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15 novembre 2007

Eastern Promises



David Cronenberg s'approche de son vingtième long-métrage, et toujours pas de raté à déplorer. Même avec un film de "commande" comme Eastern Promises, il n'y a rien à craindre : le maître sait construire deux films en un, comme il l'a déjà prouvé avec sa précédente commande, A History Of Violence. Même si Eastern Promises et A History Of Violence ne sont pas des films d'auteur à proprement parler, Cronenberg n'en ayant pas signé le scénario, il leur en a apporté des modifications et se les est totalement appropriés.

Le scénariste, Steven Knight, à qui l'on doit le tétanisant Dirty Pretty Things (réalisé par Stephen Frears, un de ses multiples chefs-d'oeuvres), explore pour la seconde fois la face cachée et terrifiante de Londres. Une sage-femme, Anna (Naomi Watts), enquête sur l'identité d'une jeune Russe, morte en couches, le soir de Noël. Elle découvre que celle-ci était une prostituée, mêlée malgré elle aux agissements d'un groupe de proxénètes appartenant à la Mafia russe.

Sur une trame de thriller a priori classique, Cronenberg donne l'apparence de verser dans les clichés hollywoodiens par ses personnages archétypaux, la construction simple et directe de son film, son dénouement, etc. Néanmoins, plusieurs indices montrent que Cronenberg a pris une distance subtile avec ce premier degré faussement revendiqué : scènes tendues traversées de grotesque (conception toujours très particulière de l'humour chez le Canadien), personnages au jeu outrancier (aucun acteur n'est Russe d'origine, la vraisemblance n'intéresse pas Cronenberg), reconstitution presque folklorique de la société russe... tout concourt subversivement à créer une ambiance fantasmée. C'est dans ces conditions que Cronenberg nous assène ses uppercuts, que ce soit lors des irruptions de violence (qu'on attend sans qu'elles viennent, et qui surgissent quand on n'y est plus préparé), ou de la façon de distiller soudainement un malaise surgissant des saillies de bizarreries, d’animalité, qui ne cadrent pas avec les allures faussement classiques de ce thriller.

Car bien entendu, ce n'est pas le suspense qui intéresse Cronenberg. Lui qui rêvait d'être chirurgien, il se sert depuis ses débuts de la caméra comme d'un bistouri pour explorer les pulsions qui se logent dans notre chair. Si les mutations du corps et celles de l'esprit, liées aux thématiques du sexe et de la machine, ont jusqu'alors été au coeur du cinéma de Cronenberg, depuis A History Of Violence, c'est le regard sur le mal et la violence purs qui semble l'attirer. Les scènes d'égorgement, de mutilation, de tuerie bestiale, sont ici, dans leur dimension scénaristique mafieuse, ce que le cinéaste a fait de plus organique.

Le monstrueux talent de Cronenberg est donc d'arriver à phagocyter totalement un récit plutôt banal avec ses thèmes de prédilection. Ce faisant, ses points de force habituels ressortent peut-être avec encore plus de puissance qu'avec sa période comprise entre Dead Ringers (Faux-Semblants) et Spider, où Cronenberg avait fui le succès inattendu de La Mouche pour délivrer des films fort peu accessibles au grand public.

Cronenberg a trouvé avec Viggo Mortensen un véhicule absolument idéal pour l'incarnation des tourments qu'il a en tête. Mortensen est donc désormais à égalité avec Jeremy Irons, qui avait lui aussi tourné deux fois avec Cronenberg (Dead Ringers et M. Butterfly). Difficile de ne pas souhaiter une troisième collaboration. Cronenberg se réinvente avec une maestria qui laisse admiratif, avec certes un tournant plus grand public, mais continue de figurer en tête des réalisateurs les plus passionnants.

9/10

19:47 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Cinéma, cronenberg