01 mai 2006
The Flaming Lips, Bataclan, 28/04/2006
N.B. : les photos de cette note ne sont hélas pas tirées du concert de Paris, mais de concerts de tournées précédentes. Elles aident néanmoins à avoir une (très) mince idée de certains faits relatés !
Selon le magazine anglais Q, les Flaming Lips font partie des "50 groupes à voir avant de mourir". Ouf : le groupe était enfin de retour en France, pour deux (trop rares) apparitions seulement, à Paris au Bataclan, puis au Printemps de Bourges, à l'occasion de la sortie de leur 11ème album, At War With The Mystics.
En effet, sur scène, quel groupe peut se targuer de rivaliser avec ces Américains ? Ces maîtres de la pop psychédélique ont conçu un vrai show qui transforme chacun de leurs concerts en happening, qui dépasse la seule interprétation (redoutable) de leur musique si sophistiquée.
Dire qu'on en prend plein la vue est un euphémisme. Le premier titre n'est même pas commencé que la musique d'introduction voit la scène être investie d'une horde de fans munis de puissantes lampes torches, déguisés en Père Noël (à droite), et d'aliens (à gauche), suivis de Captain America et de Superman (roadies du groupe). On comprend soudain mieux pourquoi on avait vu passer dans la salle un peu plus tôt une photographe déguisée en Wonder Woman. Ca va être la fête.
Le groupe arrive, le bassiste est habillé avec le ridicule justaucorps noir à motif squelette, le guitariste et le batteur semblent les seuls à être habillés "normalement", tandis que Wayne Coyne, le chanteur/guitariste/leader est en costume, comme à son accoutumée, et exhibe des faux poings de super-héros surdimensionnés. Les Lips attaquent "Race For The Prize" (qui raconte le courageux combat de scientifiques pour le Nobel), le fantastique titre d'ouverture de leur chef d'oeuvre de 1999, The Soft Bulletin.
Une quantité considérable d'énormes ballons verts arrivent de derrière la scène et remplissent le Bataclan, alors qu'une pluie de confettis s'abat sur la foule, médusée par une telle entrée en scène. Pendant 1h30, le spectacle sera total, renforcé par un écran géant, des webcams, des marionnettes, des animations de premier ordre, allant du beau au désopilant (extraits d'une émission de real TV japonaise beaucoup plus débile que tout ce qu'on connaît ici), des clips extrêmement soignés mais loufoques... sans oublier la musique, évidemment, et à ce sujet j'ai été médusé de voir comment les chansons très élaborées en studio rendent aussi bien avec des arrangements bien plus simples en concert. Preuve que les mélodies des Lips sont à la base très solides ; elles sont "simplement" ornementées et ultra-produites sur disque, pour le grand plaisir des amateurs de hi-fi et de sensations fortes.
Malgré une telle effervescence, le groupe n'est pas une bête de foire. Ne se départissant presque jamais de son humour souvent pince sans rire, Wayne Coyne est volubile entre chaque chanson et sa croisade anti-Bush (les paroles des deux derniers albums des Lips sont largement impliquées contre son administration) se traduit de manière caustique, drôle, mais bien réelle. Le concert se terminera d'ailleurs sur une reprise de "War Pigs" de Black Sabbath, symbole sur lequel il est inutile d'insister.
Wayne Coyne est un artiste complet et atypique, sans doute énervant pour bien d'autres tellement le bonhomme semble réussir tout ce à quoi il touche. Maître d'ouvrage des deux DVD-Audio des Lips, mixés par le gourou Elliot Scheiner, The Soft Bulletin (1999) et Yoshimi Battles The Pink Robots (2002) font désormais office de maître-étalon des possibilités de la musique en 5.1 et en haute-définition.
Avant cela, en 1997, Coyne avait eu une idée inédite et véritablement géniale : l'album Zaikeera des Flaming Lips ne fut disponible qu'en coffret de 4 CD (c'est encore le cas à ce jour), conçus pour être joués ensemble, par 4 lecteurs de CD différents (et 8 enceintes donc). Rien à voir avec la quadriphonies des 70's, ancêtre du 5.1. Il s'agit ici de l'objet le plus bizarre, le plus expérimental et le plus osé jamais sorti dans les bacs (et ce, sur une major : Warner !).
Avec ce concept, Wayne Coyne bouleversait en effet le statut d'artiste, en exerçant un contrôle quasi absolu sur ses créations, et celui de l'auditeur, jusqu'ici relégué au rang de consommateur passif. Celui-ci devenait acteur, presque un nouveau membre du groupe.
Le but n'était pas de réunir absolument les 4 parties de Zaireeka, comme les pièces d'un puzzle dont le résultat n'est satisfaisant que lorsqu'il est complet. L'énorme intérêt de ce projet était de multiplier les combinaisons d'écoute (15 au total, mais chaque CD peut s'écouter individuellement). Mieux, Wayne Coyne indiquait dans le mode d'emploi que tout lecteur CD possède une vitesse de lecture propre. Ce qui implique que même si une chanson de Zaireeka est à l'origine parfaitement synchronisée, un léger retard finit inévitablement par apparaître au bout de quelques minutes. L'écoute d'une chanson de Zaireeka est alors un moment unique, et l'étonnement de l'auditeur perpétuel.
Dernier exemple de la dimension rare de l'artiste, Wayne Coyne est un réalisateur dans l'âme ; en dehors de la direction artistique des clips et autres animations, les Lips travaillent depuis 3 ans sur un long-métrage, Christmas On Mars, dont le teaser, disponible sur leur site officiel, augure du meilleur. Coyne a comparé leur film à "Eraserhead or Dead Man crossed with some kind of fantasy and space aspects, like The Wizard of Oz and maybe 2001: A Space Odyssey, except done without real actors or money, and set at Christmas-time". Tout un programme !
Le plus étonnant reste le succès certes un peu underground du groupe en dehors des USA et de l'Angleterre (mais peut-on encore parler ainsi quand on sait que le groupe a écoulé 1 million d'exemplaires de Yoshimi... ?), mais au retentissement médiatique certain en France : Le Monde, Libération, Les Inrockuptibles, Chronicart, pour ne citer qu'eux, ont tous écrit des articles très élogieux sur ce phénomène hors normes que sont les Flaming Lips et leur leader.
Comme rien n'arrête les Flaming Lips, n'hésitez pas à regarder par exemple le clip hilarant réalisé pour leur reprise improbable (mais très réussie) de Bohemian Rhapsody de Queen.
Pour conclure, je reproduis ici un extrait de l'article du Libération du 25 avril 2006, qui constitue une excellent introduction au groupe, avec des extraits d'interviews fort judicieuses.
Leur dernier album, At War with the Mystics, s'attire des critiques dithyrambiques, et leur (rare) apparition scénique vendredi le confirme : la France semble enfin prête pour les Flaming Lips, avec quelques années de retard sur l'Amérique et le reste de l'Europe, qui ont déjà succombé à leur charme singulier et ont fait du groupe l'une des réussites mainstream les plus inattendues du siècle nouveau. Formés au début des années 80, dans l'Oklahoma, par un jeune stoner appelé Wayne Coyne et ses deux frères aînés, le groupe, selon Coyne, n'était capable, au départ, que de «reproduire les côtés les plus amateurs du punk-rock. Nous n'avions aucune expertise musicale mais beaucoup d'enthousiasme et de raisons de vouloir en découdre».
Un quart de siècle plus tard, le groupe, toujours emmené par Coyne (moins ses frères, passés par la case «prison», mais avec le talentueux multi-instrumentiste Steven Drozd et le bassiste des débuts, Michael Ivins), s'est miraculeusement métamorphosé en fer de lance international du néopsychédélisme : une manière de Pink Floyd dadaïste doté d'un sens de l'humour unique et d'une prédisposition encore plus rare à transformer ses concerts en happenings.
Sept ans plus tôt, ils changeaient l'un de leurs shows londoniens en bizarre spectacle multimédia à l'aide de marionnettes géantes maculées de sang. Il y a deux ans, Coyne se faisait porter par la foule du festival Coachella de Los Angeles, enveloppé d'une énorme bulle transparente.
Depuis la sortie, en 1999, de The Soft Bulletin, qui marqua le début d'une collaboration avec le producteur Dave Fridmann, leurs enregistrements studio sont devenus aussi excentriques et flamboyants que leurs concerts. Evoquant parfois une irréelle synthèse entre Neil Young (dont Coyne réplique très bien le style vocal haut perché) et Radiohead, The Soft Bulletin pose les bases d'une nouvelle musique «cosmique» américaine.
Sorti en 2002, Yoshimi Battles the Pink Robots pousse plus loin encore l'expérimentation, unissant mélodies superbes et électro tonitruante pour un résultat conséquent : plus d'un million d'exemplaires vendus de par le monde.
Arrive à présent At War with the Mystics, troisième volet d'une quête visant à rendre la musique populaire plus éclectique, aventureuse et spirituelle. Entre autres innovations, l'album voit les Lips aborder un territoire plus funky, les faisant souvent sonner comme une version blanche d'Outkast. «Nous ne sommes plus vraiment un groupe rock, explique désormais Coyne. En studio, nous nous apparentons plus à une équipe de producteurs. Les chansons ne sont plus jouées en live, nous arrivons avec nos idées et tout est mis sur ordinateur. Pourtant, ça sonne quand même "humain". Ce nouvel album, plus funky, évoque un peu Sid Vicious qui jammerait avec Stevie Wonder mais sans baston !»
Le titre du CD est une référence à l'«ennemi» préféré de Coyne, George W. Bush, que le leader des Flaming Lips estime être «un prêcheur très dangereux... Je n'aime pas le mystère, le mysticisme, la magie noire et tous ces trucs surnaturels qui brouillent la vérité. Et selon moi, Bush contribue à cette confusion en agissant comme si les gens auxquels il s'adresse ne voulaient pas savoir la vérité».
A l'écoute de leurs disques souvent éclatés, il serait facile d'imaginer que les Flaming Lips sont une bande de défoncés ; mais, à l'exception de Drozd qui a récemment décroché de l'héroïne, il n'en est rien. Coyne, aujourd'hui âgé de 41 ans, a cessé de se droguer avant d'atteindre sa vingtième année. «Les acides duraient trop longtemps et me faisaient flipper, le shit m'a toujours rendu parano. A la fin des sixties, je pensais que ceux qui ne se défonçaient pas étaient des idiots. Je voyais la came comme un truc très libérateur pour l'esprit. J'ai changé d'avis. Surtout maintenant qu'existent des drogues telles le crystal meth... Des drogues atrocement destructrices, auxquelles personne ne survit.»
En fait, Coyne pense même que son métabolisme exempt de drogues est peut-être la raison pour laquelle les Flaming Lips sont parvenus à la fois au succès et à la longévité. «Mes idées sont le produit de ma seule imagination. Je suis un homme d'action, pas un rêveur. Sur scène, j'ai fait des trucs comme marcher à l'intérieur d'une bulle et exploser des ballons. Ça peut sembler crétin, mais faire ça en public avec culot et panache change la donne, ça devient la chose la plus géniale qui soit ! Une façon de dire aux gens : "Suivez-moi, et vous allez passer un bon moment." Il ne s'agit pas de "s'évader" vers des ailleurs improbables. Au contraire, c'est rendre nos vies plus réelles. Au bout du compte, nous fabriquons notre propre bonheur.»
17:50 Publié dans Concerts | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : concerts