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22 octobre 2008

Appaloosa



Acteur exigeant, Ed Harris a su manœuvrer habilement entre films de "grands" (Cronenberg, Eastwood, Weir, Stone, Pollack, Cameron, Romero...) et quelques gros blockbusters "alimentaires" (Rock, Benjamin Gates). Souvent cantonné aux seconds rôles, l'acteur a surpris en passant derrière la caméra (exercice en général peu convaincant pour les acteurs) en s'attaquant à un biopic du peintre Jackson Pollock. Salué par la critique et bien reçu par le public, Ed Harris revient avec sa deuxième réalisation, avec un choix tout à fait étonnant de sa part : un western, ce bon vieux genre désuet dont on a vu quelques rares tentatives de retour ces dernières années (pour le meilleur : Open Range de Kevin Costner en 2004 ou encore The Assassination of Jesse James by the Coward Robert Ford en 2007 ; pour le moins bon, 3:10 to Yuma cette année).

Si Ed Harris a donc osé s'attaquer à ce genre battu et rebattu, c'est vraisemblablement qu'il avait quelque chose d'intéressant à dire... ou plutôt à montrer, car Ed Harris a compris que ce qui fait la force des grands westerns, ce sont les visages, les silences, pour peu qu'on sache les filmer. Or Ed Harris possède ce genre de regard inimitable, insondable et d'acier, qu'Eastwood porta si bien dans les westerns de Leone. On assiste au même régal ici, avec un Viggo Mortensen qui apporte lui aussi une puissance tranquille, crépusculaire. L'amitié virile qui transparait entre les deux personnages apporte une profondeur et une sincérité au film, qui se retrouve ainsi dans la digne lignée des grands westerns des 50's. Le regard, encore, est bien le nœud de toute la tension de ce film, avec également celui de Jeremy Irons (dans la peau du "méchant"), froid et cruel comme celui d'un loup.

Sur une histoire archi-simple, Ed Harris (co-auteur du scénario de surcroît) a su faire de ce western le récit d'un affrontement où les émotions, les non-dits, et les valeurs sont les sujets de la (brillante) mise en scène. Un véritable régal, du plaisir de cinéma à l'état pur. Chapeau bas, M. Harris.

8/10

18 octobre 2008

Blindness



Si le Mexique peut se targuer d'avoir Alejandro González Iñárritu, le Brésil possède lui aussi un réalisateur surdoué, à savoir Fernando Meirelles. Les deux cinéastes ont décuplé les espoirs placés en eux suite à leur premier film coup de poing, Amores Perros pour Iñárritu, et Cidade de Deus pour le second. Cidade de Deus figure d'ailleurs en 18e position du top 250 d'IMDb, ce qui est assez ahurissant pour un film tourné en portugais.

Dans les deux cas, Iñárritu et Meirelles n'écrivent pas leurs scénarios ; ce ne sont pas des auteurs. Et dans les deux cas, ils devraient peut-être attacher plus d'importance au scénario qu'ils mettent en scène, car aucun n'a réédité l'exploit de leurs premiers films respectifs, tournés dans leurs pays et dans leurs langues d'origine. Par la suite, c'est en anglais et avec le financement de majors qu'ils ont réalisé leurs longs-métrages, et la pente semble assez dangereuse pour Meirelles.

Après un deuxième long adapté du roman de Le Carré (The Constant Gardener), Meirelles s'est attaqué à une autre adaptation de roman : L'Aveuglement, de l'écrivain et journaliste portugais José de Sousa Saramago, qui devint en 1998 le premier écrivain portugais à être récompensé du Prix Nobel de littérature. A l'époque, Meirelles voulait faire de cette adaptation son premier long, mais Saramago avait refusé d'en vendre les droits. Dommage qu'il ait changé d'avis par la suite...

Le pitch, séduisant en diable, propose de s'attacher à ce que devient l'humanité, frappée soudainement de cécité contagieuse, pour une raison inconnue. Blindness, hélas, gâche ce beau potentiel en s'évertuant pendant deux heures à rabâcher avec force détails clichés (racket, viols, etc.) la maxime "l'homme est un loup pour l'homme". Le spectacle laisse d'autant plus indifférent que les personnages (même principaux) ne sont jamais vraiment définis ; le scénariste a voulu imiter le livre, où on ne sait rien de la psychologie des personnages. Ce qui fonctionne à l'écrit ne fonctionne pas dans le film.

L'autre écueil, de taille, et cette fois réellement imputable à Meirelles, était : comment rendre lisible, en images, la perte de vue ? Comment entrainer le public dans un monde où l'image n'existe plus alors que le cinéma n'est fait que de cela ? Il n'y avait peut-être pas de réponse satisfaisante ; encore une fois, ce qui fonctionne à l'écrit ne fonctionne pas dans le film. Meirelles dit avoir réfléchi sur la manière de déstructurer le plus possible l'image. Il l'a éclaircie au maximum, blanchie et rendue la plus brillante possible, tout en jouant sur les couleurs qui ont été dénaturées. Il a multiplié les angles de caméra et joué sur les surfaces réfléchissantes, dans le but que le spectateur perde progressivement confiance en ce qu'il voit. Le résultat ressemble presque à un nanar, du moins fortement à une série B, mais sans aucune envergure. Les brillants acteurs que sont Mark Ruffalo, Gael Garcia Bernal et Julianne Moore font ce qu'ils peuvent, mais l'ennui est profond et la déception très grande venant d'une réalisation de Fernando Meirelles. Ca sent le sapin pour le Portugais, mais espérons que son 4e film permettra d'oublier ce gros faux-pas.

5/10

14 octobre 2008

The Dark Knight



Après un Batman Begins assez ahurissant, dont on on pouvait penser que ce n'était "que" le début d'une montée en puissance encore plus spectaculaire, Christopher Nolan n'est pas parvenu avec ce deuxième volet à transformer tous les espoirs suscités. Et cela est d'autant plus décevant que Nolan en a écrit le scénario (avec son frère), et qu'en tant que co-producteur, il semble avoir eu les coudées franches pour aboutir à une vision assez personnelle du film.

Il en résulte, pour le bon côté des choses, une noirceur très surprenante pour un film hollywoodien de super-héros ; même si cette veine a déjà été exploitée avec succès (en particulier avec les Spider-Man de Sam Raimi), ici on dépasse tout ce qui a déjà été fait, avec une confrontation du Bien et du Mal qui débouche sur l'opposition du fascisme (le nettoyage obsessionnel de Gotham) comme réponse (inefficace) au nihilisme (la gratuité absolue des actes du Joker).

Cette noirceur est bâtie à partir du catalyseur qu'est ce méchant ultime, le Joker, porté au panthéon des vilains par la performance de Heath Ledger. Une telle réussite est à double tranchant : les scènes où il apparait sont portées par une énergie et une tension monstrueuses, mais il anéantit l'intérêt des scènes où il est absent. L'autre vilain, Double-Face, reste fade en comparaison, et la multiplicité des personnages secondaires, mal définis, accentue ce problème. Autre souci de taille : Batman, censé être le contrepoids du Joker, est le grand "absent" du film.

Si on peut relever plusieurs éléments néfastes à son charisme (le manque de toute expression derrière un masque qui ne laisse presque plus de peau découverte ; la voix de Christian Bale, inutilement trafiquée, qui supprime toute nuance), la relative économie de ses apparitions, censée sans doute renforcer leur impact, semble traduire un embarras de la part de Nolan. A force de mettre l'accent sur le "réalisme" (longues explications sur les armes de Batman, choix de tourner à Chicago pour figurer Gotham), Nolan parvient trop bien à convaincre que Batman n'est qu'un type ordinaire utilisant des armes sophistiquées pour lutter contre des vilains qui n'ont rien d'exceptionnel (hormis leur mental), dans une ville standard nord-américaine. Cette surexploitation du "réalisme" est dangereuse car elle vide Batman de toute sa dimension mythique ; l'apparition de clones de Batman en costumes approximatifs au sein même du film est d'ailleurs un terrible témoignage de cette banalisation d'un super-héros qui n'a plus grand-chose de super.

Il commence à être au final agaçant de voir les films de super-héros opérer de véritables "kidnappings" de réalisateurs brillants (ex. : Sam Raimi et Bryan Singer), qui passent du coup plusieurs années de leur carrière sur des projets dont l'ampleur finit tout de même par les desservir. The Dark Knight s'englue dans des longueurs et dans un scénario qui tente de caser beaucoup trop de personnages et de sous-intrigues à la fois. Le fabuleux style de Nolan se retrouve écrasé dans l'entreprise. Espérons qu'il saura revenir au plus vite vers des films éminemment plus personnels, son plus abouti restant toujours à ce jour Memento.

7/10

11 octobre 2008

Vicky Cristina Barcelona



Au rythme effrayant d'un film par an, on est souvent tenté de comparer le nouveau long-métrage de Woody Allen avec celui de l'année précédente, voire des années passées quand on s'en souvient encore. Or, quel est le dernier film de Woody Allen à avoir quelque peu marqué les esprits ? Match Point (2005), bien sûr. Et ce n'est pas cette nouvelle comédie douce-amère qui va bouleverser la donne.

Entre comédie de boulevard, marivaudage et roman-photo, le père Woody livre encore une variation de l'éternel triangle amoureux, inépuisable trame à laquelle il insuffle néanmoins toute sa verve et son dosage si particulier de comédie/tragédie. C'est qu'à 72 ans, le cinéaste possède une telle expérience de l'écriture et de la mise en scène qu'il peut se permettre d'aller à l'essentiel en ne faisant qu'esquisser ses personnages (totalement archétypaux), en exploitant sans vergogne tous les clichés touristiques attendus de Barcelone et de l'Espagne (le romantisme de carte postale), et en maniant l'épure dans le montage (remarquable sens du rythme). Tout ceci n'est qu'un véhicule pour le point fort du film, ses dialogues et leur pessimisme sous-jacent (l'amour est impossible).

Si le casting convoqué est des plus brillants, reste qu'aucune des stars n'offre de prestation particulièrement mémorable, devant faire avec les stéréotypes inhérents à leurs rôles. Seule Penelope Cruz apporte un peu de piment à l'affaire, Woody semblant la sortir de sa manche au bon moment, tel un joker. Dès lors, Rebecca Hall et Scarlett Johansson paraissent soudainement bien fades. A noter qu'avec ce film, Woody Allen clôt son cycle européen entamé avec Match Point, puisque son prochain film, Whatever Works, le voit revenir dans son Manhattan domestique.

7/10

05 octobre 2008

Entre les murs



Après Elephant, Fahrenheit 9/11, ou encore 4 mois, 3 semaines, 2 jours, voici encore une Palme d'or récompensant un film "choc", empruntant à la forme documentaire, et à la portée politique indéniable. Il devient donc agaçant que les jurés, année après année, semblent vouloir décerner la Palme dans le principal but (supposé) d'attirer l'attention des medias et du grand public sur un sujet - voire une cause - pas toujours des plus "divertissants". Heureusement, une Palme d'or ne sert pas qu'à récompenser les films esthétiquement et techniquement des plus parfaits, mais il semblerait que nous assistions désormais à l'excès inverse ; un film reposant sur sa seule faculté d'interpeller fermement nos consciences a dorénavant toutes les chances de décrocher la suprême récompense, en occultant tout ce qui fait d'un film une oeuvre d'art à part entière.

Alors, a-t-on de quoi être fier, en tant que Français, que Laurent Cantet ait enfin succédé à Maurice Pialat, Palme d'or de consensus en 1987 ? Le film vaut pour ce qu'il est : un constat très efficace, voire choquant, donc, sur l'exercice de l'enseignement public dans les collèges défavorisés. Entre les murs est à la hauteur de cette entreprise, en particulier grâce aux dialogues brillants et percutants. Cependant, si ce film est donc un constat, je suis tenté alors de rajouter : un de plus, et c'est tout. Même si Entre les murs a de quoi laisser profondément songeur après sa scène finale - édifiante et de loin le moment fort du film, ce n'est probablement pas un film de la trempe des grands classiques qui ont émaillé l'histoire des Palmes d'or. Cette distinction sera donc peut-être un peu lourde à porter par ce film, dont la forme de "huis clos" (le titre ne ment guère, globalement) et la sécheresse formelle (pour ne pas dire pauvreté de la mise en scène) laissent définitivement songeur quant au fait qu'il n'y avait rien de plus cinématographiquement remarquable dans le reste de la sélection cannoise de 2008... De ce point de vue, au moins Elephant et 4 mois, 3 semaines, 2 jours savaient se distinguer.

6/10