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25 octobre 2008

Goldfrapp, Théâtre Marigny, 20/10/2008



Cela fait un choc, d'assister à un concert "parfait", surtout quand on ne s'y attend pas, et d'autant plus lorsqu'on est un peu blasé. Sans pourtant être un "fan" de Goldfrapp (j'apprécie beaucoup, et cela va sans doute encore s'intensifier), je dois reconnaître qu'en ce 20 octobre 2008, j'ai assisté à un concert où tout était au diapason : l'interprétation, le son, le mixage, les lumières, l'ambiance, le lieu... Difficile de revenir sur Terre après ça, de quitter la salle, avec certes des étoiles plein la tête et le sentiment d'avoir assisté à quelque chose de fort rare.

Révélation artistique de l'année 2000, Goldfrapp (duo masculin-féminin anglais composé de Will Gregory et Alison Goldfrapp) avait proposé avec son premier album Felt Mountain "la rencontre de John Barry et d'Ennio Morricone". Cette accroche marketing stickerisée sur l'album à l'époque avait le mérite de ne pas être inexacte, à une nuance près : l'influence des architectes sonores des James Bond et des films de Sergio Leone (entre autres) a été formatée pop, parfois électronisée, avec tout ce que cela sous-entend de simplification et de modernisation. Le résultat, onirique, mystérieux et envoûtant, reste l'une des plus belles réussites artistiques de cette décennie.

Après ce coup de maître (sorti chez Mute, le label de Depeche Mode, qui a su remarquablement travailler et faire fructifier l'art du duo), Goldfrapp a pris de court ceux qui les rangeaient déjà dans la même case que Portishead, en proposant un changement de style total pour ses deux albums suivants. Finie l'introspection romantique, bonjour la disco pourvoyeuse de glam rock synthétique. Si les fans de la première heure ont eu du mal à s'en remettre, c'est pourtant avec ce songwriting beaucoup moins substantiel, plus froid et mécanique que Goldfrapp a décroché ses hits, en particulier les titres Ooh La La et Strict Machine (celui-ci ayant été notablement repris dans le chef d'oeuvre Miami Vice de Michael Mann dans l'inoubliable scène d'intro dans la discothèque).

Plutôt que de poursuivre dans l'ambiance des dancefloors décadents (avec son talent, le duo aurait pu continuer facilement à délivrer du tube glam-disco apparemment bien facile à tricoter pour eux, et qui leur a rapporté gros), Goldfrapp n'a pas eu peur de continuer à prendre des risques, en sortant cette année son quatrième album, Seventh Tree, la suite logique de Felt Mountain. Sans aucun doute leur album le plus abouti à ce jour, Seventh Tree est une réussite artistique insolente qui annonce la couleur dès sa pochette.

Celle-ci évoque irrésistiblement le chef d’œuvre de Stanley Kubrick, Barry Lyndon, et à sa prodigieuse lumière pastorale dont le maître avait souhaité qu’elle soit la plus naturelle possible. Ce retour au songwriting s’accompagnait d’un même désir naturaliste : place à des mélodies et à des sons plus purs, plus organiques, inspirés par les arbres, les animaux... Il n'y a guère de déchet sur l'album, qui propose des compositions admirablement orchestrées (guitare acoustique, harpe, orgue et synthés bricolés) et évite les pièges de l'easy listening. Entièrement marqué par la grâce, l'album offre des mélodies superbes, habillées d'ambiance singulières, dignes héritières des Beatles (Magical Mystery Tour), de Kate Bush et d'Air. Alison Goldfrapp y déploie tout son talent, sans en faire trop. Aujourd'hui, la demoiselle de 37 ans est citée par Madonna (très avare de compliments) comme sa chanteuse préférée.

Si j'aime les disques qui proposent un tout (contenant et contenu) qui font d'un album une véritable œuvre d'art (cf. Frances The Mute de The Mars Volta), il est rare que ce genre d'album soit transcendé sur scène. Or, c'est bien ce qu'a réussi Goldfrapp, avec cette formation exceptionnelle sur scène : un ensemble de 14 violonistes et violoncellistes, 6 choristes, et 8 musiciens (dont une harpiste). A priori, il s'agissait de se roder pour un concert deux jours plus tard pour la BBC dans le cadre des Electric Proms (cf. photo ci-dessous).

La présence de cet ensemble a permis de proposer orchestration classico-électro-pop très riche, décuplant les arrangements des disques, ou permettant d'en proposer des nouveaux pour les titres issus des albums plus disco, comme cette réécriture du tube Ooh La La, où l'emploi bluegrass de la guitare acoustique a remplacé habilement le synthétiseur. L'intelligence de Goldfrapp a été d'utiliser cet arsenal de musiciens aux bons moments, sans jamais surcharger la partition.

Le concert était ainsi placé sous le signe de la grâce... donc à l'image du dernier album. Les choristes portaient des masques surréalistes que n'aurait pas renier David Lynch pour une séquence onirique d'un de ses films. Les musiciens étaient tous de blanc vêtus, dans des costumes très simples, à l'exception d'Alison Goldfrapp, uniquement vêtue d'une tunique noir et blanc d'Arlequin, qui lui arrivait à peine à mi-cuisses. Boucles dorées, visage très blanc, jambes nues et pieds nus, elle évoquait un elfe tout en fragilité, irradiant malgré tout un érotisme distant (elle parle très peu) et équivoque (elle attire probablement de façon équivalente les deux sexes). Pouvait-on imaginer plus bel écrin que le théâtre Marigny pour sa voix cristalline, qui semble avoir remué le public au plus profond de son âme, totalement fasciné, et ne s'arrachant avec peine de cet univers si extatique et sensuel que pour couvrir les musiciens sous un tonnerre d'applaudissements entre chaque chanson.

J'ai assisté à un des rares concerts où les conditions étaient réunies pour donner les mêmes sensations que peuvent procurer la littérature ou le cinéma : une stimulation sensorielle, intense et magique. C'est ça, l'art !

Setlist :

Paper Bag
Road To Somewhere
A&E
Cologne Cerrone Houdini
Utopia
Eat Yourself
Monster Love
U Never Know
Caravan Girl
Ooh La La
Happiness
Clowns
Little Bird
Black Cherry

Cette photo provenant du concert pour les Electric Proms de la BBC donne une idée du rendu de la scène, sans qu'on voit hélas l'orchestre.