28 juillet 2006
Tool, Zénith, 28/06/2006
Tool a ceci de fascinant : c'est un groupe capable d'hypnotiser une salle entière. Le Zénith était complet, avec une foule très bigarrée. Tool échappe toujours à toute logique marketing. Sa musique a beau être classée dans le metal, cela ne veut pas dire grand chose dans leur cas. Tool est plutôt un héritier spirituel de King Crimson, avec qui il partage d'ailleurs de nombreux points communs sur scène, en dehors des capacités d'improvisation.
Tool en live est une expérience, comme l'a écrit Libération (28/06/2006), "à la fois intensément tribale, drivée par les percussions inouïes de Danny Carey, et complètement cérébrale".
Le batteur est en effet une attraction à lui tout seul. Les mots ne suffisent pas pour décrire l'extrême sophistication du groove de son jeu. Heureusement qu'il est là d'ailleurs, car le guitariste et le bassiste sont plutôt très statiques. L'autre attraction, plus discrète, reste l'inénarrable chanteur Maynard James Keenan. Volontairement arrogant, au comportement cynique, ce fascinant artiste reste impénétrable. Que ce soit son look ridicule, ses interventions ("I'm looking at the front row, and, we have very cool t-shirts in other colors than black, you know. Think positive" ou "I'm filthy rich today, I bet all my money on France. Sorry Spain. That was lame, I hope no one is translating this"), Maynard dégage un sentiment de supériorité forcément profondément subversif.
Chantant sur son estrade (après être apparu en ombres chinoises derrière un des écrans), sans aucun éclairage sur lui, tournant souvent le dos au public, sa gesticulation évoque un reptile, quand il ne prend pas des poses ridicules d'arts martiaux. Maynard a la nonchalance et le détachement d'un dandy. Son départ de la scène à la fin, sans aucun salut de la foule est à interpréter comme un pied de nez ultime en phase avec le personnage créé sur scène.
L'attraction principale reste la musique alliée à des projections de toute beauté, sur 4 écrans (en toile, pas électronique, pour qualité de projection bien supérieure). L'aspect visuel a toujours été un point fort du groupe, ses clips (réalisés par le guitariste) et autres supports visuels étant de vraies créations (souvent malsaines d'ailleurs).
La fusion entre l'intensité de la musique et aboutissement des visuels est probablement un facteur clé dans l'ensorcellement qui en résulte, malgré l'étrangeté et l'aspect monolithique de l'ensemble.
Un point noir à mentionner, tout de même. J'étais à côté de la table de mixage pourtant, donc à l'endroit où l'ingénieur du son façade fait le mix d'après ce qu'il perçoit. Or, ce qui est inacceptable, c'est que le sonomètre affichait quasiment systématiquement une valeur supérieure à la limite légale française. C'est incompréhensible de la part de l'équipe technique de Tool, qui est au pourtant habituellement au top. Je me souviens du concert de l'Olympia en 2002 qui était un modèle du genre. J'avais pourtant mes protections (moulées avec ouverture réglable), vissées à fond, et même ainsi c'était limite. C'est un gros bémol car la performance de très haute volée du groupe était ainsi bien moins nette, sans compter le danger encouru par tous les gens qui ne portent hélas pas de protections adaptées.
Setlist :
Lost Keys
Rosetta Stoned
Stinkfist
Forty Six & 2
Jambi
Schism
Opiate
Intension
Right In Two
Lateralus
Rappel:
Vicarious
Ænema
17:10 Publié dans Concerts | Lien permanent | Commentaires (2)
25 juillet 2006
La Raison du plus faible
En 2003, Lucas Belvaux s'était définitivement imposé comme un cinéaste qui compte, avec son triptyque composé d'une comédie (Un couple épatant), d'un thriller (Cavale) et d'un mélodrame (Après la vie), les personnages principaux de chaque film devenant les personnages secondaires des deux autres (encore merci Bertrand pour la découverte de cette trilogie). Impressionnant par sa prouesse scénaristique et sa direction d'acteurs, Belvaux se devait de confirmer. Et il l'a fait, avec cette Raison du plus faible en compétition officielle à Cannes cette année, sélection largement méritée (même si le film est reparti sans rien, mais le plus dur est bien d'être sélectionné, le jury visionnant plusieurs centaines de films !).
C'est bien sûr de Cavale que La raison du plus faible se rapproche le plus. Le premier était un thriller politique, un mélange brutal et bouleversant entre polar et portrait lucide de la génération des ex-militants gauchistes. Le second est un thriller social. Entre polar et portrait lucide du monde ouvrier.
Le tour de force de Belvaux, c'est de décrire le contexte déprimant de la vie des laissés pour compte du libéralisme, sans jamais tomber dans le pathos, ni le manichéisme. Le recours au hold-up d'une poignée d'entre eux n'est absolument pas cautionné, mais il devient naturel dans la progression du récit de l'horizon bouché de ces personnages qui n'ont plus la force de militer ou de rêver.
On retrouve la même noirceur que Cavale, et la même sécheresse de la mise en scène, alliée à un rythme et un montage savants, ainsi qu'à une musique minimaliste qui ne surligne jamais lourdement le propos. Le suspense est parfaitement dosé jusqu'à la fin, et Belvaux parvient même à introduire des touches d'humour bien senties dans cette mécanique implacable.
Belvaux frappe fort et fait mal. On ne ressort pas d'une projection de son film le sourire aux lèvres, mais avec le sentiment d'avoir vu une oeuvre qui fait réfléchir, au-delà du polar. C'est plutôt rare !
8/10
16:07 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0)
23 juillet 2006
Adam's Apples
Le Danois Anders-Thomas Jensen est décidément un des réalisateurs-scénaristes les plus originaux d'Europe. En 2005, sa comédie dramatique Les Bouchers Verts avait constitué une des plus grandes surprises de l'année : deux amis un peu paumés montent une boucherie, dans laquelle quelqu'un meurt par accident. Le corps finit dans les préparations vendues à la clientèle, les deux compères ne sachant comment se débarrasser du corps. A leur grande surprise, les ventes décollent, et se pose alors le problème d'arriver à continuer à satisfaire la clientèle en leur fournissant cette viande à la saveur très originale mais à l'approvisionnement plus que délicat...
Au-delà de l'intrigue principale qui laissait suggérer (à tort !) une comédie trash, Les Bouchers Verts évoquait avant tout l'ennui et le mal être d'individus en marge de la société figée. Le résultat était un film décalé, mais subtil, drôle sans être cynique, et surtout étonnant par sa maîtrise, tant formelle que scénaristique.
On peut reconduire exactement les mêmes éloges à l'égard d'Adam's Apples, sur un sujet fort différent, ce qui confirme le grand talent de Jensen.
Convaincu de la bonté fondamentale de l'homme, un pasteur, Ivan, se voue tout entier et tout sourire à sa mission : accueillir d'anciens taulards et oeuvrer à leur réhabilitation. Arrive ainsi dans sa paroisse Adam, un chef de bande de nazis à qui il reste quelques semaines de peine à purger. Rangers, crâne rasé, croix celtique tatouée sur le biceps, et portrait d'Hitler qu'il accroche fièrement à la place de la croix de Jésus dans sa chambre : Adam est le Diable incarné et il le revendique. Que peut alors valoir la foi d'Ivan face à la malveillance faite homme ? Bref, que peut Dieu face au Diable ? Grande question, qui s'efface bientôt au profit d'une interrogation tout aussi cruciale : d'Adam ou d'Ivan, qui est le plus dérangé des deux ?
Encore fois, Jensen prend le spectateur par surprise en l'emmenant sur un terrain qui n'est pas du tout celui que pouvait laissait présager l'intrigue de départ. Les rebondissements sont nombreux et il est impossible de deviner où va aboutir le film. Quelques scènes sont particulièrement dures et cruelles, âmes trop sensibles s'abstenir. On n'en dira pas plus pour ne rien déflorer de ce film qui ne se raconte pas, mais qui se savoure.
Il faut noter qu'on retrouve une grande partie des acteurs principaux des Bouchers Verts, dont l'extraordinaire Mads Mikkelsen, qui connaîtra enfin, je l'espère, la reconnaissance d'un plus vaste public puisqu'il incarne le méchant Le Chiffre dans le prochain James Bond, Casino Royale. Ca ne serait que justice !
8/10
13:43 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0)
20 juillet 2006
The Devil's Rejects
Un chef d'oeuvre de série B, comme on n'en fait plus depuis les 70's ! Après s'être imposé comme un des grands noms du metal dans les 90's avec son groupe White Zombie, puis ses albums solo (sans compter toutes les musiques de film qu'on lui doit), le père Rob montre qu'après son premier film House Of 1000 Corpses, il est un réalisateur de tout premier ordre.
The Devil's Rejects n'est surtout pas à mettre devant tous les types de public : le film est d'une brutalité extrême, sans pourtant verser dans le gore. Trash, sadique, vulgaire, immoral, cynique... les adjectifs ne manquent pas pour décrire cette furie, jamais gratuite car la violence est toujours traitée de manière réaliste. Il y a une volonté manifeste de mettre à l'épreuve le spectateur (cf. la scène du motel).
Et pourtant, très souvent, les situations sont assez tarantinesques, si bien que le film est aussi très drôle, voire jubilatoire (certaines scènes ont un tel humour noir que j'avais du mal à croire qu'on puisse aller aussi loin). De ces deux extrêmes nait un mélange unique et explosif qui ne peut laisser personne indifférent.
Dans son film précédent, House Of 1000 Corpses, Rob introduisait la famille Firefly, des psychopathes vicieux et brutaux qui s'adonnaient au meurtre avec enthousiasme. Dans The Devil's Rejects, un sheriff entreprend de mettre fin à leurs activités. Néanmoins, The Devil's Rejects peut être vu de manière totalement indépendante, ce n'est pas à proprement parler une suite.
Rob se démarque totalement de la réalisation des films horrifiques actuels à la mode, car c'est un hommage aux westerns et road-movies des 70's qu'il a voulu rendre. Pas d'effets faciles et trendy ; Rob est plutôt dans l'utilisation de plans très précis à la Sergio Leone (arrêts sur image pour présenter les personnages ; très gros plans pour montrer les saletés sur les dents, la sueur sur la peau brûlée par le soleil, etc.). L'artiste se fend même de nombre d'idées très ingénieuses de mise en scène (notamment dans ses transitions). Impressionnant pour un deuxième film !
En outre, le film possède une ambiance terriblement poisseuse grâce au grain du Super 16. Tourné presque entièrement avec une caméra au poing ou à l'épaule, la palette de couleurs de The Devil's Rejects rappelle celle, sombre et désolée, des premiers films de George Romero et de Massacre à la Tronçonneuse.
Rob Zombie finit de renverser les clichés (et affirme son influence western) par le choix de la musique. Nul heavy metal vociférant ici, mais uniquement du rock, blues et country US ! On retrouve ainsi entre autres Allman Brothers Band, Steely Dan, Muddy Waters et Lynyrd Skynyrd pour un final époustouflant sur leur plus célèbre titre.
Expérimentation cauchemardesque et jouissive, The Devil's Rejects risque de rester longtemps sans concurrents.
9/10
18:10 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0)
18 juillet 2006
United 93
"Les films n'ont pas seulement vocation à faire rire ou à nous transporter dans des ailleurs merveilleux. Il ne faut pas négliger notre monde et sa réalité. En portant son regard sur un événement particulier, un cinéaste peut y avoir quelque chose qui dépasse le cadre de cet événement et touche à l'essence de la société. United 93 a été réalisé dans cet esprit".
Cette citation de Paul Greengrass, le réalisateur du film, résume parfaitement l'intérêt de son entreprise, même si de manière ultime, on peut reprocher à United 93 de ne prendre aucun recul et de rester purement factuel.
Or, c'est précisement parce que United 93 se veut une reconstitution aussi fidèle que possible des événements ayant mené au crash du quatrième avion détourné le 11 septembre 2001 que le film est d'un intérêt historique considérable : il constituera vraisemblablement un devoir de mémoire pour les victimes de cet avion, le seul dont on n'a eu aucune image et donc aucun battage médiatique.
C'est aussi le seul avion où des passagers ont eu le temps de se rebeller, et le seul où les autorités auraient pu intervenir. Ceci permet à United 93 de mettre en valeur les deux composantes principales de ce drame : l'héroïsme des passagers et l'inefficacité totale de la chaîne de commandement au sol. Deux axes jusqu'alors assez abstraits, faute d'images.
Pourtant, Greengrass ne produit aucune emphase scénaristique ou de mise en scène pour y aboutir: c'est tout simplement ce qui se dégage spontanément des faits qu'il relate. Cette sobriété (notamment, absence de stars au casting), cette absence de pathos, de lyrisme ou de grandiloquence, cette évacuation de tout code hollywoodien sont justement ce qui rend son film terriblement efficace, d'autant plus que Greengrass est un cinéaste techniquement hors pair (cf. The Bourne Supremacy).
Un des aspects les plus frappants est l'absence de la dimension "complot". L'acte terroriste est représenté ici avant tout comme l'initiative d'une minorité. On voit les terroristes dans leur dimension humaine, eux aussi sous une énorme pression. Leur leader, Ziad Jarrah, a agit seulement 26 minutes après le signal autorisant à détacher les ceintures, alors que les trois autres avions ont été détournés 5 minutes après. Ce délai a mis en péril le déroulement de leur mission suicide puisque, pendant ce temps, l'avion continuait de voler à l'opposé de sa cible probable (la Maison-Blanche). Ce délai inexpliqué est transcrit dans le film par une sorte d'ultime hésitation de la part de Ziad Jarrah (qui avait suivi des études supérieures, fréquenté une école chrétienne, grandi dans un milieu laïc...). Cette extrapolation, tout de même probable, est pétrifiante.
United 93 est ainsi très stressant, voire traumatisant, et constitue une véritable expérience à laquelle chacun se soumettra ou non en son âme et conscience.
9/10
15:00 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (4)