Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

26 avril 2008

Funny Games U.S.



L'Autrichien Michael Haneke est un des cinéastes les plus brillants du septième art. Aussi quand il entreprend un remake plan par plan de son film le plus controversé (Funny Games), il faut tâcher avant de comprendre pourquoi, même si de grands noms en ont fait autant avant lui (Hitchcock bien sûr, à qui on doit deux versions, l'une anglaise en 1934, l'autre américaine en 1956, de L'Homme qui en savait trop ; mais encore Frank Capra ou Howard Hawks). Pour ce faire, il est plus simple de citer Haneke lui-même :

"Je cherche à montrer la violence telle qu'elle est vraiment : une chose difficile à avaler. Je veux montrer la réalité de la violence, la douleur, les blessures infligées par un être humain à un autre. Sortant d'une récente projection de Funny Games U.S., un ami critique m'a dit : "Ce film a maintenant trouvé sa vraie place." Il a raison. Lorsque dans les années 1990, j'ai commencé à songer au premier Funny Games, je visais principalement le public américain. Et je réagissais à un certain cinéma américain, à sa violence, à sa naïveté, à la façon dont il joue avec les êtres humains. Dans beaucoup de films américains, la violence est devenue un produit de consommation. Cependant, parce que c'était un film en langue étrangère et que les acteurs étaient inconnus des Américains, le film original n'a pas atteint son public".

Véritable virtuose de la mise en scène glaciale, chirurgicale et irritante (très longs plans-séquences, absence de réponses aux questions), Haneke est connu pour son habileté à briser les attentes habituelles du spectateur, et le force à revoir sa manière de percevoir une œuvre cinématographique. Or, Funny Games U.S. n'a rien d'une œuvre aseptisée par le prisme hollywoodien. En ne retouchant rien (même pas la musique), en changeant uniquement la langue, les acteurs, et quelques décors, Haneke affirme en même temps que Funny Games étant en quelque sorte parfait à ses yeux. Il persiste et signe, donc, même dix ans plus tard, même si la violence s'est encore plus banalisée depuis. La réalité de la violence que Haneke entend décrire est-elle donc encore valide avec une représentation datant de dix ans ?

La réponse est oui grâce à la méthode de Haneke qui n'a pas pris une ride. Elle consiste à pervertir tous les codes auxquels le spectateur est habitué dans les films esthétisant la violence ou la justifiant moralement. En effaçant tout repère moral, et en jouant constamment avec la passivité/complicité du spectateur (grâce à des stratagèmes de mise en scène d'une intelligence vertigineuse, que je ne souhaite pas dévoiler ici), Haneke plonge son public dans un malaise bien plus nauséeux non seulement que toute production "horrifique" à but divertissant de l'industrie du cinéma ; mais malaise également encore plus dégoutant que les images "modernes" issues d'Internet, certes réelles et brutales, mais qui ne permettent pas de ressentir au final que la mort... n'est pas un jeu.

Il y aurait beaucoup à dire sur un film avec de telles implications artistiques et sociales. Le mieux est d'aller le voir, car Funny Games, original ou remake, reste une œuvre essentielle et cathartique, pour qui souhaite s'y risquer. Naomi Watts y signe sa deuxième très grande prestation de sa carrière, après Mulholland Drive de Lynch. Haneke avait posé pour seule condition sa présence dans le rôle principal. On comprend pourquoi et on admire aussi la direction d'acteurs. Chapeau bas, M. Haneke.

10/10

22 avril 2008

Taz Taylor with Graham Bonnet, Retro Music Hall, Prague, 18/04/2008



De passage à Prague, j'ai eu l'opportunité d'aller voir Graham Bonnet en concert, l'ex-chanteur de nombre de formations mythiques, comme Michael Schenker Group, Alcatrazz et Rainbow. Pour moi, Graham Bonnet brille à son sommet artistique sur le fantastique album Disturbing The Peace (1985) d'Alcatrazz, avec Steve Vai à la guitare. Néanmoins, les groupes figurant sur son CV, sans compter ses albums solo, sont tous dignes d'intérêt, et l'affiche mettant le paquet sur ses trois anciens groupes majeurs, j'étais plutôt partant pour aller voir un bon pot-pourri de hard rock typé 80's, avec un chanteur dont non seulement j'apprécie le timbre et le style particuliers, et dont j'ai de superbes souvenirs quant à sa présence scénique sur une vieille VHS d'Alcatrazz en concert au Japon.

Or, il s'agissait en fait de "Taz Taylor Band with Graham Bonnet". Le promoteur tchèque est un malin car après vérification, l'affiche marquait en gros Graham Bonnet avec les logos de ses ex-groupes, et en tout petit "with Taz Taylor band", soit l'inverse du nom de la tournée ! Musicien dont je n'avais pas entendu parler, Taz Taylor est un guitariste anglais qui joue d'ailleurs dans une veine très proche d'un Michael Schenker, et qui compose des titres mi-chantés, mi-instrumentaux, à la facture hard-rock mélodique assez classique mâtinée d'une touche de progressif. Le tout avait un goût assez prononcé de MSG justement, la présence de Graham Bonnet dans ce groupe n'est donc pas très étonnante.

Bonnet est vraiment impressionnant pour son âge (il aura 61 ans cette année et nous a annoncé qu'il venait d'être grand-père dans la semaine !). Sa voix puissante, rocailleuse et mélodieuse est chouette à entendre et encore plus à voir, même s'il m'a un peu crispé avec ses veines qui gonflaient dans son coup et ses tempes ! Bonnet n'arrête pas de bouger sur scène, et harangue tout le monde comme s'il avait encore tout à prouver, mais sans jamais en faire trop et tomber dans la pose ridicule. Emminemment sympathique, il se dégage de lui une simple envie de faire plaisir au public, et de profiter de la vie (alcoolique notoire, il est sobre depuis deux ans).

Même s'il y avait donc un peu arnaque sur la nature du concert, le show fut bien agréable tout de même, malgré des musiciens (outre Bonnet et Taylor) pas des plus inoubliables. Quant au public de métalleux tchèques, il faut mentionner qu'ils sont parfaitement éduqués ; pas de types bourrés (malgré un bar au choix dantesque et aux prix très bas - vive l'absinthe, bien agréable à siroter depuis le bar sur une chaise haute tout en matant le concert), de la bonne humeur et une sacrée participation pendant le concert (les mecs chantaient les paroles des refrains !), et enfin pas mal de tshirts Rush... voilà des citoyens qui ont bon goût !

14 avril 2008

AaRON, Folies Bergères, 11/04/2008



AaRON connaît un succès sans cesse croissant en France, depuis la sortie en septembre 2006 du film Je vais bien, ne t'en fais pas, dans lequel leur chanson U-Turn (Lili) sert de thème principal de la bande-originale. L'album entier, Artificial Animals Riding On Neverland, est en fait globalement dans la même veine : chansons mélancoliques, voire dépressives, avec accompagnement minimaliste dont la mélodie principale est supportée par un motif au piano sur quelques notes ou accords.

Poutant, on sent que ce duo français (composé de de Simon Buret, 26 ans, comédien, et d'Olivier Coursier, 32 ans, ex-guitariste de Mass Hysteria) a des ressources encore pas vraiment exploitées, comme le montrent les titres les plus originaux de l'album (cf. Endless Song), qui apportent des éléments électroniques et une énergie qui ne sont pas sans rappeler une certaine Björk. Comment tout ceci se transpose-t-il en concert ?

Fort heureusement, AaRON est vraiment convaincant sur scène, et transcende sa musique studio. L'originalité tient d'abord à la formation : un batteur, une violoncelliste, Simon Buret au chant et Olivier Coursier au piano à queue, qu'il délaisse parfois pour la guitare sèche ou électrique. Deuxième atout, Simon Buret est un frontman très efficace, qui instaure une relation véritablement chaleureuse avec son public. On sent bien que cet acteur de formation, qui communique et harangue le public entre chaque titre, a hâte d'aller plus loin, plus fort que ce premier album, dont le succès surprend le duo lui-même. Troisième atout, les jeux de lumière sont en symbiose totale avec la musique et confèrent une aura un peu magique (ou naïve diront les plus blasés) aux interprétations nettement plus intenses et musclées que sur l'album. La photo ci-dessus illustre un peu le bon goût et la sobriété plutôt classe de la mise en scène.

Le duo sait rendre hommage à ses influences, puisqu'il a inclus deux reprises dans sa setlist : le chef d'oeuvre Bachelorette de Björk, et Famous Blue Raincoat de Leonard Cohen en ultime rappel.

Il ne fait nul doute que si AaRON confirme et étend son talent en sachant proposer un deuxième album moins "mono ambiance" (et donc s'il sait faire oublier U-Turn (Lili) qui leur colle une image hélas réductrice), le groupe va continuer son irrésistible ascension. En tout cas, Olivier Coursier ne doit pas regretter d'avoir quitté Mass Hysteria...

13 avril 2008

Soirée Twin Peaks - Hommage à Angelo Badalamenti, Divan du Monde, 09/04/2008

Exaltant ! Le genre d'événement qu'on ne peut trouver typiquement qu'à Paris, capitale cinéphile : le BéO festival, festival de musiques de films, avec concerts inédits, projections, soirées cultes et fêtes insolites. Pour sa 2e édition (j'ignorais son existence l'an dernier), on peut dire que le BéO a fait très fort, en attaquant par deux soirées dédiées à Twin Peaks, nous invitant ainsi à plonger dans l’univers double, rouge, jazzy, décalé et étrange de David Lynch.

Loin d'être une sorte de convention de fans déguisée, cet évènement était avant tout d'ordre mélomane, puisqu'il s'agissait de recréer sur scène la très élaborée musique d'Angelo Badalamenti (compositeur attitré de David Lynch de Blue Velvet en 1986 à Mulholland Drive en 2002), et en particulier celle de Twin Peaks, qui est probablement la plus connue ; qui n'a jamais entendu le Twin Peaks Theme ?

Avec la complicité d’Angelo Badalamenti, Valérie Lindon (sa collaboratrice sur la bande-originale de deux films français composés par Badalamenti, L’Adversaire et Cet Amour-là) a supervisé la création de ces deux concerts uniques dont le chef d’orchestre était Jean-Philippe Audin. Responsable de tous les arrangements (il n'existait aucune partition des musiques de Badalamenti), Jean-Philippe Audin est un violoncelliste de formation classique très demandé dans le monde du spectacle grand public (Michel Jonasz, Johnny Hallyday, Starmania...), ou dans la scène jazz (Ray Charles, Harry Connick Jr.,...) mais est aussi bien connu dans le monde de la musique classique pour s'être attaqué aux intégrales de Suites pour violoncelle seul de Bach (cf. ces coupures du Monde).

Audin a pu réunir autour de lui 7 fines lames de la scène jazz française : Bernard Arcadio (piano), Philippe Javele (synthés), Philippe Hervouet (guitare), Philippe Chaieb (contrebasse), et Thierry Chauvet (batterie).

Que dire sinon que le résultat a très largement dépassé mes attentes ? Cet ensemble entre jazz et classique a délivré une performance époustouflante, avec un respect impressionnant des compositions de Badalamenti et Lynch, une dose minimale mais jouissive d'improvisations, et une intensité qui nous transportait directement dans le monde fascinant de Lynch, voire dans la Black Lodge... J'ai particulièrement été impressionné par la complémentarité du violoncelle électrique et de la contrebasse. L'expressivité et la profondeur de ces instruments sur les partitions de Badalamenti m'ont donné des frissons...

La scène était décorée de lourds rideaux rouges (évidemment !), avec des écrans géants de chaque côté, qui permettaient de diffuser soit des extraits du film Twin Peaks Fire Walk With Me pendant que le groupe jouait, soit des plans rapprochés des musiciens, qui étaient scrutés par trois caméras numériques. Ajoutons comme gimmick amusant un faux cadavre de Laura Palmer (emballée dans du plastique comme dans l'épisode pilote), positionné au bord de la scène... L'immersion dans l'univers de Twin Peaks était donc totale.

Laura Palmer's Theme, Twin Peaks Theme, Into The Night, Audrey's Dance, Moving Through Time, The Voice Of Love... autant de choix parfaitement judicieux et équilibrés provenant des bandes originales du feuilleton et du film. Le paroxysme de l'émotion a pour moi été atteint lors d'une version hallucinée de The Pink Room, seul titre de la bande originale du film composé par Lynch et pas par Badalamenti.

Je conseille vivement de regarder ce reportage où Jean-Philippe Audin explique les enjeux et difficultés de ces deux représentations (les curieux pourront apercevoir le faux cadavre sur le rebord de la scène !) ; on peut y entendre aussi des extraits du concert de la première soirée du 8 avril, sur le titre The Pine Float de la bande-originale de Twin Peaks Fire Walk With Me.



Un seul regret : le concert a duré 1h30 et c'est passé trop vite ! Après une standing ovation, les organisateurs ont immédiatement lancé la projection du film Twin Peaks Fire Walk With Me, ce qui permettait de ne pas quitter trop vite l'effet magique laissé par le concert. Je plains vraiment les amateurs de la musique de Badalamenti de ne pas avoir pu voir un de ces deux concerts. La somme de travail investie dans ce répertoire a dû être monstrueuse et tout ce que j'espère, c'est que les caméras numériques qui retransmettaient sur les écrans annexes ont enregistré le concert.

Pour information, David Lynch sera présent au Divan du Monde le 5 mai, pour une soirée privée à l'occasion de la sortie en langue française de son livre "Catching the Big Fish" (dont le titre français est le trompeur "Mon histoire vraie", car le livre écrit par Lynch ne porte pas vraiment sur l'histoire de sa vie).

06 avril 2008

3:10 to Yuma



Hollywood, toujours plus prompt à prendre peu de risques, ne finance pour ainsi dire plus du tout de westerns. La dernière réussite créative dans le genre provenait (étonnament) de Kevin Costner et de son Open Range en 2004. Il est donc décevant qu'à la suite de son succès du biopic Walk The Line, James Mangold se soit contenté d'un remake d'un film réalisé en 1957 par Delmer Daves.

Je n'ai pas vu l'original de 3h10 pour Yuma, mais j'ai vu deux films de James Manglod (Copland, 1997 ; Identity, 2003), et je n'en attendais pas grand-chose, car Mangold reste, jusqu'à présent, un "faiseur" de film, c'est-à-dire bon technicien mais sans rien de bien intéressant pour le cinéphile. Le piège de ce film, c'est son casting, piège dans lequel je suis tombé. Habitué à un degré d'exigence plus élevé de la part de Christian Bale et de Russell Crowe, j'attendais de ces deux acteurs, réunis pour la première fois à l'écran, un grand spectacle. Hélas, si 3h10 pour Yuma est un bon divertissement, le film souffre de plusieurs écueils.

Le premier est incontestablement le scénario, qui souffre de beaucoup d'invraisemblances. Ensuite, on voit que le chef décorateur n'est pas de la trempe d'un Jack Fisk (The New World, There Will Be Blood...). Dans ce western, les décors font... décors. Il manque donc une bonne dose d'authenticité. Enfin, Russell Crowe joue un personnage sans grande épaisseur, avec un minimum de conviction, et Christian Bale s'en sort bien compte tenu de ce que le scénario lui donne pour définir son personnage. Nous sommes très loin de la rencontre au sommet qu'on aurait pu attendre. Au final, nous avons donc un remake dont on aurait fort bien pu se passer, et qui ne contribuera certainement pas à relancer le genre du western, du moins ceux de la grande tradition, où on pouvait y sentir la chaleur et la poussière du désert, ainsi que la lutte des hommes dans cette conquête du far west.

6/10