet de s'affranchir d'éclairages artificiels de studio, et aussi de filmer de nuit ce que l'oeil ne voit pas habituellement. Le résultat, à l'écran, est ambivalent : la lumière, diffuse, rend compte d'un éclairage hyper-réaliste (tel que l'oeil voit en conditions normales d'éclairage), mais apporte aussi une dimension onirique, pour les scènes de nuit ou peu éclairées (l'oeil ne voyant pas, ou peu, en réalité). Cette ambivalence déconcerte les spectateurs, les studios ayant façonné depuis des décades la façon dont nous sommes habitués à voir des plans de cinéma éclairés artificiellement.

Michael Mann explore et repousse ainsi toujours plus loin, depuis Ali en 2001, les possibilités expressives du cinéma. Jean-Marc Lalanne, excellent protagoniste du Masque et la Plume sur France Inter, a d'ailleurs parfaitement exprimé cette singularité dans Les Inrockuptibles :

Dès les premiers plans, l’œil du spectateur subit une petite violence et doit accomplir un rapide ajustement de ses facultés. L’image de Public Enemies est d’une invraisemblable netteté. Pas une gouttelette de buée sur une vitre, pas un rayon réfléchi sur une surface miroitante au fin fond du cadre, pas une silhouette de figurant dans un plan de foule ne sont pourvus d’une définition moindre, d’un piqué inférieur, au sujet principal au centre de l’image. Avec Michael Mann, la HD (image vidéo de haute définition) a trouvé son artiste total, celui qui à chacun de ses films élargit le champ de ses possibilités techniques et surtout expressives. Collateral frappait par ses extraordinaires scènes finales dans l’obscurité complète d’un immeuble de bureaux la nuit – peut-être les plans les moins éclairés de l’histoire du cinéma, et où chaque plan émerveillait par la faculté de la caméra à voir plus que ce qu’un œil humain voit. Puis dans Miami Vice, la HD semblait rendre visible la moiteur tropicale, l’état semi-vaporeux de l’air, la lumière du soir comme un poudroiement subtil. A l’opposé de l’ambient lumineux, tamisé et doux des deux précédents films, Public Enemies impose une lumière rasante et dure. Une netteté de journal télévisé ou de vidéosurveillance high-tech, qui donne un effet de direct, un sentiment de présent (renforcé par l’utilisation de la caméra à l’épaule et des cadrages pseudo à la sauvette des scènes d’action), rarement atteint dans un film en costumes. Comme si de la superproduction rutilante et rétro attendue ne subsistaient que les images, métalliques et sèches, captées par l’équipe responsable du making of (doté, alors, d’un cadreur vraiment génial). En cela, Public Enemies est un vrai choc, un enchaînement de propositions plastiques stupéfiantes qui confirment la puissance visuelle unique de Michael Mann.

Ce qu'il ne dit pas, c'est à quel point ce choc visuel est amplifié par le fait que Public Enemies est un film en costumes, situé dans les années 30. C'est une première de filmer en HD un film d'époque, ce qui explique le fort rejet de certains spectateurs. Là encore, nos yeux sont imprégnés des clichés forgés par les studios. Les scènes d'intérieur, très peu éclairées (rappel : l'éclairage intérieur dans les années 30 n'était pas celui de notre époque), sont donc bruitées, brutes, et rappellent furieusement le look'n feel d'une autre œuvre radicale tournée en 2007 en numérique (mais en SD, pas en HD) : Inland Empire, de David Lynch. Sauf que Public Enemies est un film à 100 millions de dollars ! C'est - du moins pour moi - un véritable miracle qu'une expérimentation aussi extrême que Public Enemies puisse être financée par Universal.

En outre, s'il y a certes des séquences de gunfights d'une violence et d'un réalisme inédits dans un film d'époque, Public Enemies décevra sans doute ceux qui espérait un Heat en costumes. Public Enemies se place plutôt illico comme un des films les plus sombres et les plus tragiques de Michael Mann. Cinéaste de la solitude, c'est comme d'habitude ce thème récurrent dans son œuvre qui prédomine, mais de manière plus prégnante encore. Le duel entre John Dillinger et Melvin Purvis est ici secondaire. A l'opposé de Heat, où Neil McCauley et Vincent Hanna se défiaient en se respectant et en apprenant à se connaître, la traque de John Dillinger par les fédéraux est brutale, sans aucune moralité. Mann ne s'intéresse guère à la dimension politique et sociale suscitée par le contexte d'époque pourtant remarquablement actuel : des citoyens dépouillés par les banques et victimes de la crise de 1929. L'aspect "héros des classes populaires" du bandit, qui dépouille à son tour les banques, est lui aussi tout juste esquissé. Ce qui hante le film du début à la fin, c’est très nettement la fuite en avant de Dillinger, sa volonté d’aller jusqu’au bout de ses rêves, et d'avoir tout, tout de suite, quel qu'en soit le prix.

Cet instinct mortifère en rappelle un autre, celui de notre ennemi public national mythique, Mesrine. Difficile en effet de ne pas tracer un parallèle entre les deux brigands. Mais entre L'Instinct de mort / L'Ennemi public n°1 et Public Enemies, il y a comme un fossé béant. Comme l'écrit durement Chronicart : "Au moment (ou presque) où sort un Ennemi public en DVD (Richet), un autre débarque sur les écrans. Le moindre plan de Public Enemies vient alors nous rappeler combien le diptyque moustachu de Richet demeure un pois chiche à l'aune du chef-d'œuvre qui se déploie sous nos yeux". Personnellement, je trouve que la différence a le mérite de bien faire comprendre la différence entre un illustrateur de scénario comme Richet, et un auteur qui maîtrise totalement toutes les implications du cinéma, tout en continuant à en faire évoluer les figures esthétiques.

Michael Mann est d'ailleurs peut-être au firmament de son art. Quelle virtuosité possède son duel d'images entre Johnny Depp et Clark Gable, brillamment orchestré dans une salle de cinéma ! Johnny Depp (John Dillinger) contemple Clark Gable et semble voir en lui le reflet de sa dimension mythique. Michael Mann achève ainsi de déconstruire et de moderniser le cinéma hollywoodien classique, et montre que chez lui, la forme rejoint le fond.

10/10

20 juin 2009

Terminator Renaissance



Alors qu'il avait fallu attendre 12 ans entre T2 et T3, il n'aura fallu finalement "que" 6 ans pour voir enfin T4. Ce délai aurait dû être plus court, mais l'élection d'Arnold Schwarzenegger quelques mois après la sortie de T3, et sa réelection en 2006, ont contrarié pour de bon l'idée d'un quatrième film avec le dernier survivant de la franchise lancée par James Cameron. Ce n'est pas plus mal, puisque du coup les scénaristes ont dû s'employer à plus d'originalité que le précédent épisode, qui ressemblait étrangement - d'un point de vue du scénario seulement - à un mix des deux premiers. Car en dehors du scénario, T3 était relativement éloigné du style de Cameron, grâce au réalisateur Jonathan Mostow.

Avec T4, c'est un peu l'inverse : McG (le réalisateur des deux Charlie's Angels) s'approprie avec une aisance déconcertante tout le bric-à-brac (Jugement Dernier, voix-off et tutti quanti) des deux films de Cameron, alors que le scénario, pour la première fois, nous emmène dans le futur, quand John Connor est à la tête de la résistance face à la domination de Skynet. Dans les 3 films précédents, l'action était contemporaine, le principe étant qu'un robot envoyé du futur devait tenter d'éliminer John Connor soit avant qu'il naisse (en tuant sa mère, cf. T1), soit quand il était jeune (cf. T2 et T3). Ca devenait un peu usé...

L'action se passe cette fois en 2018, bien après le Jugement Dernier, et le film donne dans la démesure au niveau des robots fabriqués par Skynet pour contrôler la Terre et exterminer les poches de résistance. Il ne s'agit plus seulement d'humanoïdes indestructibles, mais aussi de motos-robots, de poissons-robots, et de trucs dignes des Transformers (l'influence semble assumée). Les scènes d'action sont légion, extrêmement impressionnantes (il y a de sacrés moments de grâce dans la réalisation de McG), voire flippantes car on ne voit pas bien à chaque fois ce qui peut permettre aux résistants d'échapper à de telles machines de guerre. C'est souvent jouissif, il faut l'avouer, mais, revers courant de la médaille, le film se retrouve à peu près dépossédé de toute émotion. Christian Bale ne parvient pas ici à imposer son charisme habituel. Le sujet central du film avait pourtant tout pour être le pendant émotionnel de la face divertissement (le fils John Connor cherchant à sauver son père Kyle Reese, plus jeune que lui dans le cours du film).

T4 restera donc un actioner, léché certes (la photographie tantôt sépia, tantôt camaïeu de bleu/gris est fantastique), avec les clins d'oeil idéaux (on ne révèle rien pour laisser la surprise), mais "seulement" un actioner, alors qu'il aurait pu devenir clairement un des sommets de la franchise.

7/10

14 octobre 2008

The Dark Knight



Après un Batman Begins assez ahurissant, dont on on pouvait penser que ce n'était "que" le début d'une montée en puissance encore plus spectaculaire, Christopher Nolan n'est pas parvenu avec ce deuxième volet à transformer tous les espoirs suscités. Et cela est d'autant plus décevant que Nolan en a écrit le scénario (avec son frère), et qu'en tant que co-producteur, il semble avoir eu les coudées franches pour aboutir à une vision assez personnelle du film.

Il en résulte, pour le bon côté des choses, une noirceur très surprenante pour un film hollywoodien de super-héros ; même si cette veine a déjà été exploitée avec succès (en particulier avec les Spider-Man de Sam Raimi), ici on dépasse tout ce qui a déjà été fait, avec une confrontation du Bien et du Mal qui débouche sur l'opposition du fascisme (le nettoyage obsessionnel de Gotham) comme réponse (inefficace) au nihilisme (la gratuité absolue des actes du Joker).

Cette noirceur est bâtie à partir du catalyseur qu'est ce méchant ultime, le Joker, porté au panthéon des vilains par la performance de Heath Ledger. Une telle réussite est à double tranchant : les scènes où il apparait sont portées par une énergie et une tension monstrueuses, mais il anéantit l'intérêt des scènes où il est absent. L'autre vilain, Double-Face, reste fade en comparaison, et la multiplicité des personnages secondaires, mal définis, accentue ce problème. Autre souci de taille : Batman, censé être le contrepoids du Joker, est le grand "absent" du film.

Si on peut relever plusieurs éléments néfastes à son charisme (le manque de toute expression derrière un masque qui ne laisse presque plus de peau découverte ; la voix de Christian Bale, inutilement trafiquée, qui supprime toute nuance), la relative économie de ses apparitions, censée sans doute renforcer leur impact, semble traduire un embarras de la part de Nolan. A force de mettre l'accent sur le "réalisme" (longues explications sur les armes de Batman, choix de tourner à Chicago pour figurer Gotham), Nolan parvient trop bien à convaincre que Batman n'est qu'un type ordinaire utilisant des armes sophistiquées pour lutter contre des vilains qui n'ont rien d'exceptionnel (hormis leur mental), dans une ville standard nord-américaine. Cette surexploitation du "réalisme" est dangereuse car elle vide Batman de toute sa dimension mythique ; l'apparition de clones de Batman en costumes approximatifs au sein même du film est d'ailleurs un terrible témoignage de cette banalisation d'un super-héros qui n'a plus grand-chose de super.

Il commence à être au final agaçant de voir les films de super-héros opérer de véritables "kidnappings" de réalisateurs brillants (ex. : Sam Raimi et Bryan Singer), qui passent du coup plusieurs années de leur carrière sur des projets dont l'ampleur finit tout de même par les desservir. The Dark Knight s'englue dans des longueurs et dans un scénario qui tente de caser beaucoup trop de personnages et de sous-intrigues à la fois. Le fabuleux style de Nolan se retrouve écrasé dans l'entreprise. Espérons qu'il saura revenir au plus vite vers des films éminemment plus personnels, son plus abouti restant toujours à ce jour Memento.

7/10

06 avril 2008

3:10 to Yuma



Hollywood, toujours plus prompt à prendre peu de risques, ne finance pour ainsi dire plus du tout de westerns. La dernière réussite créative dans le genre provenait (étonnament) de Kevin Costner et de son Open Range en 2004. Il est donc décevant qu'à la suite de son succès du biopic Walk The Line, James Mangold se soit contenté d'un remake d'un film réalisé en 1957 par Delmer Daves.

Je n'ai pas vu l'original de 3h10 pour Yuma, mais j'ai vu deux films de James Manglod (Copland, 1997 ; Identity, 2003), et je n'en attendais pas grand-chose, car Mangold reste, jusqu'à présent, un "faiseur" de film, c'est-à-dire bon technicien mais sans rien de bien intéressant pour le cinéphile. Le piège de ce film, c'est son casting, piège dans lequel je suis tombé. Habitué à un degré d'exigence plus élevé de la part de Christian Bale et de Russell Crowe, j'attendais de ces deux acteurs, réunis pour la première fois à l'écran, un grand spectacle. Hélas, si 3h10 pour Yuma est un bon divertissement, le film souffre de plusieurs écueils.

Le premier est incontestablement le scénario, qui souffre de beaucoup d'invraisemblances. Ensuite, on voit que le chef décorateur n'est pas de la trempe d'un Jack Fisk (The New World, There Will Be Blood...). Dans ce western, les décors font... décors. Il manque donc une bonne dose d'authenticité. Enfin, Russell Crowe joue un personnage sans grande épaisseur, avec un minimum de conviction, et Christian Bale s'en sort bien compte tenu de ce que le scénario lui donne pour définir son personnage. Nous sommes très loin de la rencontre au sommet qu'on aurait pu attendre. Au final, nous avons donc un remake dont on aurait fort bien pu se passer, et qui ne contribuera certainement pas à relancer le genre du western, du moins ceux de la grande tradition, où on pouvait y sentir la chaleur et la poussière du désert, ainsi que la lutte des hommes dans cette conquête du far west.

6/10