11 novembre 2006
Sufjan Stevens, Bataclan, 09/11/2006
Y a-t-il un phénomène Sufjan Stevens ? Ce concert complet depuis plusieurs semaines tendrait à le démontrer. Bien que totalement ignoré des radios, même spécialisées, l'estime considérable que ce jeune Américain de 31 ans (qui a écrit son premier album au collège et qui joue plus de 20 instruments) possède dans le milieu indie underground est en train de prendre une tournure qui rappelle celle de The Mars Volta, par exemple : albums encensés dans la presse culturelle spécialisée (et même généraliste depuis peu : Libération, Le Nouvel Observateur... tout le monde semble craquer !), concerts complets en un rien de temps malgré une publicité proche de zéro (joli coup de Nous Productions au passage, bien inspiré d'avoir booké le Bataclan après le passage de Sufjan au minuscule Point Ephémère l'an dernier).
Il faut dire que le cinquième album de Sufjan Stevens a connu des louanges unanimes comme on en lit que rarement. Come On Feel The Illinoise ressemble en fait à une démonstration (sobre et jamais... démonstrative !) de songwriting. Aussi bouleversante dans le plus simple appareil (une guitare, un banjo, un piano, une voix), que dans une opulence orchestrale raffinée (cuivres, cordes, choeurs et quantité d'autres instruments, tous utilisés avec la même subtilité), l'écriture de Sufjan Stevens est sans doute une des plus affûtées du début de ce siècle. Les mélodies donnent naissance en permanence à d'autres, dans un vertigineux jeu de tiroirs que les arrangements déclinent jusqu'à l'ivresse. Pendant près de 75mn, envolées épiques et répits lumineux se succèdent, sans que l'émotion ne retombe une seconde.
Sufjan possède en outre une démarche artistique franchement originale, puisqu'il s'est mis en tête un défi pour le moins surprenant : un album par Etat américain ! Même s'il sait très bien qu'il ne parviendra sans doute pas au bout d'un tel gimmick, ses deux derniers albums, passent en revue le Michigan et l'Illinois, et conduisent à une collection de histoires, véritables photographies musicales nous contant des histoires mi-réelles, mi-rêvées, sur des lieux ou des personnages pas toujours très célèbres (l'astronome ayant découvert Pluton, par exemple !), mais qui composent le patrimoine culturel de son pays.
Je me demandais donc vraiment comment un tel univers allait pouvoir être transposé sur scène, voire même comment la musique serait tout simplement interprétée vu la complexité des arrangements. Début de réponse, technique : 10 musiciens (dont Sufjan) sur scène, dont 5 aux cuivres (trompette, clarinette, saxophone, trombone à coulisse, cor...), et 4 qui assurent les choeurs en plus de leurs instruments (batterie, guitares, basse, banjo, piano additionnel...). Sufjan dirige discrètement l'ensemble de main de maître, au milieu de tout ce bon monde, au piano à queue, quand il ne prend pas une guitare ou un banjo. La cohésion de l'ensemble force le respect et restitue avec puissance la flamboyance des enregistrements studio, tout en proposant bien souvent des réarrangements des versions studio !
Suite de la réponse, artistique : l'univers de Sufjan se retrouve timidement dans la mise en scène. Sufjan lui-même débarque affublé d'ailes d'oiseau, tandis que tout le reste de la troupe arbore des ailes de papillons ! C'est trois fois rien, et pourtant c'est magnifique et cela instaure de suite une ambiance poétique qui cadre à merveille avec la musique. L'humour n'est pas en reste. D'un côté de la scène, il y a un petit tas de Pères Noël gonflables, et de l'autre, des Superman (gonflables aussi), que Sufjan lancera au public à divers moments du concert. Mais pas de gros délire à la Flaming Lips ; ces poupées gonflables sont là pour illustrer des paroles de chansons, tout comme les projections vidéos de bon goût tout au long du show (séquence hilarante où un Superman gonflable est attaché à un cerf-volant !). On sourit souvent pendant le concert grâce aux interventions de Sufjan qui nous conte diverses histoires (expériences d'adolescent, sa grand-mère qui trouve sa musique bizarre...), toujours avec un mélange de complicité, de timidité et et de pudeur.
Cerise sur le gâteau : Sufjan nous a gratifié d'un inédit, Majesty Snowbird, à paraître sur son prochain album. Sans doute une de ses meilleures chansons (arrangements, mélodies, émotion, montée en puissance), qui laisse présager que l'exploit de Come On Feel The Illinoise pourrait bien être renouvelé. Vu le talent de l'artiste, c'est de toute façon fort possible. Un grand merci à mon ami Nick Bogovich pour une fois de plus, m'avoir fait découvrir de la musique possédant une vraie conscience artistique.
Setlist :
Sister
The Transfiguration
The Man Of Metropolis Steals Our Hearts
Jacksonville
A Good Man is Hard To Find
Detroit, Lift Up Your Weary Head !
The Predatory Wasp Of The Palisades is Out To Get Us !
John Wayne Gacy Jr.
That Was The Worst Christmas Ever
Dear Mr. Supercomputer
Seven Swans
Casimir Pulaski Day
Majesty Snowbird
Chicago
Rappel :
Concerning The UFO Sighting Near Highland, Illinois
The Dress Looks Nice On You
12:00 Publié dans Concerts | Lien permanent | Commentaires (3)
Commentaires
Bah mince alors si j'avais su qu'il passait...
C'est vrai que je ne suis pas de très près les concerts des uns et des autres mais lui, ça m'aurait bien plu de le voir.
Écrit par : Legweak | 12 novembre 2006
Pas totalement ignoré des radios, il passe sur FIP. Il y a encore parfois des moments de bonheur aussi à la radio
Sinon heureux parigo ! A quand Sufjan Stevens en Province...
Fofa
Écrit par : Fofa | 27 novembre 2006
Je ne connais pas, et je n'en ai même jamais entendu parler... Mais au vue de cette review, je vais essayer d'y jeter une oreille attentive.
Écrit par : Archaos | 19 décembre 2006
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