28 février 2009
Chris Cornell, La Cigale, 24/02/2009
(c) Photo : Rod @ Le Hiboo
Le public de la Cigale semble s'être divisé en deux catégories franches ce soir-là : ceux qui n'ont pas du tout apprécié, et ceux qui ont été ravis. Y a-t-il eu un juste milieu ? Apparemment non, ce qui explique qu'on puisse lire un peu tout et son contraire sur la blogosphère et les forums.
Chris Cornell suscite toujours une attente considérable : ce chanteur/compositeur - qu'à peu près n'importe quel groupe aimerait avoir (sa voix et son charisme ont peu d'égal) - a eu une carrière exceptionnelle au sein de Soundgarden, Temple Of The Dog, puis Audioslave. Ses albums solos ont toujours été bien reçus par la critique, et Cornell a même connu son plus grand succès en 2006 avec sa chanson You Know My Name, devenu un des trois thèmes les plus populaires de la saga James Bond. Son nouvel album solo n'est encore pas sorti à l'heure de la publication de cette note (sortie officielle le 10 mars), et ce concert de la Cigale, initialement prévu en juin 2008, avait été annulé suite à la volonté de Cornell de peaufiner son album.
Autant dire que le public était hyper à cran, et passablement agacé par une longue heure d'attente entre la première partie et le début effectif du concert vers 21h15. Alors ceux qui n'avaient pas encore jeté deux oreilles attentives à Scream, le nouvel album pas encore sorti donc (mais évidemment disponible officieusement sur Internet) n'étaient sans doute pas dans les conditions idéales pour découvrir l'intégralité de l'album joué live, d'une traite, pendant une heure. En effet, Scream propose une prise de risque des plus audacieuses : produit et co-écrit par Timbaland, Cornell a innové en proposant ses mélodies vocales inimitables sur une musique nettement plus R&B, avec boites à rythmes, loops, samples, etc. Il m'avait fallu personnellement minimum trois écoutes avant de commencer à bien appréhender l'album (qui est en fin de compte une franche réussite, à la hauteur du pari). Carnage, donc, pour ceux qui ont pris ça en pleine poire en live, qui ne s'y attendaient pas, et qui n'ont pas forcément l'esprit très ouvert !
L'attitude très nonchalante, presque stone de Cornell, a également attisé le mécontentement. Pourtant, je ne l'avais jamais entendu si bien chanter. La classe intégrale, sans avoir l'air de jamais forcer. Ajoutons que cette première heure était complexe techniquement, puisqu'il fallait une mise en place irréprochable afin de bien caler les loops avec les instruments live. Mention spéciale à la recréation sur scène de l'enchaînement des 13 titres (c'est une des caractéristiques de Scream : les titres n'ont aucune pause entre eux, et forment un tout cohérent).
La deuxième partie du concert fut consacrée à une prestation... juke-box ! Comme en atteste la setlist, rien n'était prévu, et l'ami Chris a tout simplement annoncé au public qu'il suffisait de lui crier ce qu'on voulait qu'il joue. Inévitable, c'est le grand succès You Know My Name qui commence, sur lequel il me semble que pas grand-monde n'a fait la fine bouche. On passe ensuite à une exclusivité avec Wide Awake, de l'ultime album Revelations d'Audioslave, qui a été joué pour la toute première fois en France, Cornell s'excusant par avance s'il allait commettre des erreurs ou oublier les paroles... ce qu'on aurait volontiers compris, mais rien à signaler, c'était tout simplement irréprochable. Soundgarden n'a pas été oublié, avec un Rusty Cage que je m'époumonais à réclamer, et miracle... c'est parti ! On a continué avec un superbe classique, le "tube" Hunger Strike (4e aux charts US en 1991) de Temple Of The Dog, repris en chœur par un public majoritairement trentenaire, qui a été bercé au collège et au lycée par Soundgarden, Pearl Jam et ce groupe éphémère constitué de membres des deux groupes. Le concert a hélas pris fin un peu trop tôt avec un dernier titre de Soundgarden, un autre classique issu du mythique Badmotorfinger : Outshined.
Le public aura beau eu réclamer un rappel, rien... ce qui a en effet laissé un goût d'inachevé. Du coup, la version big band du méga-tube Black Hole Sun de Soundgarden, diffusée dans la salle pour accompagner la sortie, a été copieusement sifflée par certains.
Si on tente de faire la part des choses, on peut retenir que le concert a proposé du bien bel ouvrage, avec une musicalité totalement au rendez-vous ; il a juste été un peu court, et programmé à un moment peu opportun, avant la sortie d'un album audacieux qu'il faut avoir découvert avant le concert.
Setlist :
Part of Me
Time
Sweet Revenge
Get Up
Ground Zero
Never Far Away
Take Me Alive
Long Gone
Scream
Enemy
Other Side of Town
Climbing Up the Walls
Watch Out
You Know My Name
Wide Awake
Rusty Cage
Hunger Strike
Outshined
10:51 Publié dans Concerts | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : concert, chris cornell, cigale
23 février 2009
The Wrestler
Après la catastrophe The Fountain, inévitablement le quatrième long-métrage de Darren Aronofsky s'annonçait comme un couperet : soit on remisait pour de bons les espoirs placés en lui comme un des plus grands cinéastes américains de sa génération, soit Aronofsky allait clouer le bec à tout le monde. Le Lion d'Or remporté à Venise semblait donner un sérieux indice sur l'option à retenir.
Si tout le monde s'empresse de saluer - avec raison - la résurrection offerte à Mickey Rourke (le rôle de sa vie, le Golden Globe, l'Oscar... ha non finalement !), The Wrestler est bel et bien une résurrection aussi pour Aronofsky, qui réinvente totalement sa manière de filmer. Pour la première fois de sa carrière, il n'a pas participé à l'écriture du scénario, ce qui lui a sans doute permis d'une part de diminuer les risques en s'appropriant un scénario solide, et d'autre part de se consacrer à la mise en scène et à la direction d'acteurs.
A mille lieues du style de ses films précédents, Aronofsky a choisi le style documentaire et la caméra à l'épaule, avec une photographie blafarde. Il a privilégié le réalisme, en ne faisant appel par exemple qu'à de véritables catcheurs, et aucun cascadeur. Il nous emmène ainsi dans un monde inconnu, celui du catch ; si le cinéma américain a produit quantités de films ayant pour thème la boxe ou le football américain, cet autre sport violent qu'est le catch, véritable phénomène de société aux Etats-Unis, était jusqu'à présent curieusement toujours resté dans l'ombre.
Néanmoins, non seulement ce n'est pas un faux documentaire sur le catch (sans quoi cela m'aurait probablement barbé), mais en plus Aronofsky n'a pas choisi la face fun de ce sport ; plutôt la déchéance physique - et la mort prématurée - qui guette les catcheurs dont l'heure de gloire est passée, et qui se retrouvent obligés de se vendre pour des cachets minables dans des réseaux peu glorieux, fréquentés par les péquenots et autres beaufs. A moins d'avoir opéré à temps une reconversion, ils n'ont guère le choix : les catcheurs américains n'ont pas de syndicat, pas de retraite et pas de couverture sociale.
Le corps comme seule marchandise est un sujet dessiné habilement par le scénario, qui trace un parallèle entre le vieux catcheur et une strip-teaseuse dont le corps ferait encore bien des envieuses, mais dont l'âge est moqué par ses clients : difficile de faire rêver dans ce métier quand on va vers la cinquantaine.
En filmant à hauteur d'homme, sans lâcher d'une semelle un Mickey Rourke totalement habité par le rôle (peut-être qu'il n'a pas eu beaucoup besoin de se forcer, mais cela révèle alors l'intelligence finale du casting, car Nicolas Cage avait été le premier pressenti...), Aronofsky réussit à toucher juste et à faire naitre l'émotion dans quasiment chaque plan, et ce malgré une trame classique. Son attachement à nous montrer l'envers du rêve américain (des citoyens de seconde zone, laissés pour compte), sans complaisance, éloigne le film de toute entreprise douteuse, du genre machine hollywoodienne à faire pleurer dans les chaumières.
Si on ajoute une B.O. éminemment plaisante (Quiet Rot, Ratt, Cinderella, Scorpions, Firehouse, Guns N' Roses... wow !), on tient là probablement un des films de l'année. Grosse surprise, mais des comme ça, j'en veux bien d'autres.
9/10
21:07 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : cinéma, darren aronofsky, mickey rourke, marisa tomei, evan rachel wood
22 février 2009
Ricky
Idéalement il faudrait voir Ricky sans rien savoir du film, et surtout en n'ayant pas vu la bande-annonce qui spoile méchamment. Heureusement, même s'il y a une révélation qui opère un changement brusque dans le film, ce changement n'est pas définitif (il n'est qu'une des nombreuses ruptures de ton du film), et Ricky ne repose donc pas là-dessus. Finalement, malgré les apparences trompeuses (pour ceux qui ont hélas vu la bande-annonce), Ricky est bien du pur Ozon, à savoir un film déstabilisant, puissamment original, prenant le contre-pied des conventions et se foutant pas mal du box-office : la gamelle est sans doute d'ailleurs assurée, mais pas méritée.
Ozon ouvre beaucoup de pistes dans Ricky, tant et si bien que même s'il laisse le spectateur maître de sa propre interprétation, le manque d'indices déconcertera probablement trop de monde, et de façon négative. C'est à la fois la force et la faiblesse de Ricky : difficile à aimer, mais pourtant impossible de ne pas y penser encore et encore. N'est-ce pas là un signe indéniable de réussite ?
Attention, spoilers pour la suite
La première partie du film met les deux pieds dans le réalisme social (nouveau pour Ozon -- photographie laide et triste à en pleurer, qui s'éclaircit peu à peu), dans lequel s'immiscent des pointes de malaise insidieux comme Ozon sait si bien le faire. Le sens de l'ellipse fait ici merveille, Ozon trace droit à l'essentiel et en quelques dizaines de secondes tous les doutes éventuellement liés à Alexandra Lamy sont dissipés. Ozon est un expert en casting, une fois de plus il gagne son pari en allant chercher une actrice venue de la sitcom TV pour lui faire interpréter une ouvrière à la vie médiocre.
Le malaise grandit lors de la découverte des moignons d'aile qui poussent dans le dos de bébé Ricky ; cette première rupture de ton nous rapproche énormément de Cronenberg, tout comme l'humour effroyable et terriblement décalé (par exemple, le plan sur le poulet). Lorsque les plumes se mettent enfin à pousser, on commence à basculer du côté de la fable fantastique, et c'est alors qu'Ozon gagne son pari, car il évite admirablement le ridicule en sachant tirer une ambigüité remarquable de toutes les situations qu'il met en scène. Là, il n'y a guère plus de comparaisons aisées, Ozon surprend, point final.
Bien entendu, notre raison, qui cherche systématiquement à mettre une signification derrière chaque chose, est fort contrariée lors du dernier plan de Ricky et il est facile alors de reprocher à Ozon de ne pas avoir su lui-même décider de ce qu'il avait voulu dire. A mon sens, Ricky évoque (pêle-mêle, certes, d'où le léger manque d'aboutissement par rapport à ses films précédents) les conséquences des bouleversements familiaux, qu'ils soient liés au couple (séparation, vie commune entre divorcés, etc.) ou surtout aux enfants avec une plongée dans la complexité des sentiments maternels.
Dit autrement par un spectateur : "Parabole aigre-douce sur l'enfant différent qu'on ne peut retenir, qui ne peut s'intégrer, mais qui devient littéralement ange et ange gardien pour une famille recomposée à travers son étrange histoire. Grande tristesse et grande mélancolie qui toucheront particulièrement ceux qui ont vécu ou vivent l'anormalité d'une situation parentale tragique"
8/10
09:40 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, françois ozon, alexandra lamy, sergi lópez
18 février 2009
Walkyrie
Ouf ! Bryan Singer a enfin laissé tomber les films de super-héros, qui allaient en s'essouflant, et qui ne lui permettaient pas d'exprimer pleinement son talent, tant les projets de l'envergure d'un Superman Returns imposaient une influence néfaste des studios qui les finançaient...
Avec Walkyrie, Singer ne revient pas directement à un film très personnel, mais au travers de ce thriller historique (un minimum de faits ont été romancés quant à la dernière tentative d'assassinat d'Hitler), il traite un thème qui lui est cher, le nazisme, déjà abordé dans Apt Pupil et dans X-Men avec le personnage de Magneto.
Walkyrie est un divertissement haut de gamme, une excellente surprise qui repose sur deux solides fondations : une mise en scène sobre (peu de scènes d'action) et classe (quelle photographie, quels cadrages !), et un suspense infernal (grand merci au scénariste Christopher McQuarrie de retour aux côtés de Singer après le fameux Usual Suspects), quand bien même tout le monde sait que l'attentat n'aura pas atteint son but.
C'est probablement la plus grande force du film : arriver à scotcher le spectateur à son fauteuil malgré la fin connue, lui faire sentir à quel point le retournement de l'Histoire s'est joué à de petits riens, et lui faire éprouver ce qu'on pu ressentir les officiers impliqués dans le coup d'Etat (incroyable scène dans le nid d'aigle d'Hitler des montagnes bavaroises). La section comprise entre l'explosion et la reprise en main par Hitler du contrôle de la situation constitue une des plus belles guerres des nerfs que j'ai pu voir au cinéma.
On pourra toujours reprocher au film d'être manichéen. Pas tant que ça : les personnages sont d'une noirceur rare, et interprétés par des acteurs pas vraiment lisses (Kenneth Branagh, Terrence Stamp, Bill Nighy). Même Cruise s'en sort grâce à sa sobriété et les handicaps de son personnage qui était borgne, amputé d'une main et de deux doigts à sa dernière main. On est loin d'un film d'héroïsme dévergondé et décervelé. Certes, c'est le rythme et l'efficacité qui sont privilégiés : le parti pris est assumé. Il ne faut espérer de Walkyrie un programme qu'il ne promet pas.
Le seul reproche que j'adresse au film est inhérent à sa conception : c'est le tournage en langue anglaise. Heureusement, le scénario est tellement passionnant qu'on finit par ne plus y prêter attention, mais il est fort probable qu'un projet intégralement allemand aurait changé la perception de nombre de spectateurs.
8/10
09:56 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : cinéma, bryan singer, tom cruise, carice van houten, kenneth branagh, bill nighy
14 février 2009
L'Autre
Anne-Marie se sépare d'Alex. Il veut une vraie vie conjugale. Elle veut garder sa liberté. Ils se séparent sans heurt et continuent à se voir.
Pourtant, lorsqu'elle apprend qu'Alex a une nouvelle maîtresse, Anne-Marie devient folle de jalousie. Et bascule dans un monde inquiétant, fourmillant de signes et de menaces.
Ce pitch, la revue de presse dithyrambique et la présence de Dominique Blanc (qui a décroché la récompense de meilleure actrice à la Mostra de Venise avec ce film en 2008) m'ont incité à aller voir L'Autre, deuxième film du tandem Pierre Trividic et Patrick Mario Bernard.
Techniquement, nous avons affaire à du haut vol. La photographie est nettement influencée par l'œuvre de Michael Mann, tout comme l'environnement urbain qui est un personnage à part entière. La prise de son est très soignée et rejoint bien entendu le souci du détail propre aux bandes-sons de Lynch, qui sont un élément essentiel pour rentrer dans l'exercice de style métaphysique qui consiste à faire ressentir physiquement les émotions d'une personne qui sombre peu à peu dans une perception altérée de la réalité.
La seule limite de L'Autre est peut-être d'être trop cérébral, et de ne pas offrir suffisamment d'inquiétude dans l'étrangeté promise. Du coup, les 97 minutes du film semblent parfois un peu longues. C'est probablement un film à revoir, car son parti-pris de grande sécheresse en fait une œuvre difficile à réellement aimer. Il est indéniable que le sentiment de paranoïa et de malaise continue de hanter l'esprit après la projection. Il y a juste un goût d'inachevé : personnellement j'aurais aimé que le film aille plus loin dans son dérangement, à l'instar d'un Haneke.
7/10
12:20 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, patrick mario bernard, pierre trividic, dominique blanc, cyril gueï, peter bonke