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05 février 2007

Inland Empire



Cet article a été écrit après deux visionnages du film en projections de presse, espacées d'un mois chacune.

Inland Empire peut laisser un sentiment mitigé à l’amateur de David Lynch. D’un côté, on peut avoir un sentiment de soulagement en constatant que personne d’autre n’aurait pu aboutir à un tel résultat. Que l’on aime ou pas l’artiste, comment dénier que Lynch reste totalement unique et inimitable dans ce qu’il apporte au cinéma ?

D’un autre côté, Inland Empire semble clore un cycle, ouvert il y a plusieurs dizaines d’années avec des courts-métrages, et c’est avec un certain pincement au coeur qu’on peut deviner en ce film une somme, tant on y retrouve les fruits d’un très grand nombre de travaux de défrichement entrepris jusqu’alors, du petit au grand écran, en passant par son site Internet. Les dernières secondes du générique de fin laissent une question béante : que faire après ça ? Sacré défi pour Lynch, alléchante spéculation pour nous. En attendant, regardons de plus près quelle place occupe ce long-métrage dans le Lynchland...

Lynch revendiquait pendant la genèse d’Inland Empire (IE) une filiation indirecte avec Eraserhead. C’est plus qu’évident dès la première la vision du film. La liberté d’expérimentation induite à la fois par la longue durée de gestation (quasiment équivalente à celle d’Eraserhead, mais pour des raisons fort différentes), et la souplesse permise par les moyens "légers" de tournage (caméra 16mm à l’époque et dorénavant, caméra numérique Sony PD-150, un modèle non professionnel), ont un impact très reconnaissable (bien que différent) sur le look’n feel du film. Dans les deux cas, le spectateur se retrouve baigné dans un environnement sonore très particulier, quasiment oppressant, avec une présence plus proéminente que dans tous ses autres films des fréquences graves. Enfin, dans les deux cas, le propos se situe à un très haut degré d’abstraction, qui condamne ces deux œuvres à des réactions extrêmes (rejet ou fascination) ; la différence majeure entre Eraserhead et IE se situant au niveau de la durée (ce dernier affiche presque le double du premier), différence cruciale dans la capacité du public à supporter une sollicitation intense de ses sens.

Au-delà de la forme, Eraserhead et IE ont en effet surtout en commun d’être une véritable expérience éprouvante, un cauchemar éveillé, une descente aux enfers avec certes quelques moments absurdes et au comique reconnaissable entre mille, mais ces deux oeuvres sont de loin les plus glaçantes de Lynch ; elles sont comme vidées de quasiment tout instant extatique. Ce retour à la radicalité est un virage a priori inattendu après les véritables paratonnerres à sublimes émotions qui parcourent toute la filmographie de Lynch à partir d’Elephant Man. Lynch tend ainsi le bâton à ses plus fervents détracteurs qui se gausseront que son oeuvre la plus longue à ce jour (2h52) ne soit a priori qu’un concentré des clichés les plus fréquemment apposés aux oeuvres du cinéaste : excentricité, bizarrerie, horreur, terreur, absurdité, grotesque, etc.

On voit en quoi IE reboucle vers Eraserhead ; mais en même temps, IE embrasse plus large et englobe presque tous les thèmes chers à Lynch et développés au cours de ces (presque) 40 dernières années. Déconstruction des mythes hollywoodiens, obsessions du contrôle, de l’infidélité conjugale, des troubles de la personnalité, des perversions sexuelles, de la nécessité de payer les conséquences de ses actes... La liste serait très longue, et chaque spectateur s’en apercevra spontanément au gré des plus marquants pour lui, tout en croisant des figures emblématiques du Lynchland, ce qui accentue l’impression d’être en terrain connu, même si Lynch n’avait jamais exploré à ce point les affres de l’infidélité (thème majeur et probablement thème-clé), et de la paranoïa aiguë qui peut en découler.

Est-ce un jeu pour Lynch ? Cette sensation de familiarité dans le fond (de redite, diront les détracteurs) se retrouve en effet paradoxalement atomisée par la forme déstructurée chère aux derniers opus du cinéaste. Mais le procédé de mise en abyme et de scènes à la fois gigognes et connexes atteint ici un paroxysme, voire un point de non-retour. Ce maelström a-t-il pour but de nous faire directement ressentir la confusion extrême du personnage principal, Nikki Grace (Laura Dern) ? C’est très probable, puisque rarement le calvaire et l’angoisse d’un personnage auront pu être directement ressentis par un spectateur.

Mais on est tenté d’y voir également une pirouette de la part du cinéaste, qui sait exactement ce qu’attendent les cinéphiles de sa part (la réutilisation de Rabbits, matériau expérimental diffusé initialement sur son site internet, est tout à fait jouissif pour un fan, tout comme l’apparition du vocable Axxon N, projet mystérieux jamais concrétisé jusqu’alors). Le générique de fin est un moment absolument majeur et totalement inédit chez Lynch, puisque c’est le premier générique de fin de sa filmographie à avoir été mis en image jusqu’à la dernière seconde. Cette nouveauté donne sans aucun doute une indication en ce sens : Lynch semble cette fois se positionner sans vergogne comme un démiurge qui se rit de ses propres effets, voire du pouvoir même du cinéma. Cette conclusion, qui prend le contre-pied esthétique et émotionnel de tout ce qui a précédé, est ainsi probablement une des fins les plus vertigineuses de sa filmographie, qui comptait déjà des tours de force déroutants, comme le ruban de Möbius de Lost Highway ou le "Silencio" de Mulholland Drive.

Alors, désabusé, Lynch ? L’artiste s’interrogeait en 2004 ouvertement de l’avenir du cinéma (cf. Télérama n°2866 : "[Le cinéma] est un art qui s’est épuisé, mais autre chose va surgir. Je ne sais pas encore quoi"). Visiblement, l’expérimentation extrême qu’est IE ne donne pas encore la réponse (questionné sur ses doutes de 2004, Lynch répond cette année, toujours dans Télérama, n°2975 : "Dans sa forme actuelle, [le cinéma] me semble à la traîne"), mais lui a probablement permis de faire un grand pas en avant. Film-somme, mais aussi film-charnière, début de métamorphose nécessaire pour évoluer vers cette future autre forme de cinéma. C’est aussi en cela qu’IE est fascinant : il partage avec nous, sans aucune gêne, un regard sur l’empire actuel de Lynch, et un autre vers son extension future.

9/10

08:38 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : Cinéma

28 janvier 2007

Bobby



Une fois n'est pas coutume, je vais reproduire une courte critique que j'ai lue après avoir vu ce cinquième film d'Emilio Estevez (fils de Martin Sheen, qui jour d'ailleurs dans le film), car elle a le mérite d'être concise et de refléter au mot près ce que j'en pense... Voici une petite pépite à ne pas rater si vous aimez les films choraux, et les films traitant de l'Histoire pour mieux illustrer les aberrations du présent.

L'impression qui domine est celle d'une vaste tapisserie chorale, fluide mais un peu terne, où une douzaine de superstars se croisent dans les couloirs de l'hôtel de Los Angeles où le jeune sénateur démocrate Robert Kennedy fut assassiné le 5 juin 1968. Mais, à un quart d'heure de la fin, les mailles se contractent avec une fulgurance de spasme pour amorcer un crescendo d'une exceptionnelle intensité, immense flash de lumière rétrospective sur ce qui s'impose à l'arrivée non seulement comme un bouleversant requiem à une Amérique perdue, mais aussi comme une impitoyable critique en creux de celle de George W. Bush.

Bernard Achour (TéléCinéObs)


8/10

18:25 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Cinéma

Pars vite et reviens tard



Régis Wargnier est le réalisateur de Indochine et de Est-Ouest. C'est tout de même un cinéaste élégant et plutôt digne d'intérêt. Cette adaptation du roman policier de Fred Vargas, avec un casting fort alléchant (Lucas Belvaux et José Garcia en tête) avait donc tout d'un programme qui fleure bon le polar ciselé.

Hélas, le scénario adapté est proche du grotesque, il est très difficile d'arriver à croire à cette histoire de meurtrier en série qui semble colporter la peste dans Paris. L'ambiance légèrement fantastique fait penser au pire, comme les films de l'affreux Jean-Christophe Grangé (Les Rivières Pourpres, L'Empire des Loups, Le Concile de Pierre). Le film se traîne à un rythme très explicatif qui plombe totalement le suspense, et jamais Wargnier ne parvient à donner le véritable souffle de panique qu'un tel événement devrait engendrer dans une métropole de 10 millions d'habitants (quelques scènes ridicules dignes d'un bon téléfilm essaient de nous convaincre que le peuple a peur, très peur).

On pourrait faire moults jeux de mots sur le titre de ce film, mais tout simplement, non, n'y allez pas.

4/10

18:17 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Cinéma

17 janvier 2007

Le Serpent



La réalisation d'Eric Barbier possède une certaine sophistication assez rare en France, qu'on pourrait rapprocher de celle d'Eric Rochant. Porté par deux acteurs talentueux dans des rôles à contre-emploi, ce thriller bien français (de par ses rebondissements de temps à autre hélas bien tirés par les cheveux) aux relents américains (pour sa tension nettement plus aiguë que nos polars traditionnels) est donc un divertissement relativement réussi, du moment qu'on est disposé à passer sur le scénario pas toujours crédible, seul point faible de l'entreprise.

7/10

15:13 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Cinéma

05 janvier 2007

The Fountain



Quand on s'appelle Darren Aronofsky, qu'on a réalisé en 1999 un des films les plus virtuoses et un des plus viscéraux de ces 20 dernières années (Requiem For A Dream), on est forcément très guetté au tournant pour la suite, et la longue durée de gestation (6 ans) n'arrange rien. Il faudrait donc arriver à se faire une opinion en oubliant que c'est un des plus grands espoirs du cinéma qui est derrière ce film, mais c'est évidemment impossible.

La déception ne peut donc qu'être grande. The Fountain a tout du film qui était très ambitieux (le combat à travers les âges d'un homme immortel pour sauver la femme qu'il aime), et dont la naïveté confondante ne peut que déclencher un sentiment de frustration immense. On pourrait à la limite oublier la bêtise des tartines de métaphysique inspirée par la mythologie maya ; mais on ne peut qu'être révolté par la lourdeur des scènes larmoyantes, qui ne parviennent que rarement à atteindre le millième des émotions de son film précédent, grâce au jeu toutefois convaincant et au charme du couple Hugh Jackman/Rachel Weisz.

Le cinéphile sera en peine de voir également que les fulgurances de mise en scène d'Aronofsky sont aux abonnés absents, le montage zigzaguant entre trois époques tentant d'induire un peu de complexité (ou de finesse ?), mais la mayonnaise ne prend pas. Il en ressort plutôt une impression de prétention, d'objet qui se veut arty, alors que Requiem For A Dream était entre autres stupéfiant pour la pertinence de ses transitions entre hallucinations et "monde réel".

Quand on connaît le temps et le soin investis par Aronofsky dans ce film, on peut être pris d'un doute et se dire qu'on n'a en fait pas tout "compris". Le film est donc sans doute à revoir pour lui laisser une deuxième chance, mais il y a fort à parier qu'hélas, The Fountain tienne plus du gros ratage (eu égard au propos, avec son originalité), que du "grand film malade" injustement incompris.

6/10

22:17 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : Cinéma